MILGRAM, le retour!

28 février 2010 0 Par caroline-sarroul

        

 

Ils reprennent l’expérience de Milgram , réalisée dans les années 60 aux USA.

 En voici quelques images:

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Entre 1960 et 1963, L’université Yale à New Haven fit paraître des annonces dans un journal local pour recruter les sujets d’une expérience sur l’apprentissage. La participation devait durer une heure et était rémunérée 4 dollars américains, plus 0,5 $ pour les frais de déplacement, ce qui représentait à l’époque une bonne opportunité (revenu hebdomadaire moyen en 1960: 25 $). L’expérience était présentée comme l’étude scientifique de l’efficacité de la punition (ici, par des décharges électriques) sur la mémorisation.

C’est le psychologue américain Stanley Milgram qui avait organisé cette expérience est le véritable but était d’évaluer le poids de l’autorité sur un individu et ce dont il était capable dans « l’état agentique », c’est-à-dire dans un état d’obéissance.

  L’expérience était la suivante: on met en place une situation du type maître/élève. L’élève est placé sur une sorte de chaise électrique et le professeur devant un appareil envoyant du courant électrique, comportant un cadran indiquant le voltage gradué de 15 volts à 450 volts , avec des indications concernant les effets du voltage. Par exemple, « 450 volts »:  « attention choc dangereux ». Le professeur pose une même série de questions à l’élève et à chaque fois qu’il se trompe à nouveau, il envoie une décharge. A chaque nouvelle erreur sur la même question, il augmente le voltage.

Les psychologues, avant l’expérience, avait prévu que seulement 1 sujet sur 1000 serait aller jusqu’à la décharge maximale, d’autant que le professeur n’était pas tenu d’aller au bout de l’expérience pour être rémunérer et pouvait après 4 demandes de l’autorité quitter l’expérience.En effet, Si un sujet hésite, l’expérimentateur lui demande d’agir. Si un sujet exprime le désir d’arrêter l’expérience, l’expérimentateur lui adresse, dans l’ordre, ces réponses: « Veuillez continuer s’il vous plaît. », « L’expérience exige que vous continuiez. » , « Il est absolument indispensable que vous continuiez. », « Vous n’avez pas le choix, vous devez continuer. ». Après cela, il peut arrêter s’il le souhaite.

L’expérience est biensûr truquée mais le professeur volontaire ne le sait pas, et il reçoit au départ une décharge de 45 volts pour être convaincu de la réalité des chocs éléctriques. Par la suite, l’élève ne reçoit pas de vraies décharges, mais feint de les recevoir, de souffrir, de supplier, d’agoniser.

Le résultat de la première expérience a été que 62,5% des 40 sujets testés sont allés au bout de l’expérience jusqu’à infliger une décharge maximale à 3 reprises, les autres se sont arrêtés en moyenne à une décharge de 360 volts, même si tous ont questionné le responsable qui  leur commandait les décharges et si dans les hauts voltage, chacun appuyait avec anxiété et nervosité.

Mais ce taux varie selon certains paramètres pris en compte dans le tableau ci-dessous:

Variante

Sujets

Choc maximal
moyen

Choc maximal (450 V)

Type

Variation

Sujets

Pourcentage

Proximité de l’élève

Rétroaction à distance

40

405 V

26

65 %

Rétroaction vocale

40

367,95 V

25

62,5 %

Proximité

40

312 V

16

40 %

Contact

40

268,2 V

12

30 %

Importance
de l’autorité

Nouvel environnement

40

368,25 V

26

65 %

Changement de personnel

40

333 V

20

50 %

Absence de l’expérimentateur

40

272,25 V

8

20 %

Immeuble de bureaux à Bridgeport

40

314,25 V

19

47,5 %

Sujets féminins

Rétroaction à distance

40

370,95 V

26

65 %

Rôle du groupe

Deux pairs se rebellent

40

370,95 V

4

10 %

Un pair administre les chocs

40

399,75 V

37

92,5 %

Limitations de l’élève
et personnalité du sujet

Conditions préalables à la participation

40

321 V

16

40 %

Le sujet choisit le niveau de choc

40

82,5 V

1

2,5 %

Changement de statut

L’élève demande à recevoir les chocs

20

150 V

0

0 %

Un individu ordinaire donne les ordres

20

243,75 V

4

20 %

Le sujet est spectateur

16

373,5 V

112

68,75 %

L’autorité dans le rôle de la victime

20

150 V

0

0 %

Troubles au sein
de l’autorité

Deux autorités, ordres contradictoires

20

150 V

0

0 %

Deux autorités, une dans le rôle de la victime

20

352.5 V

13

65 %

 

 

En 1974, Milgram va publier les résultats et l’analyse de ses expériences concernant l’obéissance:  

1.Les conditions préalables de l’obéissance : elles vont de la famille (l’éducation repose sur une autorité dans la famille) à l’idéologie dominante (la conviction que la cause est juste, c’est-à-dire ici la légitimité de l’expérimentation scientifique). 

2. L’état d’obéissance (ou état agentique) : les manifestations les plus importantes sont la syntonisation (réceptivité augmentée face à l’autorité et diminuée pour toute manifestation extérieure) et la perte du sens de la responsabilité. Il constate aussi une redéfinition de la situation en ce sens que l’individu soumis « est enclin à accepter les définitions de l’action fournies par l’autorité légitime ».

3. Les causes maintenant en obéissance : le phénomène le plus intéressant parmi ceux relevés est l’anxiété, qui joue le rôle de soupape de sécurité ; elle permet à l’individu de se prouver à lui-même par des manifestations émotionnelles qu’il est en désaccord avec l’ordre exécuté.

A contrario, Stanley Milgram s’oppose fortement aux interprétations qui voudraient expliquer les résultats expérimentaux par l’agressivité interne des sujets. Une variante met d’ailleurs en évidence cela, où le sujet était libre de définir le niveau d’intensité. Ici, seule une personne sur les quarante a utilisé le niveau maximal.

Cette expérience de Milgram a inspiré le cinéma. Des films l’ont reprise avec plus ou moins de fidélité.

– dans Ghostbuster, d’Ivan Reitman, sorti en 1984, dont voici un extrait, avec en ouverture des images de la vraie expérience de Milgram. La différence, c’est que le psychiatre  inflige ici les décharges le fait de son propre chef sans qu’aucune autorité ne l’y oblige autre que la science avec les nécessités du progrés scientifique qui exige des tests.

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=ngB8T5SKQTA[/youtube]

– dans I comme Icare, un film de Henri Verneuil de 1979, dont voici 2 extraits:

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=5Sqqhr4_J28[/youtube]

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=qBRX79Sqpmo[/youtube]

 

 Le 17 mars 2010, sur France 2, cette expérience a été « refaite » pour tester cette fois-ci l’autorité de la télévision.  Ce  documentaire a été réalisé par C. Nick et M. Eltchaninoff. Vous y découvrirez 80 candidats qui, à 81% ( plus que pour Milgram, seulement, si j’ose dire, 63%), iront au bout de l’expérience ( envoyer une décharge de 460 Volts à un candidat qui depuis plusieurs chocs ne répond plus, et cela juste par 5 injonctions verbales de la présentatrice, Tania Young) sans n’avoir signé aucun contrat, sans argent à gagner, sans la peur ni l’espoir  de passer à la télé, puisqu’ il ne s’agit que d’un pilote.

 

En voici quelques images:

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=4DPXcoYxfgs[/youtube]

 

 

Analyse de  Jean-Léon Beauvois, professeur de psychologie sociale, sur Express.fr:

 

 

« Pourquoi avez-vous accepté d’encadrer cette expérience, l’adaptation de la célèbre étude de Stanley Milgram réalisée dans les années 1960?

  • Je ne suis pas un consommateur de téléréalité. Je m’y étais intéressé au moment où le Loft a commencé en France, parce que j’entendais souvent comparer ce concept d’émission à des expériences de psychologie sociale. Bien sûr, ça n’a rien à voir, et j’ai été scandalisé de ces amalgames. Après que Christophe Nick [le producteur et auteur, ndlr] m’a contacté, j’ai recommencé à visionner quelques programmes. Ce que j’ai vu m’a confirmé dans mon idée de ce qu’est devenu un individu aujourd’hui: un grain de sable dans une masse, un être à qui on peut faire faire n’importe quoi. J’estime que nos concitoyens méritent mieux que cette production de l’individualisme libéral, produit essentiellement par les modèles fournis par la télévision: un être conformiste, influençable, manipulable, qui roule des mécaniques. On l’amuse avec n’importe quoi, on lui fait bouffer n’importe quoi. Et c’est la télévision qui a fabriqué ça.

Plus de 80% des participants de l’expérience sont allés jusqu’au bout du jeu, c’est-à-dire qu’ils ont administré une décharge de 460 volts à l’autre candidat en punition d’une mauvaise réponse. Vous attendiez-vous à obtenir de tels résultats?

  • Pas du tout. L’expérience de Milgram ne met pas l’individu dans la situation du bourreau ordinaire d’un camp de concentration qui a des chefs et des pairs. C’est même le contraire. L’individu y est seul, il ne trimbale aucune identité sociale, ne représente aucun groupe. J’étais convaincu que Milgram obtenait des chiffres élevés –62% dans son cas- parce qu’il inscrivait son expérience dans le cadre d’une institution alors très valorisée et respectée : la science. Je pensais que seul ce contexte de légitimité pouvait donner un pouvoir prescriptif sur un individu sans qu’on exerce un pouvoir formel, hors de toute structure  pas comme des soldats nazis ou des GI qui balancent du napalm…

Comment expliquer, dans ce cas, que la plupart des sujets aillent jusqu’au bout?

  • Même dans une situation où le choix est offert, l’option naturelle est d’obéir. Or, plus un individu se croit libre, plus il est manipulable. Il suffit de dire à quelqu’un « vous êtes libre de le faire ou pas » pour qu’il obéisse plus volontiers. On se disait toutefois que le pouvoir de la télévision manquait de légitimité et de caractère formel. On n’y croyait pas trop, en réalité. On se trompe, des fois…

Qu’avez-vous ressenti?

  • Quand au premier jour de tournage, les 8 candidats-sujets sont tous allés jusqu’au bout, j’étais mal. Aussi bien pour des raisons théoriques que purement humaines. On s’est dit: « Mais d’où il sort, ce pouvoir? Qu’est ce qui fait qu’une institution comme la télévision est en mesure de vous dicter vos pensées et vos actes? Pourquoi Monsieur Dupont obéit-il lorsque l’animatrice lui demande un truc aussi immoral que de torturer un inconnu? »

Et donc?

  • Un levier essentiel, c’est la familiarité qu’on entretient avec la télévision, comme objet domestique. Elle fait partie de la famille, elle nous imprègne au quotidien, contrairement à la religion, qui passe, elle, par la croyance. La source d’influence est d’autant plus efficace qu’on n’y fait pas attention. Qu’on ne s’en méfie pas. Par ailleurs, les gens viennent avec, en tête, un modèle de la conduite à adopter sur un plateau. Ils ont vu Michel Rocard répondre aux questions déplacées de Thierry Ardisson, ou bien des candidats de jeux télé ramper au milieu des rats, croquer des araignées, etc. Là, ils sont venus pour rendre ce service en adoptant le « bon » comportement. Et ils le rendent, même si ça les fait terriblement souffrir!

Ce ne sont donc pas des sadiques qui s’ignorent?

  • Au contraire, ils souffrent. Milgram est connu pour son apport à la théorie d’Hannah Arendt sur la Banalité du mal, qui veut que le tortionnaire nazi soit un fonctionnaire froid, sans affect. Je n’y crois pas. Ce n’est pas parce que les sujets obéissent qu’ils ne souffrent pas, qu’ils ne luttent pas contre eux mêmes ! Dans une variante de l’expérience justement imaginée pour mesurer leur « sadisme » éventuel, on a demandé à l’animatrice de les laisser seuls sur le plateau, pour voir si ils continuaient en-dehors de toute injonction. Et là, 75% d’entre eux stoppaient le jeu lorsque le candidat-comédien criait de douleur et les enjoignaient d’arrêter. Ce qui démontre bien que dans l’expérience canonique, les gens poursuivent à leur corps défendant. L’état « agentique », dans lequel nos sujets se trouvent et qui les fait agir, c’est le contraire de la sérénité. On l’a d’ailleurs observé dans des situations de la vie sociale, où des gens sont amenés à commettre des actes qu’ils réprouvent, des policiers ou des employés d’officines d’huissiers chargés de mettre des gens à la rue. Il n’y a pas de raison de penser que nos questionneurs souffrent moins. On ne constate aucune jouissance dans l’obéissance.

Pourquoi obéit-on?

  • Parce que toute notre éducation nous a appris à le faire. Parce qu’on est « quelqu’un de bien » socialement parlant. La propension à l’obéissance n’est pas innée, elle fait partie des acquis, d’un apprentissage d’autant plus efficace qu’il a été long. En ce qui concerne nos « candidats », outre cette propension à l’obéissance, les deux facteurs qui conditionnent leur obéissance sont, d’une part, le fait qu’ils sont venus pour se mettre au service; d’autre part, qu’ils ont été modelés par la télé pour être de « bons joueurs », capables d’accomplir des choses difficiles en gardant sourire et décontraction.

Lorsqu’ils arrivent dans les studios, ils ne connaissent pas encore la règle du jeu. Comment réagissent-ils lorsqu’on leur en annonce les règles?

  • Beaucoup rient.

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=al5TkfjewP4[/youtube]

 Et quand, à la fin, vous leur révélez le pot aux roses?

  • Certains jurent qu’ils se doutaient de la supercherie. D’ailleurs, ceux qui assurent ne s’être pas laissés berner ne se sont pas levés en disant qu’on se moquait d’eux et qu’ils avaient affaire à une mascarade. Ils ont pris le risque fou, dans le doute, de continuer. De la même manière, certains de ceux qui assurent avoir compris dès le début que tout était faux ont triché quand même, en soufflant les bonnes réponses à l’autre candidat…. Pourquoi tricher si on ne croit pas à la réalité de la punition ? Tout ceci est une façon de se justifier, de rationaliser, après coup.

Et les autres?

  • La plupart souffrent beaucoup de n’avoir pas désobéi. Ils pleurent, expliquent qu’ils sont allés à l’encontre de leurs idées, de leurs valeurs, expriment une réelle sidération en constatant ce dont ils ont été capables. Et puis il y en a quelques-uns qui ne souffrent pas, et semblent même heureux d’avoir eu l’occasion de démontrer leur exemplarité, leur force, de pouvoir se dépasser. L’un d’entre eux prétend même qu’il aurait préféré se trouver à la place de l’autre candidat, pour encaisser les chocs ! Je ne m’attendais pas à trouver des gens à ce point dénués d’empathie. Mais c’est l’exception.

Comment expliquer ce manque général de considération pour l’autre joueur, l’électrocuté?

  • La situation du jeu leur fait investir toute leur sociabilité dans la personne de l’animatrice, l’autre candidat devenant un simple objet de transition entre elle et eux. Les désobéissants « rapides » [qui interrompent le jeu avant d’administrer des décharges trop fortes] dirigent au contraire leur sociabilité vers la « victime ».

Comment définiriez-vous ces « désobéissants »?

  • Tout le monde a envie de les voir comme des héros. On pense à De Gaulle, à Gandhi, à l’homme de la place Tiananmen. Mais pour comprendre la désobéissance, il faut aussi penser à l’élève qui ne fait pas ses devoirs, à l’ouvrier qui n’exécute pas l’ordre de son contremaître. C’est ça, la désobéissance! Quelque chose qui n’a rien de nécessairement valorisant. Le désobéissant, ce n’est pas le rebelle qui agit au nom  d’une cause ou d’un groupe. C’est quelqu’un de seul, qui décide de ne pas faire ce qu’on attend de lui.

Qu’attendez-vous de la diffusion de ce documentaire?

  • Mon rêve serait qu’il fasse entrer deux ou trois idées fortes dans la tête des gestionnaires des chaînes de télévision publiques et des membres du CSA. Qu’on mette des limites à ce que la télé donne à voir, notamment la mort en direct. Depuis les années 1950, on sait que la vision répétée de telles scènes n’est pas anodine, qu’elle détermine nos comportements. Il faudrait aussi se débarrasser de ce stéréotype selon lequel nous vivons sous le signe de la liberté et de la démocratie. C’est une illusion dangereuse. Cette expérience, qui démontre que 80% des gens se comportent comme de possibles tortionnaires si la télévision le leur demande, reflète un pouvoir terrifiant. Quand une masse est gérée au niveau de ses pensées, de ses attitudes, de ses comportements, j’appelle ça un totalitarisme. Un totalitarisme tranquille, parce qu’on ne nous tape pas dessus et qu’on ne nous met pas en prison. mais un totalitarisme quand même. »

 

Débat sur Europe 1

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