Explication textes 1,2,3

16 avril 2010 0 Par caroline-sarroul

I. a) Texte 1 l’affaire Socrate, p251/254

P 251 : Socrate et Euthyphron se rencontrent devant le Portique Royal de l’Archonte roi ( un magistrat présidant les tribunaux, chargé des  affaires religieuses)

Le portique royal est un lieu de Greffe où les accusateurs déposent leur plainte et le lieu où l’accusé comparaît pour entendre les chefs d’accusation, si la plainte est jugée recevable, et où il peut donc espérer démontrer l’irrecevabilité de la plainte à son encontre.

Socrate risque un procès criminel ( Graphé) , son affaire est une affaire d’Etat ( non un procès civil  concernant une affaire privé) pour trouble de l’ordre publique.

P252 : Socrate présente avec ironie son accusateur : Mélétos ( un jeune littérateur inconnu) et les chefs d’accusation : corruption de la jeunesse et impiété. On accuse Socrate d’être un créateur de Dieux ( et par là de manquer de respect envers les dieux officiels). Socrate serait un faiseur de Dieux (un « poïétes » et c’est un poè »son poète qui l’en accuse !

P253 : Euthyphron fait immédiatement le lien entre ce « Dieu » crée par Socrate avec son célèbre « daïmon », « signal divin » que ses accusateurs semblent considérer comme une sorte d’oracle privé.

D’ailleurs Euthyphron qui est devin voit à cause de ce daïmon , une sorte de « confrère » et comme un « compagnon d’infortune ». Par ce daïmon , Socrate serait une sorte d’initié comme Euthyphron, et comme lui, on le jalouse ou le tourne en ridicule, on le traite de fou.

Pourtant ce signal n’a rien avoir avec un oracle :

– l’oracle est une réponse à une question, elle est  obscure et  exige une interprétation ( par exemple, la pythie de Delphes  s’exprimait en vers et ses propos confus devaient être interprétés par un collège de deux prêtres, assistés par cinq ministres du culte), ; le signal se fait entendre sans question de manière  claire. L’oracle dit ce que doit faire le consultant, le daïmon retient Socrate de faire certaines choses. On pourrait l’assimiler à la voix de la conscience qui retient celui qui s’apprête à agir. Son daïmon n’est pas un Dieu mais plutôt une qualité : c’est le sentiment moral posé comme absolu qui force au respect comme un Dieu par son autorité impose la piété. En somme, ce commandement de la conscience se pose comme sacré : on ne peut que s’y soumettre sans quoi ce serait sacrilège, ce commandement est semblable à celui d’un Dieu, donc Conscience morale (raison) = un Dieu. ( alors que la religion pose comme Dieu comme fondateur de la morale, elle est l’expression de sa volonté, de ce qui est conforme à son culte)

P 253/254  Socrate pense que c’est plutôt cela dont il s’agit :

il ne s’agit pas simplement de le tourner en ridicule ( comme un devin) par jalousie  mais de l’accuser de prosélytisme, car il « parle sans retenue à tout homme » sans attendre de salaire en retour ( philosophe s’oppose au sophiste) : démarche donc désintéressée qui s’impose comme une sorte de nécessité, de mission ( le sacré justifie le sacrifice)

il ne s’agit pas de l’accuser de créer une autre religion, mais de mettre autre chose au dessus de la religion : Socrate en se soumettant à son daïmon, se soumet à l’autorité de sa conscience ( même si posée comme le dépassant) non à un Dieu extérieur : sa conscience lui dit ce qu’aurait pu dire un Dieu, parle comme un Dieu, elle, qui n’est pas un Dieu. C’EST LA RAISON QUI PREND LA PLACE DE DIEU, l’AUTONOMIE DU RATIONALISME  QUI PREND CELLE DE L’HETERONOMIE DE LA FOI, LA PHILOSOPHIE  QUI PREND  CELLE DE LA RELIGION ET DU MYTHE, LA VERTU, LA  VERTU QUI PREND LA PLACE DE LA PIETE.

En somme Socrate est un « athée » plutôt qu’un impie ou son seul crime est de ne pas honorer les Dieux , non de créer un nouveau Dieu, car le daïmon, c’est la fin de la religion comme institution. D’ailleurs dans l’Apologie, c’est de cela dont il va chercher à se défendre.

C’est pour cela que Socrate menace l’ordre établi pas seulement parce qu’il fait chanceler les Dieux officiels et l’autorité de la religion, mais parce qu’il incarne l’autonomie de la pensée et l’a fait acquérir à d’autres.

La Cité n’a pas intérêt à perdre l’ordre religieux ( Bergson) et à avoir de citoyen qui pense par eux-mêmes.

Voilà pourquoi c’est une affaire d’Etat.

P 254 : Donc comme il le dit : cette affaire anodine à première vue peut s’avérer très « sérieuse ».

C’est pourquoi Socrate dit que « l’issue est obscure » car il ne sait pas jusqu’où vont aller ses accusateurs.

« Sauf pour les devins », il dit cela pour flatter l’art divinatoire d’Euthyphron dont le talent se montre immédiatement quand on connaît l’issue du procès comme Platon qui rédige ce dialogue : « Tu défendras ta cause selon tes vœux » !

 I. b) Texte 2 L’affaire Euthyphron,  p254/257

P 254/ P256   L’affaire Euthyphron est des plus étonnantes, folles.

A la différence de Socrate, il n’est pas accusé mais accusateur très particulier :

1.Il veut faire un procès à son père ( un « vieillard » qui ne risque pas de s’envoler)

2. au nom d’un serviteur qui n’était pas un esclave de la famille mais un travailleur journalier et qui est lui-même un meurtrier : il a tué ivre un domestique de la maison sous le coup de la colère ( passion)

3. son père l’a tué involontairement par négligence : il l’avait fait attacher  le temps d’aller voir l’exégète ( un des 3 magistrats chargés du droit religieux) pour savoir que faire sans commettre d’impair. Et il l’a oublié , le serviteur criminel est mort de faim et de froid.

Accuser son père apparaît déjà en soi CONTRE-NATURE : le père incarne l’autorité, celui à qui le fils doit une obéissance inconditionnelle, comme un esclave devant son maître. Le fils est un prolongement du père, se retourner contre lui, c’est s’opposer au devoir de la filiation, aux lois du sang.  C’est commettre un sacrilège pour la plupart des gens.  «  il est impie pour un fils de poursuivre son père pour un meurtre » (P 256) surtout s’il a tué un meurtrier sans préméditation.

P 257 Mais pour Euthyphron, ce qui serait impie de laisser son père impuni ! ET LUI SAIT CE QUI EST IMPIE OU NON :  arrogance de la 3ème personne ,  de l’initié qui se distingue de la masse, du commun des mortels.

Face à cette absence doute, Socrate voit en Euthyphron le maître idéal dont il veut devenir l’élève, pour démontrer ensuite devant l’archonte que la plainte déposée est sans fondement.

Euthyphron n’en doute pas non plus et il pense même  pouvoir même renverser l’accusation : c’est Mélétos, l’impie !

 

c) P258

FORMULATION DU PROBLEME en deux temps : qu’est-ce que l’impie et le pieux concernant les meurtres (cas particulier) ? Qu’est-ce que l’impie ou le pieux en général ?

Il attend donc de son « maître » une définition de l’ESSENCE du pieux, c’est-à-dire :

-ce qui fait que le pieux est pieux : sa caractéristique essentielle (par opposition à des caractéristiques accidentelles)

– ce qui va faire qu’on pourra ensuite qualifier tel ou tel acte de pieux, ce qui est donc commun à tous les actes pieux

– ce qui distingue radicalement le pieux de tout autre chose, et en particulier de son contraire l’impie ( ce qui est impie ne peut être pieux et inversement).

 

 II. a)  TEXTE 3, première « définition »  p258/ 261

Pour définir ce qu’est le pieux,  Euthyphron donne un exemple.

C’est un classique des dialogues de Platon, l’interlocuteur croit définir le général par le particulier. Par exemple, dans Hippias Majeur sur la beauté : Hippias répond « le beau, c’est une belle fille ».

Car la méthode de Socrate est la MAÏEUTIQUE : l’art d’accoucher les esprits, d’abord de leur ignorance ( ignorée) puis d’un savoir ( lui aussi ignoré et pourtant présent, car masqué par le faux –savoir)

Et cet exemple, pour le pieux,  c’est lui, ce qu’il est en train de faire : intenter un procès à son père !

Ce qui est pieux, c’est de poursuivre le criminel :

qui qu’il soit : même son père,

quelle que soit la victime même si c’est un serviteur criminel ( même Socrate penser évident qu’Euthyphron attaquait son père pour le meurtre d’un autre  membre de la famille, p256)

quels qu’aient été ses motifs, intentions ( faire le bien pour le père)

Car ce qui compte, c’est l’acte commis. Cet acte est pour la famille de celui qui l’a perpétré un MIASME, UNE SOUILLURE (contagieuse et qui se transmet de génération en génération, par filiation).

Il faut donc LAVER CETTE SOUILLURE. Et c’est ce que veut faire Euthyphron à la fois parce qu’il voit le crime comme un sacrilège et parce qu’il se sent le devoir de purifier sa famille de cette souillure (c’est donc l’amour de la famille qui le pousse à s’attaquer à un de ses membres, à son fondateur) et même de laver son père malgré lui de sa faute.

(NB : ce qui est étonnant, c’est que pour laver cette faute, cette souillure, cette impiété, lui, le devin n’utilise pas un rite religieux de purification, c’est en général la tradition. Pourquoi mène-t-il l’affaire en justice ? Demande-t-il à un tribunal même religieux de le laver ?

Parce que Euthyphron est un personnage paradoxal et de son temps qui est marquée par :

-un affaiblissement des valeurs familiales, de l’autorité paternelle face à l’autorité de la Cité et de la loi

– le meurtre n’est plus seulement un crime du point de vue religieux, c’est aussi un interdit politique, au regard du droit positif

-vengeance privée interdite

Mais un tribunal peut punir, mais peut-il pour autant laver d’une souillure ? Peut-on parler alors de souillure ?

Euthyphron est donc un personnage à la fois traditionnel et moderne ( idem pour l’égalité des victimes ; pour la revendication de l’individualisme, le fils n’est pas dépendant du père), mais donc contradictoire comme une période de mutation, où le vieux et le neuf se côtoie un temps )

Pour justifier de se donner en exemple de piété dans cette accusation de son père, il dévoile l’argument qu’il s’apprête d’ailleurs à utiliser pour justifier sa plainte : c’est ce que font les dieux eux-mêmes : Théogonie d’Hésiode, Zeus ligotant Kronos qui avait lui-même châtré son père Ouranos.

Socrate lui fait remarquer que :

1) Sa défense s’appuie donc sur des « histoires » ( des mythes cosmologiques) où les Dieux sont présentés comme se faisant la guerre, étant soumis aux passions (haines, colères…) , donc sur une vision anthropomorphique des Dieux qui semblent difficilement compatible avec la définition de la nature divine. (On peut voir ici un prélude des analyses d’Epicure, Spinoza… qi s’attaque aux représentations de « la foule », au déviation du sentiment religieux, la superstition).

2) il n’a pas par là défini le pieux, car un exemple n’est qu’un exemple, dire qu’une chose est pieuse, ce n’est pas dire ce qui fait qu’elle est pieuse, ce qu’on va retrouver ensuite dans tous les autres choses pieuses. Le pieux, c’est « le modèle », la règle qui permet ensuite d’identifier ce qui y correspond ( pas encore l’idée dans le monde intelligible de La république).

Euthyphron accepte de répondre à cette exigence : « ce qui est cher aux dieux est pieux »/ « ce qui ne leur est pas cher est impie » est la 1ère vraie définition !

II.b) examen de la vraie « 1ère définition: «  le pieux est ce qui est cher aux Dieux »

C’est celle qu’avait Euthyphron à l’esprit quand il se donnait en exemple-modèle de la piété.

Socrate, après avoir reconnu quelle  a la forme d’une définition (essentielle, commune, discriminante, cher/haï), va montrer qu’elle n’est pas valable car NON DISCRIMANTE et cela en reprenant ce qu’E. lui avait accordé auparavant : sa croyance à la THEOMACHIE ( les querelles, combats entre les Dieux ). Si E. admet cette croyance, il doit admettre que les Dieux ont aussi des motifs de se quereller, et ces motifs ne peuvent être que le signe de leur désaccord sur certains points, c’est que les mêmes choses ne leur sont pas chères, donc ce critère « être cher aux Dieux » est relatif. La même chose peut être chère aux uns ( donc pieuse) et pas chères aux autres (donc impie). Donc ce critère ne permet pas de distinguer le pieux de l’impie car ce qui est impie ne peut pas être pieux et inversement.

Socrate va amener E. à se rendre compte de cela progressivement :

1. P 262.  P265   analyse des objets des différends entre les hommes

(suggérant par là l’anthropomorphisme de cette théomachie, les Dieux sont comme les hommes ! )

Socrate distingue 2 types de jugements :

-les jugements de vérité (grandeur, poids)

-les jugements de valeurs (le juste, le beau, le bon)

Les différents concernant les jugements de vérité peuvent être tranchés : on sort le mètre ou la balance et le débat est clos.

Par contre, ce sont les valeurs qui sont source de colère et de haine réciproque CHEZ LES HOMMES COMME CHEZ LES DIEUX

P 265 Socrate reprend les exemples employés pour justifier son acte par E. ZEUS contre KRONOS et OURANOS ( sans père car premier) en  y ajoutant HERA opposé à HEPHAISTOS, son fils qui s’est révolté contre elle, voir p 306.

 (On peut penser que cette querelle de valeur vient sans doute du fait que ce domaine n’est pas celui de la rationalité mais du désir, de l’intérêt. On peut ici penser à Spinoza pour qui le fait que l’on désire donne par là de la valeur à  la chose, on ne désire pas quelque chose par qu’on la juge bonne, mais c’est parce qu’on la désire qu’elle est posée comme bonne. Le désir non pas comme manque, mais comme créateur de valeur.)

2. P 265.267.

EN REVANCHE, il  y   a donc UN POINT sur lequel les dieux  ( et donc les hommes !) s’accordent, même si personne n’a envie d’être puni en cas d’injustice, même si personne n’est d’accord sur le juste et l’injuste, l’injustice doit être punie ( puisque « personne (…) pour oser dire » qu’ « il ne faut pas administrer une peine à celui qui a commis une justice », P267)

Il y a donc accord sur la forme mais pas sur le fond, sur le principe mais pas la casuistique.

Si bien qu’avec ce point d’accord, Socrate invite E. à lui donner cet « INDICE » (p.267) qui lui permettra de définir le pieux comme ce qui est cher à TOUS les dieux ( pas seulement aux Dieux) et l’impie comme ce qui est haï de TOUS les dieux ( P268)  (c’est Socrate lui-même qui libère E. de la tâche est de démontrer la piété de son acte puis de donner cette nouvelle formulation de la définition)