La conscience de soi localisée !?

10 octobre 2010 0 Par Caroline Sarroul

 

  

Le 16 Septembre, une dépèche AFP tombait et sur le monde.fr, on titrait La conscience se trouve juste derrière les yeux, sur le figaro.fr La conscience de soi localisée…

C’était donc le grand soir pour les matérialistes, les neurosciences et la psychologie cognitive. Le projet commun de ces dernières est en effet  « de tenter de combler le fossé entre l’expérience subjective de conscience (conscience à la première personne) et l’observation objective des phénomènes neuraux (conscience à la troisième personne).[…] afin de mettre en lien les mesures objectives et subjectives de la conscience »,  comme l’indique l’Unité de recherche Conscience, Cognition et Computation (Co3)  de la Faculté des Sciences psychologiques et de l’Educationde Bruxelle qui travaille en collaboration avec le Professeur Geraint Rees 

Pourtant voilà la dépèche: 

« WASHINGTON – La capacité d’introspection paraît liée au volume de matière grise dans la partie frontale du cerveau révèlent des travaux publiés jeudi qui pourraient ouvrir la voie à des thérapies pour des personnes victimes d’attaque cérébrale ou de traumatisme crânien.Cette région cérébrale est la partie antérieure du lobe frontal du cerveau située juste derrière les yeux et paraît être plus développée chez des personnes ayant une plus grande capacité de réflexion sur eux-mêmes, selon cette étude britannique publiée dans la revue américaine Science datée du 17 septembre.Les auteurs sont parvenus à cette conclusion après avoir soumis un groupe de 32 personnes en bonne santé à un test destiné à évaluer leur degré de confiance en eux-mêmes dans leurs réponses à des questions. Ces questions étaient à dessein difficiles, car le but était d’évaluer les différents degrés de capacité des participants à réfléchir à leur propre choix de réponse.Ces derniers devaient observer deux écrans montrant chacun six différentes formes géométriques dont une seule –des douze– était légèrement plus brillante que les autres.Non seulement ils devaient sélectionner cette dernière mais aussi évaluer leur degré de confiance dans leur choix. « C’est comme Qui veut gagner des millions? », observe Rimona Weil, de l’University College London, un des co-auteurs de cette communication. « Un participant introspectif donne sa réponse après y avoir réfléchi et en être sûr alors qu’un autre, moins introspectif, ne sera pas aussi efficace à juger la probabilité que sa réponse est exacte », explique ce chercheur.Les auteurs de l’étude, dirigée par le Professeur Geraint Rees de l’University College London, ont ensuite examiné le cerveau de ces sujets à l’aide d’un système d’imagerie par résonance magnétique (IRM). Ils ont conclu que le volume de matière grise dans cette zone est un important indicateur de la puissance d’introspection. Cette partie du cerveau est le siège de différentes fonctions cognitives supérieures comme celle du langage, de la mémoire de travail et du raisonnement. C’est également l’une des zones cérébrales ayant subi le plus important développement au cours de l’évolution des primates jusqu’aux hominidés.Ces chercheurs soulignent néanmoins que cette découverte ne veut pas forcément dire qu’une personne dotée de davantage de matière grise dans cette région du cerveau a de plus grandes capacités d’introspection que les autres. L’étude établit seulement une corrélation entre la structure de la matière grise et la matière blanche du cortex préfrontal à différents niveaux d’introspection que des personnes pourraient avoir.La matière grise est formée des neurones, tandis que la matière blanche contient les fibres nerveuses formant le câblage dans le cerveau. Elles sont entourées d’une gaine de myéline protectrice de couleur blanche servant d’isolant et qui facilite la transmission des signaux électriques.A l’avenir, cette découverte pourrait aider les neurologues à mieux comprendre comment certains traumatismes affectent la capacité d’un individu à réfléchir sur ces propres pensées et actions, estiment les chercheurs.Une telle compréhension pourrait potentiellement aboutir au développement de thérapies ciblées pour des victimes d’attaque cérébrale ou ayant subi un important traumatisme et qui ne peuvent même pas être conscients de leur état. »Si on parvient à comprendre la conscience de soi au niveau neurologique, il sera alors possible d’adapter des traitements et de développer de nouvelles techniques d’exercice mental des patients », selon ces chercheurs.  » (©AFP / 16 septembre 2010 20h01) 

  

Voilà le communiqué  diffusé  par l’AAAS ( American Association for the Advancement of Science) encore plus mesuré que les titres accrocheurs de nos journaux! 

  

Une région du cerveau liée à l’introspection. Une structure du cortex préfrontal aide à réfléchir sur ses propres pensées

« Une région particulière du cerveau s’avère plus développée chez les personnes montrant une facilité à réfléchir sur eux-mêmes et leurs propres décisions selon une nouvelle étude publiée dans la revue Science. Cet acte d’introspection, ou le fait de « penser sur nos propres pensées », est un élément clé de la conscience humaine bien que les scientifiques aient relevé une grande diversité de la capacité à le faire. Cette nouvelle étude paraîtra dans le numéro du 17 septembre de la revue Science, publiée par l’association scientifique à but non lucratif AAAS. Suite à leur travail, l’équipe de chercheurs dirigée par le Pr. Geraint Rees de l’University College London (UCL) suggère que le volume de matière grise située juste derrière nos yeux, le cortex préfrontal antérieur, est un bon indice de la capacité d’introspection d’une personne. De plus, les chercheurs proposent que la structure de la matière blanche reliée à cette aire soit aussi en rapport avec le processus de l’introspection. Il reste toutefois à élucider le lien fonctionnel entre l’introspection et ces deux éléments du cerveau. Le résultat de l’étude ne signifie pas que les individus ayant un volume plus important de matière grise dans cette région du cerveau ont, ou auront, plus de pensées introspectives que les autres. Il établit en revanche une corrélation entre structure des matières grise et blanche du cortex préfrontal et niveau d’introspection.Cette découverte pourrait aider à l’avenir les scientifiques à mieux comprendre comment certaines lésions du cerveau affectent la capacité de l’individu à réfléchir sur ses pensées et ses actions. Une telle compréhension pourrait alors aboutir à la mise au point de traitements adaptés pour ces patients, tels que les victimes d’accident vasculaire cérébral (AVC) ou de traumatismes cérébraux, alors qu’ils ne comprendraient même pas l’état dans lequel ils se trouvent.« Prenez par exemple deux patients atteints d’une maladie mentale, l’un conscient de sa maladie, l’autre non » dit l’un des auteurs de l’étude, Stephen Fleming de l’UCL. « La première risque de se soigner, la seconde moins. Si nous comprenons la conscience de soi au niveau neurologique, peut-être aurons-nous alors la possibilité d’adapter des traitements et de mettre au point des exercices spécifiques pour ces patients. » Cette étude est issue de la collaboration entre le groupe de Rees qui étudie la conscience et l’équipe du Pr. Ray Dolan à l’UCL qui cherche à comprendre la prise de décision. Fleming a conçu avec la co-auteur Rimona Weil une expérience pour mesurer la performance d’une personne à un test ainsi que son degré de confiance dans les décisions qu’il prend au cours de ce test. En notant la capacité des participants à juger de leurs propres décisions, les chercheurs ont été en mesure d’évaluer leur capacité d’introspection. Fleming et ses collègues ont commencé par recruter 32 sujets en bonne santé et leur ont montré deux écrans, chacun contenant six motifs. L’un des écrans affichait toutefois un motif plus brillant que les autres. Les chercheurs ont demandé aux participants d’identifier quel écran le contenait puis d’estimer leur degré de confiance dans leur appréciation finale. Après l’expérience, le cerveau des participants a été scanné en imagerie par résonance magnétique, ou IRM.La tâche imaginée par Fleming et ses collègues était difficile, de sorte que les participants n’étaient jamais complètement sûrs de donner la bonne réponse. Les chercheurs ont pensé que les personnes meilleures pour l’introspection seraient plus sûres d’elles après avoir fait le choix correct et moins sûres lorsque leur choix n’était pas le bon. Effectivement, l’expérience a montré que la capacité à prendre des décisions était la même entre tous les participants mais que la différence semblait se situer dans la connaissance des participants à prendre des décisions.« C’est comme à l’émission « Who wants to be a millionaire ? » précise Weil. « Une personne introspective confirmera sa réponse finale que lorsqu’elle sera vraiment sûre et téléphonera peut-être à un ami si elle a un doute. Un participant moins introspectif, au contraire, sera moins efficace pour juger si sa réponse est bonne ou pas »Ainsi, bien que chaque participant ait fait aussi bien au test, les chercheurs ont confirmé que leur capacité introspective peut énormément varier. En comparant les images IRM du cerveau de chaque participant, ils ont pu repérer une corrélation entre la capacité d’introspection et la structure d’une petite zone du cortex préfrontal. Les capacités méta-cognitives ou de « pensées plus élevées » semblent ainsi en rapport avec la quantité de matière grise du cortex préfrontal antérieur droit et de la matière blanche qui l’entoure.Ces résultats pourraient refléter des différences innées dans notre anatomie nerveuse ou l’effet de l’expérience et d’un entraînement. Dans ce dernier cas, on pourrait alors envisager de « développer » les capacités métacognitives en exploitant la malléabilité de ces régions dans le cortex préfrontal. Il faudra néanmoins plus de recherches pour explorer les mécanismes mentaux de l’introspection et pouvoir ensuite les relier à des processus biologiques.« La conscience est la « frontière ultime » de la biologie, » explique Fleming. « Nous voulons savoir comment nous sommes conscients de certains processus mentaux alors que d’autres sont totalement inconscients. Des scientifiques et des philosophes ont récemment suggéré l’existence de différents niveaux de conscience, allant de la simple expérience des choses vécues à la réflexion qui porte sur ce vécu. L’introspection se situe au bout de cette échelle et la mesure de son activité en fonction de celle du cerveau nous donne l’espoir de mieux comprendre la biologie de la pensée consciente. » 

   

Petit retour sur la position matérialiste et ses limites: 

 Voir l’esprit, la conscience comme un épiphénomène de la matière, voilà la position matérialiste: 

  • c’est celle d’ÉPICURE  et LUCRECE qui considéraient, tous deux,  l’âme comme un composé d’atomes et donc mortelle  ( ce qui fait qu’il n’y a pas à avoir peur de la mort, d’où le célèbre mot d’Epicure dans La lettre à Ménécée « la mort n’est rien pour nous » , dans le sens où la rencontre n’aura pas lieu entre elle et moi, la mort étant la grande dissolution corps et âme! C’est elle ou moi!)

« Je dis maintenant que l’esprit et l’âme se tiennent étroitement unis et ne forment ensemble qu’une même substance; toutefois ce qui est la tête et comme le dominateur de tout le corps, c’est ce conseil que nous appelons esprit et pensée; lui, il se tient au centre de la poitrine. C’est là en effet que bondissent l’effroi et la peur, c’est là que la joie palpite doucement, c’est donc là le siège de l’esprit et de la pensée. L’autre partie, l’âme, répandue par tout le corps, obéit à la volonté de l’esprit et se meut sous son impulsion. L’esprit a le privilège de penser par lui-même et pour lui, et aussi de se réjouir en soi, dans le moment où l’âme et le corps n’éprouvent aucune impression. Et de même que la tête ou l’oeil peuvent éprouver une douleur particulière sans que le corps entier s’en trouve affecté, de même l’esprit peut être seul à souffrir ou à s’animer de joie pendant que le reste de l’âme disséminé à travers nos membres ne ressent plus aucune émotion. Mais une crainte particulièrement violente vient-elle à s’abattre sur l’esprit, nous voyons l’âme entière y prendre part dans nos membres: la sueur alors et la pâleur se répandent sur tout le corps, la langue bégaye, la voix s’éteint, la vue se trouble, les oreilles tintent, les membres défaillent, au point qu’à cette terreur de l’esprit nous voyons souvent des hommes succomber. En faut-il plus pour montrer que l’âme est unie intimement à l’esprit? Une fois que l’esprit l’a violemment heurtée, elle frappe à son tour le corps et l’ébranle. Les mêmes raisons avertissent que l’esprit et l’âme sont de nature corporelle: car s’ils portent nos membres en avant, arrachent notre corps au sommeil, nous font changer de visage, dirigent et gouvernent tout le corps humain, comme rien de tout cela ne peut se produire sans contact, ni le contact s’effectuer sans corps, ne devons-nous pas reconnaître la nature corporelle de l’esprit et de l’âme? Au reste l’esprit souffre avec le corps et en partage les sensations, tu le sais. La pointe d’un trait pénètre-t-elle en nous sans détruire tout à fait la vie, mais en déchirant les os et les nerfs? Une défaillance se produit, nous nous affaissons doucement à terre; là un trouble s’empare de l’esprit; nous avons par instants une vague velléité de nous relever. Donc, que de substance corporelle soit formé notre esprit, il le faut, puisque les atteintes corporelles d’un trait le font souffrir. Mais cet esprit, quels en sont les éléments? comment est-il constitué? C’est ce que je vais maintenant t’exposer. Je dis tout d’abord qu’il est d’une extrême subtilité et composé de corps très déliés. Si tu veux t’en convaincre, réfléchis à ceci: que rien évidemment ne s’accomplit aussi rapidement qu’un dessein de l’esprit et un début d’action. L’esprit est donc plus prompt à se mouvoir qu’aucun des corps placés sous nos yeux et accessible à nos sens. Or, une si grande mobilité nécessite des atomes à la fois très ronds et très menus, qui puissent rendre les corps sensibles à l’impulsion du moindre choc. Car l’eau ne s’agite et s’écoule sous le plus léger choc que parce que ses atomes sont petits et roulent facilement. Le miel au contraire est de nature plus épaisse, c’est une liqueur plus paresseuse, d’écoulement plus lent, du fait que la cohésion est plus grande dans la masse d’une matière formée d’atomes moins lisses, moins déliés et moins ronds. La graine du pavot, un souffle léger qui passe suffit pour la dissiper et la répandre en quantité: au lieu que sur un tas de pierres ou sur un faisceau d’épis, il ne peut rien. C’est donc que les corps les plus petits et les plus lisses sont ceux aussi qui sont doués de la plus grande mobilité. Au contraire, les plus lourds, les plus rugueux, demeurent les plus stables. Ainsi donc, puisque l’esprit se révèle d’une singulière mobilité, il faut qu’il se compose d’atomes tout petits, lisses et ronds : vérité dont tu trouveras en bien des cas, mon cher Memmius, la possession utile et opportune. Autre preuve encore, qui fait voir de quel tissu léger est cette substance: le peu d’espace qu’elle occuperait si l’on pouvait la condenser; quand le sommeil de la mort s’est emparé de l’homme et lui a apporté le repos, quand l’esprit et l’âme se sont retirés de lui, aucune perte ne se constate dans tout son corps, ni dans sa forme extérieure ni dans son poids: la mort laisse tout en place, sauf la sensibilité et la chaleur vitale. Cela prouve que des éléments minuscules composent l’âme entière, partout répandue en nous, étroitement liée à nos veines, à notre chair, à nos nerfs; sinon l’on ne verrait point, après que l’âme a fait sa retraite complète, le corps garder les contours de ses membres et ne pas perdre un grain de son poids. C’est ainsi que se comportent un vin dont le bouquet s’est évaporé, un parfum dont la douce haleine s’est dissipée dans les airs, un mets dont la saveur s’est perdue; à nos yeux, l’objet n’est privé de rien dans sa forme, de rien dans son poids, et précisément parce que saveur et odeur naissent d’un grand nombre de germes minuscules épars dans toute la substance des corps. C’est pourquoi, je le répète, l’esprit et l’âme ne peuvent être composés que d’atomes aussi petits que possible, puisque leur fuite n’enlève rien au poids du corps humain. » Lucrèce, De la nature, Livre III 

  • c’est celle de MARX qui voit la conscience comme un produit de l’action des hommes, « c’est la vie qui détermine la conscience » 
  • c’est aussi celle des neurosciences  qui s’efforcent de montrer que , comme le disait CABANIS dès 1802, « le cerveau sécrète la pensée comme le foie sécrète la bile ». En étudiant les lésions ou pathologies du cerveau, les neurologues sont parvenus  à identifier des zones propres à certaines tâches d’où  l’étude des aphasies (troubles du langage), des agnosies (troubles de la reconnaissance);  certaines ères du cerveau correspondent à des compétences ou entrent en relation pour produire des états mentaux. Avec les techniques d’imagerie cérébrales, on parvient à  montrer qu’à chaque état mental correspond un corrélat neuronal. C’est ce que soutient par exemple la neurologue Lucy Vincent dans Petits arrangements avec l’amour en 2005: « Vous, vos joies , vos peines , vos souvenirs, vos ambitions, l’idée que vous vous faites de votre identité personnelle et de votre libre arbitre ne sont en fait rien de plus que le comportement d’un vaste assemblage de cellules nerveuses et des molécules qui y sont associées ».

  

« Au fil des chapitres, le lecteur se sera rendu à l’évidence que le cerveau de l’homme se compose de milliards de neurones reliés entre eux par un immense réseau de câbles et connexions, que dans ces « fils » circulent des impulsions électriques ou chimiques intégralement descriptibles en termes moléculaires ou physico-chimiques, et que tout comportement s’explique par la mobilisation interne d’un ensemble topologiquement défini [1] de cellules nerveuses. Cette dernière proposition enfin a été étendue, à titre d’hypothèse, à des processus de caractère « privé » qui ne se manifestent pas nécessairement par une conduite « ouverte » sur le monde extérieur comme les sensations ou perceptions, l’élaboration d’images de mémoire ou de concepts, l’enchaînement des objets mentaux en « pensée ».
    Bien que l’on soit encore loin de disposer de techniques qui permettent de répertorier les assemblées de neurones mises à contribution par un objet mental particulier, la caméra à positrons crée déjà la possibilité de les « entrevoir » à travers la paroi du crâne.
L’identification d’événements mentaux à des événements physiques ne se présente donc en aucun cas comme une prise de position idéologique, mais simplement comme l’hypothèse de travail la plus raisonnable et surtout la plus fructueuse. Comme l’écrivait J. S. Mill, « si c’est être matérialiste que de chercher les conditions matérielles des opérations mentales, toutes les théories de l’esprit doivent être matérialistes ou insuffisantes ». Et à ceux que cette hypothèse trop simple ferait hésiter, Valéry répond : « Il n’est, de forêt vierge, de buisson d’algue marine, de dédale, de labyrinthe cellulaire qui soit plus riche en connexions que le domaine de l’esprit. »
    Le moment historique que nous traversons rappelle celui où s’est trouvée la biologie avant la dernière guerre mondiale. Ies doctrines vitalistes avaient droit de cité, même parmi les scientifiques. La biologie moléculaire les a réduites au néant. Il faut s’attendre à ce qu’il en soit de même pour 1es thèses spiritualistes et leurs divers avatars « émergentistes ».
 

 Jean-Pierre Changeux, L’homme neuronal, 1983 

Pour les plus optimistes ( comme le neurologue J.P Changeux éliminativiste) , on pourrait donc expliquer par ces états neuraux, nos états de conscience et même notre conscience de ces états. 

Pour d’autres, il y a une clôture cognitive qui ferait qu’on ne pourrait pas expliquer par des processus neurologiques la conscience de la conscience, le vécu des états de conscience, ce qu’on appelle « les qualias ». 

On peut en effet montrer dans le cerveau ce que cela fait aux neurones et différentes ères d’entendre un morceau de musique, de sentir une rose ou d’être triste ou de former une idée, mais  peut-on voir ce que cela nous fait subjectivement ? Notre vécu? Pour certains, il ya ici là une « clôture cognitive » . 

C’est un peu la thèse des émergentistes , l’émergence étant l’idée qu’il y a plus dans le tout que dans la somme de ses parties. Cet écart peut être soit comblé par la connaissance à venir ou soit resté tel. 

C’était l’hypothèse de Bergson dans L’énergie spirituelle en 1919: 

« On dit quelquefois : « La conscience est liée chez nous à un cerveau ; donc il faut attribuer la conscience aux êtres vivants qui ont un cerveau, et la refuser aux autres. » Mais vous apercevez tout de suite le vice de cette argumentation. En raisonnant de la même manière, on dirait aussi bien : « La digestion est liée chez nous à un estomac ; donc les êtres vivants qui ont un estomac digèrent, et les autres ne digèrent pas. » Or on se tromperait gravement, car il n’est pas nécessaire d’avoir un estomac, ni même d’avoir des organes pour digérer : une amibe digère, quoiqu’elle ne soit qu’une masse protoplasmique à peine différenciée. Seulement, à mesure que le corps vivant se complique et se perfectionne, le travail se divise ; aux fonctions diverses sont affectés des organes différents ; et la faculté de digérer se localise dans l’estomac et plus généralement dans un appareil digestif qui s’en acquitte mieux, n’ayant que cela à faire. De même, la conscience est incontestablement liée au cerveau chez l’homme : mais il ne suit pas de là qu’un cerveau soit indispensable à la conscience. » 

Mais peut-être s’accroche-t-on à  ces « qualias » car le matérialisme reste difficile à admettre, car il désenchante . Comme le dit Putnam,« d’une certaine manière, peu importe que le monde entier ne soit qu’hallucination collective ; après tout, vous m’entendez bel et bien parler quand je vous parle, même si le mécanisme n’est pas celui que nous croyons. (Mais dans le cas de deux amants en train de faire l’amour, l’idée qu’ils ne sont que deux cerveaux dans une cuve pourrait être inquiétante). » .  

 Ce matérialisme nous ramène aussi à notre animalité et à notre mortalité, que l’homme a toujours cherché à nier d’une manière ou d’une autre. 

Mais peut-être que nous prenons la chose à l’excès ( par facilité!) : car le primat de la matière ( de fait) n’empêche pas la primauté d’esprit ( comme valeur!); rien ne justifie qu’on associe  le matérialisme  à un matérialisme vulgaire ( ne jouir et ne se réjouir que des choses matérielles) , car même si l’esprit est matière, il reste le produit le plus élevé de la matière, une matière subtile!