D’où viennent nos croyances ( et donc nos opinions, erreurs et illusions)?

15 septembre 2010 0 Par Caroline Sarroul

 

Ce qui fait que l’on ne s’interroge pas, que l’on ne doute pas, que l’on ne désire pas savoir ( et donc qu’on ne philosophe pas, comme le savant ou celui qui sait que ses croyances ne sont que des croyances mais ‘a pas envie de savoir ou le souci de la connaissance et de la vérité), c’est qu’on croit!

Croire, c’est adhérer à une idée sans justification objective suffisante, à savoir sans démonstration, ni preuves ( en partant du principe qu’elles sont suffisantes, mais c’est une autre question!). Cette adhésion est cependant subjectivement suffisante , ce qui fait aussi que l’on adhère au monde de nos croyances: on a un sentiment d’évidence, de proximité qui fait que nous ne sous sentons pas étranger à nous-mêmes et au monde. On est installé dans une représentation confortable et suffisante du monde, sans conscience que cette représentation est sans fondement rationnel solide et ne peut être une certitude, qui est certes une croyance mais subjectivement ET objectivement suffisante ( même si on peut intérroger les sources de la connaissance et les fondements de cette certitude).

 

C’est cet état d’ignorance et de croyance  que décrit l’allégorie de la caverne de Platon,  qui permet de saisir quelques unes des multiples  causes de la croyance  que sont:

  1. le fait de se fier à ce que nous disent nos sens : la connaissance sensible qui fait selon Platon, de nous, des victimes des apparences  ( même si ce ne sont pas nos sens qui nous trompent en réalité, mais notre esprit, notre entendement qui infère mal, conjecture mal à partir de ce qu’ils ne peuvent que constater au regard de leur point de vue, de leur structure et de leur état) ou qui nous condamnent à une connaissance partielle et superficielle
  2. le fait de s’enfoncer dans l’habitude qui fait qu’on ne regarde même plus, qu’on ne s’étonne plus, ne s’interroge plus
  3. le fait d’être dans l’opinion commune, le confort de la majorité et du conformisme qui permet de satisfaire en partie notre désir de reconnaissance
  4. le fait d’être victime d’un conditionnement, d’une manipulation idéologique ( certains ont peut-être intérêt à ce que l’on croit certaines choses, par exemple que l’on se croient libres, pour pouvoir ensuite être tenus comme responsables et coupables )

 

Mais il y a bien d’autres causes à nos croyances  qui sont souvent des erreurs ou/et des illusions, et la distinction de ces 2 états de crédulité infondée permet d’en saisir une des autres causes importantes : LE DESIR

 

FREUD

« Une illusion n’est pas la même chose qu’une erreur, une illusion n’est pas non plus nécessairement une erreur. L’opinion d’Aristote, d’après laquelle la vermine serait engendrée par l’ordure opinion qui est encore celle du peuple ignorant – était une erreur ;de  même, l’opinion qu’avait une génération antérieure de médecins, et d’après laquelle le tabès aurait été la conséquence d’excès sexuels. Il serait impropre d’appeler ces erreurs des illusions, alors que c’était une illusion de la part de Christophe Colomb, quand il croyait avoir trouvé une nouvelle route maritime des Indes. La part de désir que comportait cette erreur est manifeste. On peut qualifier d’illusion l’assertion de certains nationalistes, assertion d’après laquelle les races indogermaniques seraient les seules races humaines capables de culture , ou bien encore la croyance d’après laquelle l’enfant serait un être dénué de sexualité, croyance détruite pour la première fois par la psychanalyse. Ce qui caractérise l’illusion, c’est d’être dérivée des désirs humains.(…) L’illusion n’est pas nécessairement fausse, c’est à dire irréalisable ou en contradiction avec la réalité. Une jeune fille de condition modeste peut par exemple se créer l’illusion qu’un prince va venir la chercher pour l’épouser. Or, ceci est possible; quelques cas de ce genre se sont réellement présentés.(…) Ainsi, nous appelons illusion une croyance quand, dans la motivation de celle-ci la réalisation d’un désir est prévalente, et nous ne tenons pas compte, ce faisant, des rapports de cette croyance à la réalité, tout comme l’illusion renonce elle-même à être confirmée par le réel. »  

L’analyse de la superstition ( déviation impie du sentiment religieux) dans la préface du  Traité théologico-politique par Spinoza confirme ce lien entre l’ illusion -qui est  parfois aussi une erreur, dont la cause principale reste l’ignorance du réel et la volonté de s’accorder avec lui- et le désir comme moteur de nos craintes et espoirs quand ils  s’aventurent au-delà de ce qui dépend de nous, de nos forces, de notre pouvoir ( d’où la distinction épicurienne entre les désirs naturels et les désirs vains, d’où l’appel des stoïciens à bien distinguer ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous, d’où la nécessité de penser nos désirs, de les analyser, de les critiquer.)

SPINOZA

« Si les hommes étaient capables de gouverner toute la conduite de leur vie par un dessein réglé, si la fortune leur était toujours favorable, leur âme serait libre de toute superstition. Mais comme ils sont souvent placés dans un si fâcheux état qu’ils ne peuvent prendre aucune résolution raisonnable, comme ils flottent presque toujours misérablement entre l’espérance et la crainte, pour des biens incertains qu’ils ne savent pas désirer avec mesure, leur esprit s’ouvre alors à la plus extrême crédulité ; il chancelle dans l’incertitude ; la moindre impulsion le jette en mille sens divers, et les agitations de l’espérance et de la crainte ajoutent encore à son inconstance. Du reste, observez-le en d’autres rencontres, vous le trouverez confiant dans l’avenir, plein de jactance et d’orgueil. (…)On voit par là que les hommes les plus attachés à toute espèce de superstition, ce sont ceux qui désirent sans mesure des biens incertains ; aussitôt qu’un danger les menace, ne pouvant se secourir eux-mêmes, ils implorent le secours divin par des prières et des larmes ; la raison (qui ne peut en effet leur tracer une route sûre vers les vains objets de leurs désirs), ils l’appellent aveugle, la sagesse humaine, chose inutile ; mais les délires de l’imagination, les songes et toutes sortes d’inepties et de puérilités sont à leurs yeux les réponses que Dieu fait à nos vœux. (…) Tel est l’excès de délire où la crainte jette les hommes. La véritable cause de la superstition, ce qui la conserve et l’entretient, c’est donc la crainte. »( de ne pas voir leur désir réalisés!!)

L’analyse des superstitions et la découverte de leur origine historique et souvent religieuse permet aussi de saisir d’autres causes de nos croyances:

 » Le 13 comme porte-malheur– Dans l’Antiquité, le 12 était un nombre « parfait » : les 12 dieux de l’Olympe, les 12 signes du Zodiaque, les 12 mois du calendrier… Le 13 était le nombre qui venait rompre cette perfection, il était donc considéré comme « néfaste ».
– Dans la Bible, la Cène réunit à la même table les 12 apôtres plus le Christ… qui sera trahi par Judas, le 13ème convive !
( Mais En Italie, c’est le 17 qui porte malheur (car en chiffres romains il s’écrit XVII, anagramme de Vixi : « J’ai vécu » en latin; en Asie (notamment au Japon), c’est le 4 qui porte-malheur. Sa prononciation est identique à celle du mot « mort »)

Vendredi 13: -A Rome, dans l’Antiquité, le vendredi était le jour où l’on exécutait les condamnés à mort.- D’après la Bible, Jésus Christ a été crucifié un vendredi (le vendredi saint).- Dans la mythologie nordique, le vendredi était le jour où l’on célébrait Freya, femme d’Odin et reine des dieux (en anglais, vendredi se dit « friday » qui est la contraction de « Freya’s day », le jour de Freya). La christianisation des pays nordiques a diabolisé cette fête païenne, et le vendredi est devenu un jour maudit, celui où les sorcières organisaient leur sabbat…

Passer sous une échelle: référence à la la Bible , à l’échelle appuyée contre la croix du Christ lors de sa crucifixion. Passer dessous serait un sacrilège ou le triangle formé par l’échelle, le mur et le sol est un symbole de la Sainte-Trinité chrétienne : en passant sous l’échelle, on brise cette Sainte-Trinité, d’où punition et malheur…

Croiser un chat noir: le chat a été, avec le rat, l’un des principaux vecteurs des épidémies de peste noire qui ont décimé l’Europe au Moyen Age. Le chat noir, invisible la nuit, pouvait faire naître de véritables psychoses collectives, d’où sa mauvaise réputation…

Sel renversé: les Romains, après la conquête d’une territoire qu’ils ne pouvaient occuper, recouvraient les terres de sel afin que rien ne puisse plus y pousser. Du coup, lorsque du sel était répandu sur les tables durant les repas, c’était un mauvais augure, le signe qu’un grand malheur allait se produire…

Pain retourné: au Moyen Age, le jour des exécutions publiques, le boulanger retournait toujours le pain destiné au bourreau. Ce personnage lugubre, qui procédait à l’exécution des condamnés, était le symbole de la mort et il était très craint… En retournant le pain qui était destiné à son repas, le boulanger s’assurait que personne ne toucherait à ce pain qui lui était réservé et ne s’attirerait la colère du sinistre bourreau !

Ne pas allumer 3 cigarettes avec la même allumette: Pendant la Première Guerre mondiale, pendant cette guerre des tranchées, lorsque les soldats trompaient leur ennui en fumant durant les longues nuitées de veille. Un soldat ennemi pouvait repérer la flamme de l’allumette qui embrasait la première cigarette, ajuster sa visée à la deuxième cigarette, et tirer à la troisième… »

  • le poids de la tradition et du passé
  • « l’expérience » qui confond corrélation et causalité
  • la poids de la religion dans notre représentation du monde, même si nous ne sommes pas adeptes de cette religion
  • l’absence d’examen critique
  • l’argument d’autorité
  • la connaissance par ouïe-dire

Cette distinction erreur/illusion permet de comprendre la différence entre corriger une erreur et dissiper une illusion, entre la facilité de la correction de la première ( il suffit de sortir de l’ignorance et de progresser dans le savoir) et la difficulté de la dissipation de la seconde ( renoncer à ses désirs, à ses représentations, accepter le réel et d’en faire son référent incontournable, se résoudre à accepter le principe de réalité, aurait dit Freud, alors que notre inconscient ne connaît que le principe de plaisir et que nous restons souvent dans la toute-puissance infantile).

L’analyse des sources de la croyance religieuse permet de saisir d’autres causes ( dont les conséquences ou les limites des pouvoirs de la raison) , voir dans le cours sur la religion, la partie sur les raisons, le besoin de croire.