De la démonologie à la psychanalyse

30 septembre 2009 0 Par caroline-sarroul

POSSESSION. — Le terme de névrose n’apparaît, dans un traité de médecine, qu’en 1777. Aussi durant le Moyen-Age, la maladie s’apparentait-elle, comme toute forme de comportement louche, étrange ou irrationnel, à une “possession” par le démon et relevait à ce titre de la sorcellerie (pour ceux qui en étaient frappés) et de la démonologie (pour ceux qui, par l’exorcisme, combattaient le Mal)..

FOLIE. — Au siècle classique, l’on résume sous le terme commun de “folie” toutes sortes d’affections mentales ou simplement de comportements marginaux, et l’on commence à parquer les malades dans des “asiles d’aliénés”. Le critère retenu n’est plus Satan mais une perte manifeste de la raison. Puisque la folie représente le contraire de la clarté rationnelle, le but de la réclusion est donc de cerner, de surveiller et de contrôler ; le fou n’est plus admis en liberté comme autrefois. La preuve : en 1657, a lieu une vaste opération de “nettoyage” de la Capitale. Sur décret du roi, les Archers de Paris raflent les mendiants, les clochards, les aveugles et les sourds, les louches, les boiteux et les borgnes, les siphonnés toute catégorie, et déversent ce trop-plein dans les cellules moites et insalubres de la Salpêtrière, à Paris, qui devient très vite le plus grand hospice européen. Elisabeth Roudinesco décrit (La bataille de cent ans, T.1, p.23) : « Le voyageur franchit les portes de la Salpêtrière et découvre un vaste bâtiment formé de maisons à un étage disposées en quadrilatères et entourées de jardins. Cet ancien arsenal construit sous Louis XIV et destiné à la fabrique du salpêtre abritait autrefois une étrange population d’aliénés. (…) Les femmes alcooliques, les prostituées voisinent avec les vieillards déments et les enfants débiles. Les folles sont isolées dans le quartier spécial des incurables et enchaînées ; on les abandonne ainsi à demi nues, au milieu de leurs immondices (…). Les épileptiques racontent des cauchemars, des histoires de membres tronqués, de mers enflammées ; elles sont dévorées par des sortes de crustacées à tête d’oiseau ; les cris, les pleurs, les lamentations, les contorsions donnent à ces bâtiments l’allure d’une demeure hantée, surgie des ténèbres du Moyen-Age. Les hystériques soignent leurs compagnes en simulant à merveille leurs maladies ; elles sont possédées par la manie de mettre en scène la souffrance des autres : elles ont le génie du rire, des tragédies et du sanglot ; elles ressemblent aux acrobates, aux bouffons ; mouillées, hurlantes, déguenillées, elles enseignent la folie du monde, la misère du peuple. »

LA MEDECINE AU 19e SIECLE. — Le 19è siècle voit la médecine prendre le relais des bourreaux (Moyen-Age) et des geôliers (voire…). Pour les spécialistes d’alors, le terme désigne une série d’affections reconnaissables en fonction de certains critères :
• 1° On leur reconnaît un siège organique précis (d’où des expressions comme “névrose digestive” ; le terme d’”hystérie” renvoie ainsi à l’utérus).
• 2° Ce sont néanmoins des affections fonctionnelles, c’est-à-dire sans lésion ni même inflammation des organes intéressés (distinction organe/fonction).
• 3° Elles passent pour des affections du système nerveux (“c’est les nerfs”, dit-on encore fréquemment !).
Aujourd’hui, cette description correspond à nos modernes troubles “psychosomatiques” (que l’on distinguera donc des névroses proprement dites), et ne vaut que pour eux, alors qu’au 19è siècle aucune distinction n’est faite entre les domaines de la névrose, de la psychosomatique (neurasthénie, par ex.) et de la neurologie (épilepsie, maladie de Parkinson). — Mais aujourd’hui, il convient de préciser que les névroses sont du ressort de la psychiatrie ou de la psychanalyse, et nullement de la médecine.

CHARCOT ET L’HYSTERIE. — C’est à un médecin français, à la fin du 19è siècle, et précisément chef de l’hôpital de la Salpêtrière, que revient le mérite d’avoir fait progresser la science des névroses, en particulier l’hystérie. Or, curieusement, Charcot est amené à ressusciter les vieux démons du moyen-âge, en fait pour les démasquer. Qu’apporte Charcot ?
• 1° La découverte des facteurs sexuels dans le déclenchement de la maladie : “Mais dans des cas pareils, c’est toujours la chose génitale, toujours… toujours… toujours.” Et ce disant il croisa les bras sur sa poitrine et se mit à sautiller avec sa vivacité habituelle. (Propos rapportés par Freud !). Mais Charcot n’est pas Freud : déclenchement ne signifie pas cause. La véritable cause, pour Charcot, reste l’hérédité, avec ce concept douteux (mais fort répandu alors) de “dégénérescence”.
• 2° La découverte des facteurs proprement psychiques, révèlant notamment le mimétisme des hystériques, leur manie de la “répétition” et du théâtre. Il faut dire que le lieu, y compris le “maître des lieux” (Charcot lui-même) s’y prêtent. En effet, du temps de Charcot, la Salpêtrière a un peu évolué : non que le luxe fasse son apparition, mais le mouroir, le dépôtoir se transforme en clinique, c’est-à-dire en théâtre. A tous points de vue. Tout d’abord il faut dire que l’hystérie, névrose pouvant être spectaculaire par ses symptômes (paralysies, etc.), était un peu tombée en discrédit à l’époque : on pensait en effet que, en l’absence de définition, de preuves tangibles ou certaines de la maladie, l’hystérique devait simuler ; c’était en effet plus simple ! Là-dessus Charcot vint et imposa une véritable révolution dans la clinique de l’hystérie. Tout d’abord il réhabilita, si l’on peut dire, le mal : de toute son autorité, il attesta, il certifia l’authenticité et l’objectivité des troubles manifestés, c’est-à-dire leur non-simulation. Ensuite il caractérisa fermement l’hystérie comme “maladie nerveuse”, autonome et fonctionnelle, sans traces lésionnelles. L’absence des telles traces ne signifie d’ailleurs pas l’absence d’intérêt pour l’anatomie : si l’examen anatomo-pathologique ne donne pas la clef de l’hystérie, cela n’empêche pas le maître d’anatomie pathologique que fut d’abord Charcot de fonder toute sa typologie des névroses hystériques sur leur localisation corporelle. Ensuite, l’image que l’on garde de Charcot clinicien n’est-elle pas aussi celle d’un “homme de théâtre”, d’un “homme de spectacle” ? En effet, d’une certaine manière, notre homme n’est pas loin de faire régner une sorte d’hystérie collective (jusque et y compris parmi la gent littéraire parisienne (Maupassant, Huysmans), qui vient en nombre à ses “présentations de cas”, plutôt impudiques) par sa façon de “spectaculariser” de surcroît la maladie. La répétition est d’ailleurs au coeur de sa plus grande découverte théorique. En effet c’est en reproduisant artificiellement la paralysie hystérique, par exemple, qu’il parvient à détacher celle-ci de toute cause organique, et à la spécifier comme hystérique : il lui suffit, en les hypnotisant, de placer certains sujets en état de somnambulisme pour prouver que ces paralysies — alors momentanément reproduites — étaient le résultat de représentations psychiques particulières. Il reste que les adversaires de Charcot y virent une véritable provocation de la maladie par le médecin lui-même, ceci par le moyen de la suggestion. Aussi Charcot dut-il se défendre et prouver qu’il ne fit que décrire un mal ayant toujours existé. D’où cette description entreprise par lui des scènes de possession dans l’art (cf. Les démoniaques dans l’art ).
• 3° On lui doit donc d’avoir révélé la parenté entre les phénomènes de possession du Moyen-Age et la moderne hystérie : en fait il s’agit de la même chose. Il va même jusqu’à baptiser le point culminant de la crise hystérique, les “convulsions” (mais différentes de l’épilepsie), “crise démoniaque”… En fait, l’hystérique, tout comme le possédé, imite — ce qui ne peut pas dire qu’il simule. Qu’imite-il ? Trés précisément ce qu’on attend de lui (= le désir de l’Autre). Dans le cas du possédé, ce que veut l’Eglise (représentée par le prêtre, souvent penché sur le ou la malade, dans les reproductions), ce qu’elle demande parce que c’est son fantasme c’est la dégurgitation du démon résidant à l’intérieur du corps ; c’est aussi l’imitation de la crucifixion de Jésus, patente en effet dans certaines contorsions observées par Charcot. Dans le cas de l’hystérique du 19è, c’est plus variable, mais dans tous les cas se produisent des phénomènes de mimétisme c’est-à-dire de contagion (dans une même ville par exemple) dont l’explication sera fournie par Freud. En effet, c’est toute une anatomie imaginaire qui se trouve impliquée dans les manifestatons symptomatiques de la maladie, comme une sorte d’anatomie parallèle (voir plus loin). Auront manquées à Charcot l’intuition de la nature vértablement sexuelle (et non héréditaire) de la maladie, et aussi la découverte d’un moyen thérapeuthique idoine

FREUD ET LA DECOUVERTE DE L’INCONSCIENT. — C’est du reste la découverte fortuite de ce moyen qui met Freud sur la piste de l’Inconscient et d’une approche nouvelle de la névrose.
• Cette découverte ne lui incombe d’ailleurs pas vraiment, puisque c’est son collègue et ami Breuer qui, traitant la désormais célèbre Anna O., lui ouvre le passage. Ou plus exactement, c’est la malade elle-même qui, se servant du médecin Breuer, invente littéralement la cure analytique : celle-ci consiste, par le moyen du “transfert” (relation imaginaire et amoureuse avec le médecin), à soulager (voir à guérir) ses troubles seulement par la parole. Breuer avait émis une théorie dite des “états hypnoïdes” selon laquelle le malade “retenait” certains souvenirs (sans plus de spécification) qu’il était possible de faire ressurgir par le moyen de l’hypnose. Cela représentait une vériatble catharsis, apparemment efficace. Or ce qui manquait à la théorie de Breuer, sa malade Anna O. allait le lui apporter : d’une part, bien qu’étant sous hypnose, c’était elle qui menait le traitement, parvenant à faire disparaître ses maux lorqu’elle en découvrait l’origine dans ses souvenirs (en les articulant, donc, par la parole ) ; d’autre part, parce qu’à l’insu de Breuer, elle conçut envers celui-ci une relation amoureuse dite de “transfert” — qui poussa d’ailleurs Breuer (effrayé) à abandonner la partie. Freud “hérita” de la malade, mais décida d’abandonner l’hypnose. En effet, il avait découvert la véritable origine des névroses dans la vie sexuelle (infantile) de ses patients, ce qui exigeait une méthode de remémoration (et prospectivement, de sublimation) beaucoup plus approfondie, en même temps que ça expliquait le phénomène du “transfert” qui avait fait “fuir” Breuer. Cela expliquait aussi le phénomène du refoulement des souvenirs en question, ainsi que la résistance opposée par le sujet pour y accéder, etc. etc. Toutefois, Freud avait auparavant émis la théorie selon laquelle un “trauma”, un choc de nature effectivement sexuelle, pouvait être à l’origine des névroses. Sa théorie de la sexualité rend caduque cette hypothèse, mais il est certain que la classification des névroses proposée par Freud reste marquée par cette première théorie.
• L’axe de la classification freudienne passe entre les névroses dites “actuelles”, où la cause est recherchée dans un dysfonctionnement somatique de la sexualité (insatisfaction, frustration, etc.), et les “psychonévoses” où c’est le conflit psychique (lui aussi d’origine sexuelle… mais dans l’histoire du sujet) qui est déterminant. Dans les névroses actuelles, on peut inclure les névroses directement “traumatiques”, causée par un choc émotionnel violent, où en général le sujet a vu sa vie menacée : les premières études de Freud portent par exemple sur les “névroses de guerre”. Dans ce cas, soit le traumatisme tient lieu d’élément déclenchant pour une névrose d’origine différente ; soit il est constitutif lui-même de la névrose et se traduit par des symptômes reproduisant le choc initial (cauchemars, etc.). Ou encore les névroses “d’angoisse”, où prédomine une angoisse manifeste mais sans objet particulier. Dans la catégorie des psychonévroses, Freud distingue nettement les névroses “narcissiques” (en fait il s’agit des psychoses, pour lui alors inanalysables), et les névroses “de transfert” (les névroses analysables par le transfert) : à savoir la phobie, l’hystérie et l’obsession (dite névrose obsessionnelle ou encore névrose de contrainte). Dans un second sens, on appelle aussi “névrose de transfert” une névrose artificiellement causée par le transfert lui-même, au moment et pour le besoin de la cure.