Comment améliorer son argumentation?

16 janvier 2011 2 Par Caroline Sarroul

 

 

 Un exemple

 « Nous voulons tout naturellement faire le bonheur des autres, les rapports sont davantage sympathiques et nous sommes fiers de faire plaisir à l’autre. Les autres sont nos frères, on s’identifie à eux, on ne peut donc que difficilement ne pas vouloir leur bonheur. De plus le bonheur est ancré en nous, il fait partie de l’homme et de son bonheur même, en donnant, en rendant heureux l’autre nous nous procurons du bonheur à nous-même. Un homme malheureux peut être un danger car il peut nuire à notre bonheur, c’est pourquoi aussi nous avons tout intérêt à faire le bonheur des autres, mais un homme malheureux peut aussi nous atteindre par le sentiment d’injustice ou de pitié, en étant malheureux, il peut nous entraîner dans son malheur, nous n’avons normalement aucun plaisir à voir un autre pleurer ou être triste. »

 

 Voilà une première partie proposée par une élève de TES sur le sujet Peut-on ne pas vouloir faire le bonheur des autres?

 Elle a donc pour axe un « NON », partant du principe que cette « volonté » de « faire » le bonheur des autres est à la fois raisonnable, naturelle, avantageuse ( source de plaisir et bon calcul, le malheur des autres pouvant être une menace pour le mien).

 Donc tout ce qui est dit est juste et intéressant mais si on notait cette partie pour sa valeur argumentative ( ce qui n’est pas le cas dans une dissertation, chaque partie n’est pas soumise à un barème, vous le savez!), elle n’obtiendrait sur 10 points dans ma notation imaginaire qu’un 3 ou 3,5 sans doute.

 Pourquoi me direz-vous? Parce que si ce qui est dit est intéressant, c’est dit de manière désorganisée et surtout ce n’est que suggéré et jamais justifié:

 

 

Comment améliorer et être plus convaincant?

 

  • en annonçant clairement l’axe de la partie avec nuance ( semble-t-il) puisque nous sommes en I et ce I est voué à être dépassé par la partie suivante

  • en distinguant clairement les 3 raisons d’ordre bien différent qui permettent de justifier cette volonté de faire le bonheur des autres. D’où dans cette partie rédigée, 3 sous-parties avec alinéa ( mais sans sauter de lignes pour éviter le morcellement et permettre d’un seul coup d’oeil de repérer I, II, III !)

  • en prenant le temps de développer chaque argument: développer, cela veut dire dérouler ce qui est contenu dans l’idée, donc ce qu’elle suppose et ce qu’elle signifie.

  • en appuyant son argumentation sur un élément clairement philosophique: une définition, une analyse conceptuelle, une référence à un auteur pour étayer le propos, c’est-à-dire au pire l’appuyer sur un argument d’autorité ( ce qui permet en même temps de souligner sa culture philosophique) ou au mieux s’appuyer sur les dires d’un philosophe pour aller plus loin dans l’analyse.

 

Par exemple, pour l’argument de la pitié que nous ressentirions devant le malheur d’autrui et qui nous pousserait à faire quelque chose pour lui pour l’en sortir et le rapprocher du bonheur, on peut penser à l’analyse que fait Rousseau de la pitié dans Le discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes . La pitié y est associée à un des 2 sentiments naturels de l’homme aux côtés de l’amour de soi ( instinct de conservation à distinguer de l’amour propre qui naît avec le développement de la réflexion et de la société); elle est pré-réflexive et existe avant que la raison n’apparaisse. Elle est l’origine de toutes les autres vertus, elle est le sentiment de l’humanité à l’origine des actes moraux ( même si sans la raison , l’homme ne peut être lui moral, c’est-à-dire capable de distinguer le bien du mal, de se déterminer pour le bien en suivant sa raison). Elle est même « si naturelle que les bêtes mêmes en donnent quelques fois des signes sensibles » selon Rousseau.

 

Reprise possible de l’argumentation

 Nous ne pouvons pas vouloir ne pas faire le bonheur des autres, c’est-à-dire qu’on ne peut que désirer qu’ils soient dans le bien-être et y travailler,semble-t-il. En effet les laisser dans leur mal-être et ne rien faire pour eux serait signe d’une insensibilité contre-nature, un plaisir de perdu et un mauvais calcul.

Les autres , ce sont nos alter ego et nous ne pouvons être insensibles à leur souffrance. Par simple empathie ( c’est-à-dire contagion) ou parce que capable d’une théorie de l’esprit en tant qu’être conscient, nous sommes capable de voir en l’autre un autre moi, de nous mettre à sa place et de souffrir avec lui. Dès lors, si l’autre n’est pas heureux, c’est-à-dire ici dans un état de souffrance, sa souffrance ne nous restera pas étrangère. Dès lors, il nous ferait pitié. La pitié est selon Rousseau un des 2 sentiments naturels de l’homme aux côtés de l’amour de soi ( instinct de conservation à distinguer de l’amour propre qui naît avec le développement de la réflexion et de la société); elle est pré-réflexive et existe avant que la raison n’apparaisse. Elle est l’origine de toutes les autres vertus, elle est le sentiment de l’humanité à l’origine des actes moraux ( même si sans la raison , l’homme ne peut être lui moral, c’est-à-dire capable de distinguer le bien du mal, de se déterminer pour le bien en suivant sa raison). Elle est même « si naturelle que les bêtes mêmes en donnent quelques fois des signes sensibles » selon lui. De la même manière qu’un cheval n’ira pas piétiner un autre animal gisant sur le sol, nous ne voulons pas ajouter à la souffrance de l’autre et nous sommes même portés par la pitié selon Rousseau « sans réflexion au secours de ceux que nous voyons souffrir . Donc nous ne pouvons pas ne pas vouloir faire le bonheur des autres pitoyables dans leur souffrance.

Nous pouvons même par delà le mouvement naturel, y trouver une exigence de la raison, un devoir, un devoir de bienveillance. C’est ce qu’on peut illustrer avec l’aumône faite au nécessiteux, qui ne voit pas réunies dans sa situation , les conditions minimales, favorables à son bonheur. Le droit ne nous oblige pas à donner la pièce, mais nous pouvons nous sentir obligés à faire ce geste, pour venir au secours du démuni qui nous tend la main et que nous pouvons juger victime d’une injustice. Comme tout homme, il a droit au bonheur et sa situation l’en empêche, on se doit en quelque sorte de lui porter assistance pour rétablir une égalité et faire en sorte qu’il puisse poursuivre ses fins. On ne peut universaliser semble-t-il une maxime égoïste.

 Mais si on associe le bonheur au plaisir, sans que l’autre soit dans la souffrance, on peut désirer lui faire plaisir, parce qu’on y trouve nous même un plaisir et par là une des pierres de l’édifice de notre propre bonheur, qui n’est qu’un état de pleine et entière satisfaction, au sens plein du terme, état auquel nous aspirons tous même celui qui va se pendre comme le dit Pascal. Quant au plaisir, il est aussi ce vers quoi nous tendons naturellement ( là encore même l’animal , que nous sommes aussi en partie, a une hiérarchie de valeurs fondée sur le sentiment de plaisir et de peine, le bon est l’agréable et le mauvais, ce qui lui cause de la peine), ce qui nous manque quand nous en sommes privés et ce dont nous recherchons donc la présence comme le souligne Epicure. Ce plaisir peut s’expliquer par un désir altruiste. Notre désir peut en effet être de satisfaire les désirs de nos proches. Et dans ce cas, comme l’objet du désir semble être ce vers quoi il tend, satisfaire ce désir , c’est trouver le plaisir. Mais on peut aussi trouver du plaisir dans la quête de l’objet désiré par l’autre; c’est le plaisir de chercher un cadeau, d’organiser la fête surprise pour l’autre, qui sera surpris de voir que nous avons anticipé et saisi son désir. Et qui peut-être nous rendra la pareille, car quand on reçoit on se doit de donner en retour; en tout cas on s’en fait un devoir. Saisir le désir de l’autre, qui lui est particulier et le définit par opposition aux besoins communs, peut aussi être satisfaisant en soi, c’est le signe de la juste connaissance de l’autre. Ce qui donne à la fois le plaisir d’un défi relevé et une satisfaction liée à la connaissance, un des désirs les plus élevés de l’homme, si élevé qu’Aristote voyait dans la vie contemplative la plus heureuse et libre des vies.

Mais même si le mouvement de la nature ne parle plus sous l’effet de la montée de l’amour propre, si l’individu se replie sur lui-même sourd aux souffrances et au désir des autres, si nous pouvons trouver notre plaisir ailleurs ( et même dans la souffrance de l’autre) un simple calcul d’intérêt peut inciter à désirer faire le bonheur des autres ou à défaut de le désirer à le vouloir de manière réffléchie. Le malheureux peut  en effet devenir un danger pour notre propre bonheur. On peut ici penser à ceux qui trop souffrants sombrent dans la folie et tuent ceux qui les entourent avant de se donner la mort ; Ou sans tomber dans le fait divers et le sordide, on peut aussi penser à l’analyse que fait Schopenhauer dans le Monde comme volonté et comme représentation du méchant.* Il le voit comme un être dévoré par le Vouloir-vivre, cette force irrationnelle et insatiable qui anime chacun de nos désirs, a besoin d’être bercé par le spectacle de la souffrance autour de lui. On peut aussi voir dans le souci qu’a l’Etat de pouvoir à notre bonheur, cette crainte que le malheur faute de la consolation de la religion , « opium du peuple » pour Marx pousse à la révolte. Car si le bonheur présuppose que le monde s’accorde avec nos désirs, lorsque celui-ci résiste et fait notre malheur, nous avons dès lors , croyant que l’obstacle à notre bonheur est d’abord et parfois seulement au dehors, la tentation de le changer. Et si l’ordre actuel du monde fait mon bonheur, le malheur des autres le menace alors.

Donc nous avons de multiples raison de désirer faire le bonheur des autres aussi bien intéressées que désintéressées. Mais désirer est-ce vouloir? Et ne peut-on ne pas vouloir ce qu’on désire comme on peut vouloir ce qu’on ne désire pas, comme la fameux médicament infâme qui vous sauve la vie dans le Gorgias de Platon, le bon n’étant pas toujours l’agréable?

 

 

   Note: * « Supposons un homme en qui la volonté est animée d’une passion extraordinairement ardente; en vain dans la fureur de son désir, il ramasserait tout ce qui existe pour l’offrir à sa passion et la calmer*: nécessairement il éprouvera bientôt que tout contentement est de pure apparence, car il ne nous est jamais donné l’assouvissement final de notre volonté. Tous ces efforts vains ne produisent en nous que la dose commune d’humeur noire; mais chez celui en qui la volonté se manifeste jusqu’au degré où elle est la méchanceté bien déterminée, il naît de là nécessairement une douleur extrême, une incurable souffrance; aussi, incapable de se soulager directement, il recherche le soulagement par une voie indirecte; il se soulage à contempler le mal d’autrui, et à penser que ce mal est un effet de sa puissance à lui. Ainsi le mal des autres devient proprement son but; c’est un spectacle qui le berce; et voilà comment naît ce phénomène. Il y a ainsi des rapports étroits entre la méchanceté et l’esprit de vengeance, qui rend le mal pour le mal, non pas avec un souci de l’avenir, ce qui est la caractéristique du châtiment, mais simplement en songeant à ce qui est arrivé, au passé, en voyant dans le mal qu’il inflige non un moyen, mais un but, et en cherchant dans la souffrance d’autrui un apaisement de la nôtre. » Schopenhauer