La science

8 mai 2010 0 Par Caroline Sarroul

Introduction : science, croyance et vérité

  

 On a tendance spontanément à associer science et vérité et à opposer science et croyance. En effet, vu son objet d’étude, sa démarche, les applications techniques qu’elle permet, la science semble pouvoir répondre aux trois critères les plus solides des 4 critères de vérité.

1) Est vrai ce qui emporte ma conviction ( suffisante subjectivement mais insuffisante objectivement, ex. la foi, je crois fermement en l’existence de Dieu sans preuve, sans expérience mystique. OU insuffisante subjectivement et objectivement, ex: l’opinion à laquelle j’adhère sans raison objective, ni réel sentiment de conviction interne, je crois que…OU suffisante objectivement et subjectivement, c’est alors la certitude). Le problème, c’est que je peux être convaincu sans que ce à quoi je crois soit suffisant objectivement. La passion, l’intérêt, peuvent être par exemple les seuls fondements de ma conviction et parfois le sentiment de certitude est trop vite ressenti.

2) Est vrai ce qui est évident. Soit pour les sens, soit pour l’esprit de manière immédiate première  ou médiate et seconde. Mais ce n’est pas parce que je ne peux pas douter de quelque chose que la chose est pour autant indubitable. Par exemple DESCARTES en arrive à l’évidence du « je pense donc je suis » en ayant remis en question d’autres évidences et cette évidence est remise en question par Nietzsche, voyant dans le passage du constat d’une activité psychique à un acteur de cette activité , un « je » étant, un tic grammatical. Descartes serait une nouvelle victime de la grammaire, présupposant à tout verbe, un sujet et aussi prisonnier du désir de faire de l’âme, de l’esprit ce qui fait l’homme ( par opposition au corps-machine) et sa supériorité ( l’autorisant à soumettre le reste de la Nature dénuée de pensée)

3) Est vrai ce qui est le résultat d’une démonstration cohérente. Malgré quelques paralogismes et limites de cette vérité formelle que nous verrons en II, ce critère de la cohérence est assez solide.

4) Est vrai ce qui correspond à la réalité, à la manière d’une copie par rapport à un modèle. C’est le critère utilisé lorsqu’on prouve, montre et pas seulement démontre ou argumente.

Les 2 critères les plus solides sont donc la cohérence et surtout la correspondance. Critères auxquels  la religion et la philosophie, touchant au domaine métaphysique, donc échappant à toute expérience sensible et donc observation et expérimentation, ne peuvent pas satisfaire, même si le critère de la cohérence s’appliquant à la démonstration peut  donc aussi s’appliquer à l’argumentation .

 DONC si on associe naturellement science et véritéon, on  oppose tout aussi naturellement et logiquement, croyance et science et on peut même penser que ce qui constitue la science, c’est le fait de rompre avec la croyance, et cela à différents niveaux.

1) Au niveau de l’objet d’étude comme le souligne Auguste COMTE avec sa loi des 3 états du développement de l’esprit humain. Si la religion prétend répondre à toutes les questions ( Pourquoi? Pour quoi ? et Comment?) et concerne le champ du transcendantal (le Bien, le Vrai) et du métaphysique aussi bien que le physique, la science ( ou l’esprit positif) ,elle, se contente de traiter la question du comment? et d’en rester au plan de l’immanent. Ce que cherche la science, ce sont les loi effectivess, invariables des phénomènes et cela par « l’usage bien combiné du raisonnement et de l’observation ». L’esprit scientifique ou positif, c’est l’esprit arrivé à maturité, conscient de ses limites et modeste aussi dans ses ambitions. L’esprit positif est selon Comte, le dernier état de l’esprit et on peut penser qu’il pourra répondre à notre besoin de connaissance et de vérité. C’est en tout ce que croit et revendique le POSITIVISME du XIXème siècle.

2) Au niveau de la démarche.

  • « Quand l’esprit se présente à la culture scientifique, il n’est jamais jeune, il est même très vieux, il a l’âge de ses préjugés » (G BACHELARD). Et ses préjugés sont issus de l’opinion, de l’expérience première et de tendances naturelles de l’esprit à généraliser ou à substantialiser par exemple que Bachelard qualifie d’ OBSTACLES  EPISTEMOLOGIQUES. ( épistémée= science , en grec) Faire des sciences,  c’est en quelque sorte rajeunir en levant tous ces obstacles épistémologiques par « une catharsis (purification) intellectuelle et affective ». Donc l’idée de BACHELARD,  c’est que ce qui empêche le progrès de la science, ce n’est pas la complexité du réel, la difficulté à l’observer ou une insuffisance d’intelligence mais ce sont ces obstacles contre lesquels il faut être dans une mobilisation permanente tout au long de la démarche.

TEXTES    : 2 exemples d’obstacle épistémologique             

 Premier obstacle : l’expérience première

 « …en lisant les nombreux livres consacrés à la science électrique au XVIIIe siècle, le lecteur moderne se rendra compte, selon nous, de la difficulté qu’on a eue à abandonner le pittoresque de l’observation première, à décolorer le phénomène électrique, à débarrasser l’expé­rience de ses traits parasites, de ses aspects irréguliers. Il apparaîtra alors nettement que la première emprise empirique ne donne même la pas le juste dessin des phénomènes, même pas une description bien ordonnée, bien hiérarchique des phénomènes. (…) La pensée préscientifique ne s’acharne pas à l’étude d’un phéno­mène bien circonscrit. Elle cherche non pas la variation mais la variété. Et c’est là un trait particulièrement caractéristique : La recherche de la variété entraîne l’esprit d’un objet à un autre, sans méthode; I’esprit ne vise alors que l’extension des concepts; la recherche de la variation s’attache à un phénomène particulier, elle essaie d’en objectiver toutes les variables, d’éprouver la sensibilité des variables. Elle enrichit la compréhension du concept et prépare la mathématisation de l’expérience. Mais voyons l’esprit préscientifique en quête de variété. Il suffit de parcourir les premiers livres sur l’élec­tricité pour être frappé du caractère hétéroclite des objets où l’on recherche les propriétés électriques. Non pas qu’on fasse de l’électri­cité une propriété générale: d’une marnière paradoxale, on la tient à la fois pour une propriété exceptionnelle mais attachée aux substances les plus diverses. Au premier rang—naturellement—les pierres pré­cieuses; puis le soufre, les résidus de calcination et de distillation, les bélemnites*, les fumées, la flamme. On cherche à mettre en liaison la propriété électrique et les propriétés de premier aspect. Ayant fait le catalogue des substances susceptibles d’être électrisées, Boulanger en tire la conclusion que « les substances les plus cassantes et les plus transparentes sont toujours les plus électriques » .  

 Deuxième obstacle : la généralisation excessive, par une tendance naturelle à rechercher l’unité et de la simplicité

« Il n’appartient pas à tout le monde d’être étonné de ce que le lait se caille. Ce n’est point une expérience curieuse… C’est une chose si peu extraordinaire qu’elle en est presque méprisable. Cependant un Phi­losophe y peut trouver beaucoup de matière de réflexion; plus la chose est examinée, plus elle devient merveilleuse, et c’est la science qui est alors la mère de l’admiration. L’Académie ne jugea donc pas indigne d’elle d’étudier comment la coagulation se fait; mais elle en voulut embrasser toutes les différentes espèces pour tirer plus de lumières de la comparaison des unes aux autres. »  L’Académie étudie donc la coagulation sur le lait, le sang, le fiel, les graisses. Pour les graisses, qui figent dans nos assiettes, le refroidissement est une cause assez visible. L’Académie va alors s’oc­cuper de la solidification des métaux fondus. La congélation de l’eau est ensuite mise au rang d’une coagulation. Le passage est si naturel, il soulève si peu d’embarras, qu’on ne peut méconnaître l’action persua­sive du langage. On glisse insensiblement de la coagulation à la congé­lation . OU  « Quand la sève des arbres devient bois, et que le chyle* prend dans les animaux la solidité de leurs membres, c’est par une espèce de coagulation. Elle est la plus étendue de toutes, et peut, selon M. du Clos, s’appeler transmuta­tive. » on le voit, c’est dans la région de l’extension* maxima que se produisent les erreurs les plus grossières. (…) »

  • C’est ce que souligne ALAIN puisque même au terme de la démarche expérimentale, le scientifique s’interdirait de croire à ses propres résultats. C’est parce qu’il vise la certitude, c’est à dire une croyance suffisante subjectivement et objectivement suffisante, qu’il s’interdit en attendant toute conviction. C’est à dire une croyance suffisante subjectivement mais insuffisante objectivement. Et c’est d’ailleurs pour cela que la science se caractérise par son ouverture à la critique et par le fait qu’elle est une aventure collective.

 

TRANSITION : Ceci dit, comme le fait remarquer NIETZSCHE, si la science se définit en s’opposant à la croyance, c’est au nom de certaines croyances: « il n’y a pas de science sans présupposition »

« Dans la science, les convictions n’ont pas droit de cité, voilà ce que l’on dit à juste titre: ce n’est que lorsqu’elles se décident à s’abaisser modestement au niveau d’une hypothèse, à adopter le point de vue provisoire d’un essai expérimental, que l’on peut leur accorder l’accès et même une certaine valeur à l’intérieur du domaine de la connaissance – avec cette restriction toutefois, de rester sous la surveillance policière de la méfiance. Mais si l’on y regarde de plus près, cela ne signifie-t-il pas que la conviction n’est admissible dans la science que lorsqu’elle cesse d’être conviction? La discipline de l’esprit scientifique ne débuterait-elle pas par le fait de s’interdire dorénavant toutes convictions?… Il en est probablement ainsi reste à savoir s’il ne faudrait pas, pour que pareille discipline pût s’instaurer, qu’il y eût déjà conviction, conviction si impérative et inconditionnelle qu’elle sacrifiât pour son compte toutes autres convictions. On le voit, la science elle aussi se fonde sur une croyance, il n’est point de science « sans présupposition ». La question de savoir si la vérité est nécessaire ne doit pas seulement au préalable avoir trouvé sa réponse affirmative, cette réponse doit encore l’affirmer de telle sorte qu’elle exprime le principe, la croyance, la conviction que  » rien n’est aussi nécessaire que la vérité et que par rapport à elle tout le reste n’est que d’importance secondaire. »

NIETZSCHE

« Dans la science, les convictions n’ont pas droit de cité, voilà ce que l’on dit à juste titre: ce n’est que lorsqu’elles se décident à s’abaisser modestement au niveau d’une hypothèse, à adopter le point de vue provisoire d’un essai expérimental, que l’on peut leur accorder l’accès et même une certaine valeur à l’intérieur du domaine de la connaissance – avec cette restriction toutefois, de rester sous la surveillance policière de la méfiance. Mais si l’on y regarde de plus près, cela ne signifie-t-il pas que la conviction n’est admissible dans la science que lorsqu’elle cesse d’être conviction? La discipline de l’esprit scientifique ne débuterait-elle pas par le fait de s’interdire dorénavant toutes convictions?… Il en est probablement ainsi reste à savoir s’il ne faudrait pas, pour que pareille discipline pût s’instaurer, qu’il y eût déjà conviction, conviction si impérative et inconditionnelle qu’elle sacrifiât pour son compte toutes autres convictions. On le voit, la science elle aussi se fonde sur une croyance, il n’est point de science « sans présupposition ». La question de savoir si la vérité est nécessaire ne doit pas seulement au préalable avoir trouvé sa réponse affirmative, cette réponse doit encore l’affirmer de telle sorte qu’elle exprime le principe, la croyance, la conviction que  » rien n’est aussi nécessaire que la vérité et que par rapport à elle tout le reste n’est que d’importance secondaire. »

Donc la science reposerait sur un ensemble de croyances qui, ramenées à ce qu’elles sont, feraient chanceler l’édifice.

Selon NIETZSCHE,  il y a 3 croyances principales au fondement de la science et de la confiance qu’on lui accorde :

1) le réel est rationnel et intelligible donc il est possible de connaître la nature puisqu’elle est en quelque sorte écrite en langage mathématique et uniforme. Pour NIETZSCHE ce n’est qu’une fable et la science est incapable de pouvoir rendre compte de l’être.

2) la science croit en la valeur inconditionnelle de la vérité. Mieux vaut le vrai que l’erreur, l’illusion, l’apparence. Pour NIETZSCHE la science est l’héritière de la métaphysique platonicienne où le monde intelligible est placé au-dessus du monde sensible aussitôt dévalorisé et reste dans la logique et la représentation du monde religieuses, l’instinct de vérité n’est que l’instinct de mort, qui anime ceux qui ne peuvent , trop faibles qu’ils sont, accepter la Vie , sa dureté, son devenir et ses valeurs.

3) la science croit en la vertu de la vérité et du savoir : connaître, c’est bien, c’est le Bien. On retrouve ici SOCRATE qui associait connaissance, vertu et bonheur et donc ignorance, vice et malheur et la conséquence de 2).

  I – La science et ses croyances

  

 A- « Un empire dans un empire » : le scientifique est objectif

 On croit spontanément que la science est un ilôt  d’objectivité au coeur d’un océan de subjectivité, et que donc le scientifique serait à l’abri de pressions idéologiques, économiques, politiques, affectives, etc… Mais on peut penser que cette innocence de la science a été écornée par  certains cas extrêmes, qui ont  souligné que la science peut être, elle aussi,  au service de l’idéologie ( comme dans l’affaire LYSSENKO) et que parfois les scientifiques cèdent , comme chacun d’entre nous, à des préjugés, entrent dans une logique de concurrence car ce qui est en jeu dans la science ce n’est pas simplement la connaissance, mais c’est aussi la puissance. C’est ce que souligne l’affaire de PILTDOWN.

 PILTDOWN 1912-1953 : l’archéologue amateur anglais Charles Dawson découvre en septembre 1912 dans une sablière de la petite ville de Piltdown une mâchoire et un crane; en les réunissant, il pense avoir trouvé le crâne du chaînon manquant entre le singe et l’homme, la mâchoire ayant des traits simiesques ( de singe) et la boîte crânienne disproportionnée humaine soulignant la théorie selon laquelle ce qui a distingué l’homme des animaux, c’est son cerveau et sa taille. Donc on a présenté cette découverte comme étant le fossile  de l’Homo (Eoanthropus) Dawsoni, a datant de l’Acheuléen (Paléolithique inférieur) En 1959, des tests montrèrent définitivement qu’il n’était qu’une supercherie scientifique, pour l’instant non élucidée, car son auteur reste inconnu ( 40 personnes sont à ce jour soupçonnées, dont Dawson qui aurait pu enterrer lui même le soit-disant vestige). Mais ce qui est intéressant, c’est d’essayer de comprendre pourquoi pendant plus de 40 ans on y a cru, les scientifiques du monde entier se pressant à Piltdown: les anglais y ont cru par avantage ( le premier homme serait anglais et c’est le triomphe pour Dawson) et compétition ( aucune découverte majeure n’avait été jusqu’alors faite sur le sol anglais!) mais aussi par sacralisation de la découverte scientifique qui, mise au coffre, condamnait à ne travailler que sur des moulages. On peut aussi y ajouter un préjugé raciste: quelques années plus tard on a découvert en Chine un vestige de l’homme de Pékin, à la boite crânienne proportionnelle à la mâchoire et un tiers plus petit que celui de Piltdown, preuve que les orientaux sont dès le départ inférieurs aux occidentaux. Enfin, cela montre que l’on ne voit que ce qu’on a envie de voir ( les dents de la mâchoire portées en effet les traces d’un limage pour paraître usées), que l’on peut rendre cohérent l’incohérent apparent en construisant des raisonnements allant dans le sens de l’hypothèse que l’on veut voir triompher, que l’on est victime du savoir acquis ou reconnu au même d’une découverte ( la thèse du cerveau important dès le début de l’humanité  a été ensuite critiquée par l’idée que l’humanité est le résultat d’un triple processus de culturisation -cérébralisation- juvénilisation , comme le souligne Edgar Morin) et des limites des techniques et outils ( la datation au fluor en 1953 puis au carbonne en 1959 aurait montré immédiatement la supercherie, ce qui n’était pas le cas de la datation par couche géologique en 1912, celui qui avait enfoui le vestige, ayant pris la précaution d’en mettre d’autres d’une date pouvant tromper!)

Pour plus de détails, lisez donc Stephen Jay Gould, « L’affaire de l’homme de Piltdown »,  dans  Le Pouce du panda

 

 Lyssenko était un agronome ( sans formation d’agronomie!) qui a incarné de 1929 à 1965, la science officielle par opposition à la « science bourgeoise » incarnée par Darwin et Mendel. A la tête de l’académique des sciences soviétiques en 1938 , il prétend avoir démontré et prouvé que ces 2 scientifiques ont tort et que ceux qui les admettent doivent être envoyés au goulag ou ailleurs! Darwin a tort car il n’est pas possible selon l’idéologie communiste qu’il y ait lutte au sein d’une même espèce ( = d’une même classe!), c’est pourquoi Lyssenko va déduire de ses théories , la technique de la plantation en Bouquet, qui consiste à planter les graines les unes contre les autres, pour qu’il y ait une poussée solidaire ( resultat: ruine du plan agricole). Mendel avec sa théorie des mutations aléatoires et lentes, a aussi tort car la Révolution communiste est elle nécessaire et immédiate. On cherche donc à accorder la nature à l’idéologie, à lui donner un fondement scientifique et par là la science se nie et avec elle son effort d’objectivité et son principe: il n’ya pas des sciences mais une seule science et la vérité ne peut être plurielle. C’est ce qui amènera les scientifiques communistes français a quitté en masse le Parti, jusqu’à ce que Lyssenko tombe en disgrâce en 1965.

 

Ceci étant dit, il y a un effort général d’objectivité en science même s’il ne peut y avoir de connaissance sans sujet connaissant et objet d’étude.Et  comme le souligne POPPER, cette objectivité est plus une affaire collective qu’individuelle. C’est parce qu’il y a en science une tradition critique, parce qu’on échange des résultats, qu’on les confronte, qu’il y a au final objectivité. Et selon POPPER,  cette tradition doit être protégée par l’institution ( en ne laissant pas la science aux mains de privés) par le politique pour qu’il y  ait une intersubjectivité.

 

B – « Les faits sont donnés » et « l’expérience est reine », ARISTOTE       

( THEORIE et EXPERIENCE )

 

Pour opposer les sciences de la Nature à certaines sciences humaines, en particulier l’histoire, on a  souligné que si l’historien reconstruit les faits, le scientifique lui se contente de les recevoir et de les récolter. Et ce qui expliquerait le progrès de la science ce serait donc la qualité de l’observation permettant de meilleures inductions.

  1. C’est le principe de la théorie EMPIRISTE et INDUCTIVISTE de la science. En effet on part ici du principe que le scientifique tire de l’observation, la théorie. S’ il observe un nombre suffisant de fois dans des conditions variées le même phénomène et si il n’a pas fait d’observation contradictoire, il pourrait induire du particulier, une loi générale.
  • Par delà l’insuffisance des critères de l’induction (POPPER, La dinde de RUSSELL)

La petite fable de la dinde inductiviste, inventée par Bertrand Russell et rapportée par Chalmers, l’illustre bien :

«Dès le matin de son arrivée dans la ferme pour dindes, une dinde s’aperçut qu’on la nourrissait à 9 heures du matin. Toutefois, en bonne inductiviste, elle ne s’empressa pas d’en conclure quoi que ce soit. Elle attendit d’avoir observé de nombreuses fois qu’elle était nourrie à 9 heures du matin, et elle recueillit ces observations dans des circonstances fort différentes, les mercredis et jeudis, les jours chauds et les jours froids, les jours de pluie et les jours sans pluie. Chaque jour, elle ajoutait un autre énoncé d’observation à sa liste. Sa conscience inductiviste fut enfin satisfaite et elle recourut à une inférence inductive pour conclure : « Je suis toujours nourrie à 9 heures du matin. » Hélas, cette conclusion se révéla fausse d’une manière indubitable quand, une veille de Noël, au lieu de la nourrir, on lui trancha le cou»

(p. 40, Qu’est-ce que la science?, Alan Chalmers, 1990).

  • par delà l’inévitable arrière-fond théorique nécessaire par exemple pour savoir quelles conditions il est significatif de faire varier,

On ne peut observer sans  » préjugés « , et le scientifique qui essaierait de le faire, n’aboutirait à aucun résultat : » imaginons Heinrich Hertz, en 1888, effectuant l’expérience électrique qui lui permit d’ être le premier à produire et à détecter des ondes radio. S’il avait été parfaitement innocent en effectuant ces observations, il aurait été obligé de noter non seulement les lectures sur différents mètres, la présence ou l’absence d’étincelles à différents lieux critiques dans les circuits, etc., mais aussi la couleur des mètres, les dimensions du laboratoire, le temps qu’il faisait, la pointure de ses chaussures, et un fatras de détails sans aucun rapport avec le type de théorie qui l’intéressait et qu’il était en train de tester. (Dans ce cas particulier, Hertz testait la théorie électro-magnétique de Maxwell pour voir s’il pouvait produire les ondes radio qu’elle prédisait). « 

(p.66-67 ,Qu’est-ce que la science?, Alan Chalmers, 1990).

  • on peut remettre en question l’idée que les faits sont donnés en montrant que « les faits sont faits » (LE ROY).
  1. d’abord parce que voir n’est pas percevoir. Voir c’est recevoir par les sens un certain nombre de données un divers sensible. À partir de là, soit on part du principe que les sens nous suffisent à identifier l’objet (thèse empiriste), soit que les sens me donnent des effets, des manifestations, et il faut que par l’esprit, par une inspection, je remonte jusqu’à la cause. C’est la thèse que soutient DESCARTES ( thèse intellectualiste) avec son fameux morceau de cire qu’on croit connaître par les sens alors qu’il n’offre que des qualités accidentelles, secondaires de la cire. On perçoit la cire par ses qualités premières qu’on ne peut saisir que par l’esprit, donc on ne voit pas la cire, on la perçoit. Et si il y a erreur, ce n’est pas que les sens nous trompent, c’est que notre esprit s’est trompé.
  2. Si percevoir c’est déjà être actif, le scientifique est encore plus actif parce qu’il ne se contente pas de regarder, d’ouvrir les yeux, il observe, il investigue, c’est à dire littéralement il cherche des traces, celles de la théorie, celles qu’il a déjà ou celles qu’il cherche à prouver. Si bien que comme le dit BACHELARD, il y a toujours un plan d’observation et toute observation est une « observation polémique », c’est à dire qui vient infirmer ou confirmer une théorie. Par exemple le mouvement circulaire de la Terre est devenu une observation notable à partir du principe d’inertie de GALILÉE. Autre exemple de polémique TORICELLI et les fontainiers de Florence qui en 1643 observent qu’ils ne parviennent pas à élever l’eau de leur fontaine à plus de 10,33m alors que la nature a horreur du vide. Cette intervention donc les faits sont loin d’être donnés et on peut même dire qu’il n’y a pas de faits si il n’y a pas de reconstruction par le scientifique, c’est la différence entre un phénomène et un fait.
  3. Un phénomène naturel, c’est ce qui nous apparaît simplement, un fait scientifique, c’est un phénomène vu à travers une théorie comme un problème et expliqué par la théorie, vérifié par l’expérience, c’est quelque chose qu’on peut tenir pour une donnée réelle, c’est un fait établi par la science. Tout cela souligne le rôle prédominant de la théorie en science, c’est elle qui prend les devants, c’est elle qui force la nature à répondre à ses questions et c’est elle qui permet de dégager des lois générales.
  4. On est alors dans une autre perception de la science qui est celle de la thèse rationaliste, sur un modèle hypothètico-déductif où la théorie est essentielle: c’est par elle que les phénomènes deviennent des faits, c’est par elle que la science progresse, parce qu’elle pose
Modèle inductiviste :  

1-expérience

2-généralisation

3-théorie

Modèle hypothético-déductif :  

1- rencontre d’un problème

2- formulation d’hypothèses / théories

3- recours à l’expérience (test de l’hypothèse)

4- réfutation ou corroboration de l’expérie

 

Exemple montrant qu’en science, on ne peut pas induire une théorie de la simple observation, mais que c’est , à partir de cette observation, l’examen des différentes hypothèses qui, par élimination successive, permet d’arriver à une théorie pertinente. Cet exemple montre que les théories sont rejetées soit par un raisonnement soit par l’observation soit par une expérimentation. La procédure est toujours la même, on tire les conséquences  de la thèse examinée, on  en déduit des prévisions qu’ensuite on va vérifier.  Il y a donc un mouvement d’aller-retour entre l’observation et la théorie, la théorie indiquant à chaque fois ce qu’on devrait voir et ce qu’il faut donc regarder, observer et l’observation indiquant de nouvelles pistes, éclairée par la théorie. L’issue de cette recherche montre qu’aucune hupothèse ne peut être rejetée de manière arbitraire même si peu probable ( hyp 6), si elle apparaît plausible  et n’est pas incohérente, et que c’est parfois le hasard ( un accident pour l’hypothèse 7) qui permet de trouver l' »indice décisif » , favorable à une nouvelle hypothèse pertinente, décisive aussi!

 

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Exemple donné par Carl G. HEMPEL dans  Eléments d’épistémologie, pp. 5 à 9

Voilà ce qui est constaté:

« Pour illustrer de façon simple certains aspects importants de la recherche dans les sciences, prenons les travaux de Semmelweis sur la fièvre puerpérale. Ignace Semmelweis, médecin d’origine hongroise, réalisa ses travaux à l’hôpital général de Vienne de 1844 à 1848. Comme médecin attaché à l’un des deux services d’obstétrique – le premier – de l’hôpital, il se tourmentait de voir qu’un pourcentage élevé des femmes qui y accouchaient contractaient une affection grave et souvent fatale connue sous le nom de fièvre puerpérale. En 1844, sur les 3 157 femmes qui avaient accouché dans ce service n° 1, 260, soit 8,2 %, moururent de cette maladie; en 1845 le taux de mortalité fut de 6,4 % et en 1846 il atteignit 11,4%. Ces chiffres étaient d’autant plus alarmants que, dans l’autre service d’obstétrique du même hôpital, qui accueillait presque autant de femmes que le premier, la mortalité due à la fièvre puerpérale était bien plus faible : 2,3, 2 et 2,7 % pour les mêmes années. Dans un livre qu’il écrivit ensuite sur les causes et sur la prévention de la fièvre puerpérale, Semmelweis a décrit ses efforts pour résoudre cette effrayante énigme . »

Voilà la démarche utilisée

« Il commença par examiner différentes explications qui avaient cours à l’époque, il en rejeta certaines d’emblée, parce quelles étaient incompatibles avec des faits bien établis; les autres, il les soumit à des vérifications spécifiques.

Une opinion très répandue imputait les ravages de la fièvre puerpérale à des  influences épidémiques, que l’on décrivait vaguement comme des  » changements atmosphériques, cosmiques et telluriques  » qui atteignaient toute une zone déterminée et causaient la fièvre puerpérale chez les femmes en couches. Mais, se disait Semmelweis, comment de telles influences peuvent-elles atteindre depuis des années l’un des services et épargner l’autre ? Et comment concilier cette opinion avec le fait que, tandis que cette maladie sévissait dans l’hôpital, on en constatait à peine quelques cas dans Vienne et ses environs? Une véritable épidémie comme le choléra ne serait pas aussi sélective. Enfin, Semmelweis remarque que certaines des femmes admises dans le premier service, habitant loin de l’hôpital, avaient accouché en chemin : pourtant, malgré ces conditions défavorables, le pourcentage de cas mortels de fièvre puerpérale était moins élevé dans le cas de ces naissances en cours de route que ne l’était la moyenne dans le premier service.

Selon une autre thèse, l’entassement était une cause de décès dans le premier service. Semmelweis remarque cependant que l’entassement était plus grand dans le second service, en partie parce que les patientes s’efforçaient désespérément d’éviter d’être envoyées dans le premier.

Il écarte aussi deux hypothèses du même genre, qui avaient cours alors, en remarquant qu’entre les deux services il n’y avait aucune différence de régime alimentaire, ni de soins.

En 1846, une commission d’enquête attribua la cause du plus grand nombre des cas de cette maladie survenus dans le premier service aux blessures que les étudiants en médecine, qui tous y faisaient leur stage pratique d’obstétrique, auraient infligées aux jeunes femmes en les examinant maladroitement. Semmelweis réfute cette thèse en remarquant ceci : a) les lésions occasionnées par l’accouchement lui-même sont bien plus fortes que celles qu’un examen maladroit peut causer; b) les sages-femmes, qui recevaient leur formation pratique dans le second service, examinaient de la même façon leurs patientes sans qu’il en résultât les mêmes effets néfastes; c) quand, à la suite du rapport de la Commission, on diminua de moitié le nombre des étudiants en médecine et qu’on réduisit au minimum les examens qu’ils faisaient sur les femmes, la mortalité, après une brève chute, atteignit des proportions jusqu’alors inconnues.

On échafauda diverses explications psychologiques. Ainsi, on remarqua que le premier service était disposé de telle façon qu’un prêtre apportant les derniers sacrements à une pièce réservée aux malades : la vue du prêtre, précédé d’un servant agitant une clochette, devait avoir un effet terrifiant et décourageant sur les patientes des cinq salles et les rendre ainsi plus vulnérables à la fièvre puerpérale. Dans le second service, ce facteur défavorable ne jouait pas, car le prêtre pouvait aller directement dans la pièce réservée aux malades. Semmelweis décida de tester la valeur de cette conjecture. Il convainquit le prêtre de faire un détour, de supprimer la clochette, pour se rendre discrètement et sans être vu dans la salle des malades. Mais la mortalité dans le premier service ne diminua pas.

En observant que dans le premier service les femmes accouchaient sur le dos, et dans le second sur le côté, Semmelweis eut une nouvelle idée: il décida, comme un homme à la dérive qui se raccroche à un brin de paille, de vérifier, bien que cette supposition lui parût peu vraisemblable, si cette différence de méthode avait un effet. Il introduisit dans le premier service l’utilisation de la position latérale, mais, là encore, la mortalité n’en fut pas modifiée.

Finalement, au début de 1847, un accident fournit à Semmelweis l’indice décisif pour résoudre son problème. Un de ses confrères, Kolletschka, lors d’une autopsie qu’il pratiquait avec un étudiant, eut le doigt profondément entaillé par le scalpel de ce dernier et il mourut après une maladie très douloureuse, au cours de laquelle il eut les symptômes mêmes que Semmelweis avait observés sur les femmes atteintes de la fièvre puerpérale. Bien que le rôle des microorganismes dans les affections de ce genre ne fût pas encore connu à cette époque, Semmelweis comprit que la matière cadavérique que le scalpel de l’étudiant avait introduite dans le sang de Kolletschka avait causé la maladie fatale de son confrère. La maladie de Kolletschka et celle des femmes de son service évoluant de la même façon, Semmelweis arriva à la conclusion que ses patientes étaient mortes du même genre d’empoisonnement du sang lui, ses confrères et les étudiants en médecine avaient été les vecteurs de l’élément responsable de l’infection. Car lui et ses assistants avaient l’habitude d’entrer dans les salles d’accouchement après avoir fait des dissections dans l’amphithéâtre d’anatomie et d’examiner les femmes en travail en ne s’étant lavé que superficiellement les mains, si bien qu’elles gardaient souvent une odeur caractéristique.

Semmelweis mit alors son idée à l’épreuve. Il raisonna ainsi: s’il avait raison, la fièvre puerpérale pourrait être évitée en détruisant chimiquement l’élément infectieux qui adhérait aux mains. Il prescrivit donc à tous les étudiants en médecine de laver leurs mains dans une solution de chlorure de chaux avant d’examiner une patiente.

La mortalité due à la fièvre puerpérale commença rapidement à baisser et, en 1848, elle tomba à 1,27 % dans ce premier service contre 1,33 dans le second.

Comme confirmation supplémentaire de son idée, ou de son hypothèse, comme nous dirons aussi, Semmelweis remarque qu’elle rend compte du fait que la mortalité dans le second service avait toujours été nettement inférieure: les patientes étaient entre les mains de sages-femmes dont la formation ne comportait pas, en anatomie, de dissections de cadavres.

L’hypothèse expliquait aussi la mortalité plus faible lors des naissances en cours de route : les femmes qui arrivaient avec leur bébé dans les bras étaient rarement examinées après leur admission et avaient par là même plus de chances d’éviter l’infection.

De même, l’hypothèse rendait compte du fait que les nouveau-nés victimes de la fièvre puerpérale avaient tous pour mère une femme qui avait contracté la maladie pendant le travail; Car alors l’infection pouvait se transmettre au bébé avant la naissance par le sang irriguant la mère et l’enfant, alors que c’était impossible si la mère restait en bonne santé.

D’autres expériences cliniques conduisirent bientôt Semmelweis à élargir son hypothèse. Une fois, par exemple, lui et ses assistants, après s’être désinfecté soigneusement les mains, examinèrent la première une femme en travail, qui souffrait d’un cancer purulent du col de l’utérus; puis ils examinèrent douze autres femmes dans la même salle, après seulement un lavage de routine, sans nouvelle désinfection. Onze des douze patientes moururent de la fièvre puerpérale. Semmelweis en conclut qu’elle peut être causée, non seulement par la matière cadavérique, mais aussi par une matière putride provenant d’organismes vivants ».

 

Le problème est , à présent de savoir,  si ces lois décrivent la réalité ou l’expliquent, si les lois de la science l’expliquent  et sont bien les lois de la Nature, si les causes sont les vraies raisons.

C – La nature est uniforme, « écrite en langage mathématique », DESCARTES

  •  La science présuppose un déterminisme naturel, tout dans la nature obéit à la loi de la causalité, tout a une cause, les mêmes causes produisent les mêmes effets.

Si bien que comme le disait Laplace (1749-1827), si on connaissait l’état du monde à un temps t, on pourrait prévoir son état à un temps t’. C’est l’idée d’un déterminisme universel:

« Nous devons envisager l’état présent de l’Univers comme l’effet de son état antérieur, et comme la cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui pour un instant donné connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d’ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l’analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’Univers et ceux du plus léger atome : rien ne serait incertain pour elle, et l’avenir, comme le passé, seraient présents à ses yeux. »Laplace.

Il convient cependant de ne pas confondre ce déterminisme naturel ( nécessitarisme conditionnel , si… alors… ) avec le fatalisme ( nécessitarisme inconditionnel,  pas de si… que du alors…)qui voit, sous l’enchaînement des évènements, une intention divine. Le déterminisme naturel pose une causalité immanente ( pas transcendante à cet ordre) et nie toute finalité, même si on peut en voir une derrière. Car si le scientifique cherche des causes à tout, l’homme,lui , cherche en plus une raison à tout, d’où l’idée de Hasard, qui n’est pour la science n’est que ce dont on n’a pas encore trouvé la cause ( quand on connaîtra tout, il n’y aura plus de hasard!) et pour l’homme, ce qui doit  forcément avoir une raison mais qu’on ignore ( sans quoi ce qui est déterminant dans ma vie n’aurait pas de sens, ce qu’on ne peut admettre! Ce n’est pas par hasard qu’il se trouvait là et moi aussi!).

Sur la question du hasard, regardez donc: http://www.arte.tv/fr/Comprendre-le-monde/3207408.html

  •  Selon BACHELARD, cette idée d’un déterminisme universel n’est pourtant pas évidente. Ce qui caractérise la réalité qui nous entoure, c’est plutôt qu’elle apparaît variée, particulière, un peu désordonnée, d’où le pittoresque de l’expérience première non scientifique, et donc cette idée de déterminisme serait une projection de l’ordre observé dans  Ciel sur la Terre, au nom d’un principe d’harmonie de la nature.

« Si l’on voulait retracer l’histoire du Déterminisme, il faudrait reprendre toute l’histoire de l’Astronomie. C’est dans la profondeur des Cieux que se dessine l’Objectif pur qui correspond à un Visuel pur. C’est sur le mouvement régulier des astres que se règle le Destin. Si quelque chose est fatal dans notre vie, c’est d’abord qu’une étoile nous domine et nous entraîne. Il y a donc une philosophie du ciel étoile. Elle enseigne à l’homme la loi physique dans ses caractères d’objectivité et de déterminisme absolus. Sans cette grande leçon de mathématique astronomique, la géométrie et le nombre ne seraient probablement pas aussi étroitement associés à la pensée expérimentale; le phénomène terrestre a une diversité et une mobilité immédiates trop manifestes pour qu’on puisse y trouver, sans préparation psychologique, une doctrine de l’Objectif et du Déterminisme. Le Déterminisme est descendu du Ciel sur la Terre. »

Bachelard

Le problème est de savoir si ce n’est qu’une projection, une forme a priori de la connaissance ou  un caractère fondamental des phénomènes de la nature?

 Et sur cette question, trois positions sont possibles :

 1) L’empirisme de HUME

HUME est un empiriste, c’est à dire que pour lui toute connaissance vient de l’expérience. Ce qui fait qu’on va relier deux évènements selon un principe de causalité, c’est qu’il y a succession dans le temps et contiguïté dans l’espace (ça se touche). C’est pourquoi par exemple on va présupposer que c’est le choc de la bille 1 qui est la cause du mouvement de la bille 2. Mais comme le souligne HUME « quand je vois une boule de billard qui se meut en ligne droite vers une autre, ne puis-je pas concevoir que 100 événements différents pourraient aussi bien suivre cette cause ? ». Pourtant une des possibilités va être préférée et cela parce que à partir d’une conjonction coutumière pour nous, on va poser une connexion nécessaire dans les choses, c’est donc l’habitude qui nous amène à penser que le futur ressemblera au passé, que la même cause aura le même effet. Mais rien ne garantit que cette connexion soit réelle, universelle et nécessaire.

« C’est seulement par la coutume que nous sommes déterminés à supposer le futur en conformité avec le passé. Lorsque je vois une boule de billard se mouvoir vers une autre, mon esprit est immédiatement porté par l’habitude à attendre l’effet ordinaire, et il devance ma vue en concevant la seconde bille en mouvement. Il n’y a rien dans ces objets, à les considérer abstraitement et indépendamment de l’expérience, qui me conduise à former une conclusion de cette nature : et même après que j’ai eu l’expérience d’un grand nombre d’effets répétés de ce genre, il n’y a aucun argument qui me détermine à supposer que l’effet sera conforme à l’expérience passée. Les pouvoirs par lesquels agissent les corps sont entièrement inconnus. Nous percevons seulement leurs qualités sensibles : et quelle raison avons-nous de penser que les mêmes pouvoirs seront toujours unis aux mêmes qualités sensibles ?
Ce n’est donc pas la raison qui est le guide de la vie, mais la coutume. C’est elle seule qui, dans tous les cas, détermine l’esprit à supposer la conformité du futur avec le passé. Si facile que cette démarche puisse paraître, la raison, de toute éternité, ne serait jamais capable de s’y engager. »

Hume, Traité de la nature humaine

 2) Le criticisme de KANT

KANT a lu  HUME et il reconnaît le rôle de l’expérience dans la connaissance mais si la connaissance débute par l’expérience, cela ne veut pas dire qu’elle en dérive toute entière.

En réalité l’expérience offre la matière de la connaissance et l’esprit la met en forme selon des modes de liaisons a priori. Une matière sans forme, c’est une expérience aveugle, une matière informe, mais une forme sans matière, c’est une forme vide.

Mais quand on se représente quelque chose, c’est toujours dans la forme a priori, celle de notre esprit.

Cette représentation KANT l’appelle le phénomène mais comme ce n’est qu’une représentation,  il distingue le phénomène du noumène, c’est à dire la réalité en elle-même, en soi, indépendamment de notre représentation.

Selon KANT ce qui est soumis au principe de causalité, c’est la réalité phénoménale c’est à dire la réalité pour nous,  telle que nous la voyons, telle que nous la représentons, la pensons et pouvons la connaître.

Pour nous il n’y a pas d’autre réalité parce qu’on ne peut pas se représenter autrement les choses.

Le principe de causalité est vrai dans le sens où il correspond à notre représentation du réel, à ce qu’est le réel pour nous.

Mais on ne peut pas affirmer que ce principe correspond à la réalité en elle-même à laquelle nous n’avons d’ailleurs pas accès, puisqu’on doit se contenter à la manière dont elle nous apparaît.

Et même si on sait que cet apparaître n’est pas une simple  apparence ( sous entendu une illusion!) .

(…) dans le phénomène, les objets et même les qualités que nous leur attribuons sont toujours regardés comme quelque chose de réellement donné ; seulement, comme ces qualités dépendent du mode d’intuition du sujet dans son rapport à l’objet donné, cet objet n’est pas comme phénomène ce qu’il est comme objet en soi. (…) Ce serait ma faute si je ne voyais qu’une simple apparence dans ce que je devrais considérer comme un phénomène ». ( Critique de la raison pure, Esthétique . Transcentantale., (section) 8, GF p. 103).

Même si le fait que je ne trouve en lui que les conditions de ma constitution subjective ( les formes de mon esprit et de ma sensibilité qui me permettent de me le représenter) ne  déréalise pas le phénomène ( en disant que ce qui apparaît, n’est pas!), cela ne veut pas dire pour autant que le réel en soi soit strictement identique au réel pour moi!

Ce que nous percevons, connaissons n’est pas une illusion, mais on ne peut pas prétendre que ce soit une vérité, car on ne peut avoir l’intuition de ce noumène, de la réalité en soi, indépendamment de nous!

En réalité, on doit renoncer à répondre à cette question! Le noumène et son intelligibilité sont des concepts négatifs qui permettent de poser les limites de notre connaissance.

3. le réalisme rationaliste:  c’est  la troisième position qu’on trouve chez PLATON jusqu’à EINSTEIN, qui  va s’efforcer de montrer que notre manière de nous représenter la réalité correspond au réel. En particulier les mathématiques seraient capables de rendre compte de la structure de la réalité qui serait écrite en langage mathématique. C’est ce que va s’efforcer de démontrer PLATON dans le mythe cosmogonique du Timée qui rompt avec les explications mythologiques antérieures. Ces explications étaient des théogonies puisque les dieux étaient identifiés à des parties de la nature. Ici Dieu est extérieur au monde. Ses explications proposaient des créations exnihilo du monde (à partir de rien) alors qu’ici il existe déjà quelque chose : la KHÔRA, c’est à dire un chaos de matière. Et la création divine va consister à mettre en ordre ce désordre donc le Dieu créateur n’est plus qu’un démiurge, c’est à dire un artisan. Et d’ailleurs PLATON présente cette création comme une production artisanale. C’est à dire la mise dans la matière d’une idée issue d’une réflexion puisque pour créer le monde, le démiurge va réfléchir. C’est à dire, dans la conception de Platon,  qu’il va chercher dans le monde intelligible qui lui co-existe de toute éternité, l’Idée de monde.  L’avantage de cette conception, c’est qu’elle rend la science possible puisque par la réflexion, on peut retrouver l’idée qui a servie de modèle et elle permet d’affirmer que l’ordre mathématique pensé par l’esprit correspond bien à l’ordre du réel.

 EINSTEIN va s’inscrire dans la lignée de PLATON comme DESCARTES et GALILÉE, en partant du principe que « Dieu ne joue pas aux dés » et en soutenant un réalisme scientifique, c’est à dire que la science est capable de trouver l’idée d’un monde qui existe objectivement, qui n’est pas notre représentation mais la réalité tout court. Il refuse surtout par là l’idée de désordre et de hasard.

Cette phrase a été d’ailleurs prononcée contre la physique quantique, qu’Einstein refusait! « Je dois ressembler à une autruche qui sans cesse cache sa tête dans le sable pour ne pas faire face aux méchants quantas » disait-il , parce qu’il ne peut pas admettre que le réel décrit mis en équation mathématique ne soit pas le réel ou que le réel ne puisse pas être mis en équation.

D’où l’utilité des maths en physique comme le souligne ce lien: http://lewebpedagogique.com/physique/pourquoi-des-formules-mathematiques-en-physique/

Mais attention, cela ne va pas dire pour autant qu’Einstein était religieux:

il  précise d’ailleurs:

  1. en 1929 dans un télégramme au Rabbin Goldstein de New-York: « Je crois au Dieu de Spinoza, qui se révèle dans l’ordre harmonieux de ce qui existe, et non en un dieu qui se préoccupe du sort et des actions des êtres humains. »
  2. en 1954 dans une lettre: « ce que vous avez lu sur mes convictions religieuses était un mensonge, bien sûr, un mensonge qui est répété systématiquement. Je ne crois pas en un Dieu personnel et je n’ai jamais dit le contraire de cela, je l’ai plutôt exprimé clairement. S’il y a quelque chose en moi que l’on puisse appeler « religieux » ce serait alors mon admiration sans bornes pour les structures de l’univers pour autant que notre science puisse le révéler. »: une sorte de religion cosmique donc!

  

  

Complément d’information

 

De la physique classique à la physique quantique

La physique classique est fondée sur les principes : 

  1. de continuité (passage d’un point à un autre par les points intermédiaires)
  2. de causalité locale (enchaînement de cause et d’effet) et de séparabilité (plus on éloigne deux objets, moins ils ont d’interaction)
  3. de déterminisme et prévisibilité (prédiction de l’évolution d’un système à n’importe quel moment du temps)
  4. et d’objectivité (séparation totale entre l’observateur et l’objet).

 

  1.  Tout objet peut être localisé dans l’espace à tout moment, et répond soit à l’analyse de la trajectoire d’un corpuscule, selon sa masse et sa vitesse (lois de Newton), soit à l’analyse du déplacement d’une onde (lois de Maxwell). La physique classique est suffisante pour expliquer les phénomènes de la vie quotidienne car la vitesse quotidienne est infime par rapport à celle de la lumière, Pour les vitesses proches de celle de la lumière, la relativité entre en jeu [De plus, le temps s’écoule plus lentement si la vitesse se rapproche de celle de la lumière (c’est la dilatation du temps). La vitesse augmente la durée de vie (dans des accélérateurs, une particule à durée de vie très courte voit sa durée de vie augmenter à de très grandes vitesses proches de celle de la lumière). Les horloges mobiles retardent par rapport aux horloges fixes.]
  2. Il y a donc une réalité physique objective que l’on pouvait étudier sans que l’observation du physicien perturbe cette réalité. Ce qui n’est plus le cas en physique quantique, comme le montre la célèbre expérience des fentes de Young.

?Dans la physique quantique, les lois de Newton, applicables aux objets de grande taille, ne s’appliquent pas, ici, dans le domaine subatomique. Lorsqu’on se penche sur l’infiniment petit, il n’y a pas de monde physique objectif qui évolue de façon indépendante de nous. Le hasard remplace le principe de causalité. On ne peut connaître en même temps la position et la vitesse d’un objet quantique. Ce dernier peut être une chose et son contraire. Développée vers 1920-1930, la physique quantique est une théorie probabiliste et non plus déterministe.

  • Il y a donc une réalité physique objective que l’on pouvait étudier sans que l’observation du physicien perturbe cette réalité. Ce qui n’est plus le cas en physique quantique, comme le montre la célèbre expérience des fentes de Young.

    Cette expérience fut réalisée pour la première fois par Thomas Young en 1801 et a permis de comprendre le comportement et la nature de la lumière.

Cette expérience est ici expliquée par DR Quantum, un peu enfantin dans la forme, mais trés clair dans le fond!

[dailymotion]http://www.dailymotion.com/video/xb11ke_1-physique-quantique-dr-quantum_tech[/dailymotion] 

  •  D’où une nouvelle représentation de la matière : Les particules subatomiques ne sont pas des grains de matière solide (représentation chosique) mais des quanta, des paquets d’énergie en perpétuelle transformation. La matière nous apparaît comme stable et solide alors qu’en fait les particules forment des systèmes dynamiques qui subissent perpétuellement des transformations ou transmutations avec des phénomènes de création et d’annihilation, et ce flux dynamique est créateur d’énergie. La matière est en fait constituée d’espace vide traversé par quelques particules.

 

  • En physique classique : A est A (axiome d’identité), A n’est pas non A (axiome de non contradiction), et il n’existe pas de troisième terme qui soit à la fois A et non A (axiome du tiers exclu). En physique quantique : A est A et non A (axiome du tiers inclus), mais par ailleurs, A n’est ni A ni non A. Jusqu’alors, selon une logique apparente, une entité subatomique devrait être soit un corpuscule, soit une onde. En fait, pour la physique quantique, une particule est à la fois corpuscule et onde, mais elle n’est ni corpuscule ni onde. Selon la manière dont nous l’observons, elle apparaît soit comme particule, soit comme une onde. Comme Einstein l’avait montré en 1905 pour la lumière, la matière est aussi une coexistence d’ondes et de particules. L’apparence de la matière dépend de nous, elle nous apparaît tantôt comme des ondes, tantôt comme des particules. Cette apparence dépend de la façon dont nous observons la matière. Les ondes électromagnétiques peuvent se comporter comme des corpuscules. A tout corpuscule est associé une onde. La matière s’est dématérialisée, s’est « déchosifiée » selon l’expression de Bernard d’Espagnat.

C’est ce que montre la fameuse expérience mentale du chat de Schrödinger

  [dailymotion]http://www.dailymotion.com/video/x5sy12_le-chat-de-schrodinger_tech[/dailymotion]  

  • On ne peut connaître simultanément, et avec la même précision, la position et la vitesse d’une particule (principe d’incertitude d’Heisenberg énoncé en 1927). On ne peut que prédire une probabilité d’existence. Toute mesure modifie la grandeur mesurée. L’observation n’est pas neutre, contrairement à ce qui ce passe dans le monde macroscopique. On ne peut prédire le moment où un atome va se désintégrer. Le hasard règne sur le monde microscopique. Le monde quantique n’est pas représentable visuellement. L’électron ne tourne pas autour du noyau et on ne peut se représenter une trajectoire pour les particules. La physique quantique attribue à une particule une probabilité de présence en un endroit donné et à un temps voulu. Il est impossible de fournir un modèle de la réalité qui représenterait les événements eux-mêmes et non leur probabilité de présence.

 

  • La physique classique étudie des objets séparés et indépendants. Elle suppose l’existence d’objets extérieurs que l’on peut étudier indépendamment. Dans le monde microscopique, à l’encontre du principe de causalité locale et de séparabilité, il existe des connexions non locales et inexplicables entre des éléments qui se révèlent tous interdépendants même s’ils sont séparés par de grandes distances : il y a violation du principe de séparabilité et on ne peut parler séparément de chacune des particules. Ces connexions, ces variables cachées non locales, sont situées hors de notre espace-temps, dans un autre niveau de réalité, mais elles ont une influence dans notre monde. Ainsi la célèbre expérience d’Alain Aspect en 1982 (confirmée par celle de Nicolas Gisin en 1997 sur une distance de dix kilomètres entre les deux particules) a montré que deux particules qui sont entrés en interaction à un moment donné gardent chacune des informations sur l’autre même si elles se trouvent éloignées l’une de l’autre (plus de 12 mètres dans l’expérience d’Aspect).

Ce phénomène de l’intrication  est ici expliqué par DR Quantum, toujours un peu enfantin dans la forme, mais trés clair dans le fond!

[dailymotion]http://www.dailymotion.com/video/xb1g0l_3-physique-quantique-dr-quantum_tech[/dailymotion]

 

En tout cas selon Russell dans Science et religion, « c’est chose singulière que l’argument le plus fort contre le déterminisme à l’heure actuelle, découle également de la physique » ( p108)

II – Science et vérité

 La science établit deux types de vérités:

  1. Des vérités formelles concernant des rapports entre les idées. Ces vérités de la raison concernent l’accord de l’esprit avec lui-même et des rapports dans les idées « sans tenir compte de ce qui peut se passer dans l’univers » selon HUME. Le critère de vérité est ici la cohérence. Les vérités de la raison sont issues de démonstrations. Démontrer c’est raisonner donc c’est une opération discursive par laquelle on enchaîne des jugements en obéissant à des règles formelles. Un raisonnement peut être inductif (particulier -> général) ou déductif (général -> particulier). Une déduction peut être formelle, immédiate ( par conversion) ou médiate, ou constructive. Dans le premier cas, on passe d’une proposition à une autre, comme « tous les hommes sont mortels » donc « aucun homme n’est immortalité. On peut ici faire réfernce au carré logique d’Aristote. Dans le second cas, on passe avec deux propositions à une troisième, comme dans un syllogisme qui n’est qu’un passage de l’implicite à l’explicite, qu’un moyen d’exposer la vérité (tautologie).  Dans une déduction constructive, il y a une progression mais une démonstration s’appuie toujours sur du non-démontré, que ce soit un axiome c’est à dire une proposition si évidente qu’il n’est pas nécessaire de la démontrer ou un postulat, c’est à dire une proposition qu’on nous demande d’admettre sans pouvoir la démontrer. Donc ces vérités formelles sont toujours conditionnelles et ne sont que formelles (à moins qu’on présuppose que l’ordre du réel corresponde à l’ordre de l’esprit) et on n’est pas à l’abri d’un syllogisme
  2. Les vérités matérielles concernent, elles, le rapport entre les idées et la réalité et des rapports dans les choses. Donc ici le critère de vérité c’est donc la correspondance avec le réel. On peut penser cette correspondance sur le modèle de la copie mais cela soulève différentes difficultés:

1) un énoncé scientifique est une loi or une loi ne copie rien puisqu’elle est général, universelle alors que le réel est toujours particulier, c’est cela qui avait amené POPPER à soutenir qu’il est impossible de vérifier un énoncé scientifique puisqu’on ne peut pas faire toute l’expérience possible. Aussi pour lui on doit renoncer à parler de vérité. Un énoncé scientifique ne peut être que corroboré, faire ses preuves à chaque nouveau test, mais pas être prouvé.

2) il peut y avoir plusieurs théories copiant une même réalité (GALILÉE qui exxplique que l’on peut obtenir un jour et une nuit en faisant tourner la terre autour du soleil comme la terre autour du soleil), ce qui fait qu’on va retenir une théorie plutôt qu’une autre:

  • C’est selon POPPER qu’elle est pour l’instant non falsifiée, même si ce qui est falsifié n’est pas forcément faux car « l’échec de la prédiction peut venir de n’import quelle partie de la situation complexe soumise aux tests autre que la théorie elle-même » selon Alan Chalmers dans Qu’est-ce que la science?, comme par exemple des instruments techniques utilisés (exemple de la querelle entre Pasteur et Pouchet en 1864) ou des limites des connaissances acquises ou du paradigme dans lequel se trouvent les scientifiques à une époque. C’est l’hypothèse que fait KUHN pour qui les scientifiques sont prisonniers d’une certaine manière d’appréhender le réel, de l’interroger et cela parce qu’ils ont contracté inconsciemment les mêmes habitudes intellectuelles de faire des analogies, de construire des exemples au moment de leurs études et sont les héritiers d’une science traditionnelle. Pour lui, la science ne peut avancer que par révolution quand le paradigme admis s’avère trop souvent démenti par un grand nombre « d’anomalies » ( même si des paradigmes différents peuvent coexistent). Dès lors peut avoir lieu une révolution, c’est-à-dire un brusque  changement de paradigme.

Par exemple, un ARISTOTÉLICIEN ne peut pas voir le pendule que voit immédiatement GALILÉE non pas seulement parce que GALILÉE est un génie mais aussi  parce qu’il a reçu au cours de sa  formation, la théorie moyen-âgeuse de l’impétus, selon laquelle un corps lourd aurait un mouvement continu dû à une puissance interne implantée en lui par ce qui est à l’origine du mouvement.

 

  •  Ceci dit, ce qui fait qu’on retient une théorie scientifique comme vraie, c’est en plus de la non-falsification, le fait qu’elle soit cohérente avec les connaissances déjà acquises et qu’elle fasse l’accord de la communauté scientifique, critère de l’inter-subjectivité.

Mais ces critères et le constat de l’évolution des théories scientifiques obligent à reconnaître qu’on ne peut plus parler de vérité absolue, universelle en science, donc plus de vérité du tout.

 À moins qu’on ne pense la vérité autrement comme le suggère William JAMES.

Pendant longtemps, on a associé la science à une aventure de la connaissance pure et désintéressée. « Théoria » en grec signifie contemplation. Dans ce cas l’horizon de la science était la Vérité et ce qu’il s’agissait absolument d’éviter, c’était l’erreur, l’explication qui ne corresponde pas à la réalité.

Mais à partir de Descartes, on a vu la science comme promesse d’applications techniques, elle permettrait aussi de nous rendre « comme maître et possesseur de la nature ».

Idée reprise au XIXème siècle par Auguste COMTE « science d’où prévoyance, prévoyance d’où action ».

Ce qui permet au philosophe RUSSELL de dire que « la connaissance scientifique cesse d’être un miroir mental de l’univers pour devenir un simple instrument à manipuler la matière. Dès lors il n’est plus nécessaire d’attendre de la science qu’elle explique le réel.

Il suffit qu’elle le décrive de manière à pouvoir agir efficacement sur le réel ; comme le souligne BERGSON explicitant la théorie pragmatique de W.James ( pragma = action), une théorie est vraie non pas parce qu’elle correspond à ce qui a été, qui est et qui sera toujours mais parce qu’elle correspond à ce qu’elle sera. Ce critère pragmatique permet à nouveau de parler de vérité, même si il reste impossible de montrer qu’une théorie correspond à la réalité.

Ceci dit comme le soutient Hilary. PUTNAM avec sa théorie du non-miracle, le réalisme scientifique est la seule théorie qui fait du succès de la science quelque chose qui ne soit pas un miracle continu.

Donc même si on n’attend pas de la théorie que qu’elle permette d’agir efficacement dans le réel, de le prévoir avantageusement, si la théorie « marche » , c’est qu’elle doit bien en un sens « correspondre « au réel, même si là n’est pas l’essentiel et si cela est peut-être impossible à montrer.

  

Conclusion

 

L’analyse de la démarche scientifique, du statut de la vérité en science a soulevé le problème du réalisme de la science et plus largement de ce que nous entendons par réel. Parce que une des définitions du réel, c’est d’être ce qui a été établi, vérifié par la science. Après KANT et la physique quantique, on peut se demander si cette réalité n’est pas qu’une image, qu’une représentation dans l’esprit de l’homme et une image ou une facette parmi d’autres.  Car il y a d’autres manières d’approcher la réalité et on peut penser que non seulement la science ne découvre pas forcément  les lois de la réalité, mais aussi   peut-être la masque ou même la manque.

NIETZSCHE soutient que la science n’est qu’une représentation simplifiée, rassurante de la réalité, le scientifique cherchant à masquer le flot des évènements du devenir par des phénomènes isolés les uns des autres, par des lois invariables. Selon NIETZSCHE,  le scientifique appartient à la même lignée que les philosophes et les théologiens, celle de l’idéal ascétique qui place au-dessus de la vie et de ses valeurs, la connaissance et la vérité. « Ne serait-ce pas l’instinct de la peur qui nous commanderait de connaître. Le ravissement qui accompagne l’acquisition de la connaissance ne serait-il pas la volupté de la sécurité retrouvée ? » Preuve que la vérité n’est qu’une illusion réconfortante alors que le vrai critère de vérité, c’est la douleur, celle qui accompagne la difficulté de vivre.

Sans aller jusque là,  on peut penser que la science n’offre qu’une représentation quantitative de la réalité alors qu’on peut en avoir une approche qualitative. C’est ce que suggérait BERGSON quand il distinguait l’intelligence et l’intuition. L’intelligence est avant tout pratique, fabricatrice, elle veut posséder le réel pour qu’on y survive et pour cela elle divise, elle décompose, elle fige etc… À l’inverse l’intuition s’efforce d’entrer en sympathie avec le monde, elle s’abandonne, elle cherche l’unique, l’impermanent.

De la même manière MERLEAU-PONTY soulignera la complémentarité de la science et de l’art. La science veut rendre le monde disponible et pour cela elle gomme les qualités. L’art veut rendre le monde habitable en révélant ses qualités et son sens.

La science propose une approche intellectuelle du monde qui a entraîné depuis PLATON, la condamnation du corps (allégorie de la caverne – « philosopher, c’est apprendre à mourir » : c’est libérer l’âme du corps). Alors qu’on peut avoir une approche charnelle du monde.  Au lieu de vouloir le dominer, on peut aussi s’y abandonner.