Fiche de révision : le langage

8 mai 2011 0 Par caroline-sarroul

 

Introduction : les limites du schéma de Jakobson sur le langage et ses fonctions

 La communication est la transmission via un canal (un code commun, une langue) d’un message par un émetteur (le locuteur) à un récepteur (l’auditeur) et consiste en une opération de codage/décodage dont l’objet est le contenu du message. Cette représentation de la communication peut engendrer différentes erreurs d’interprétation :

– croire que l’émetteur et le récepteur préexistent à toute communication or je ne suis sujet communicant que par et dans la communication et même sujet que par l’usage du mot « je »

– faire de la communication un système de codage/décodage , c’est croire que communiquer et en particulier parler, c’est mettre en mots un contenu antérieur à ces mots, une sorte de texte infra-linguistique , une pensée sans mots

OR comme le dit Hegel : « Nous n’avons conscience de nos pensées, nous n’avons de pensées déterminées et réelles que lorsque nous leur donnons une forme objective, que nous les différencions de notre intériorité, que nous les marquons de la forme externe.(…)C’est le son articulé , le mot, qui seul nous offre une existence où l’externe et l’interne sont  si intimement unis.

Par conséquent, vouloir penser sans les mots est une tentative insensée. (…) Il est également absurde de considérer comme un désavantage  et comme un défaut de la pensée cette nécessité qui lie celle-ci au mot. On croit ordinairement, il est vrai, que ce qu’il y a de plus haut, c’est l’ineffable… Mais c’est là une opinion superficielle et sans fondement ; car en réalité l’ineffable, c’est la pensée obscure, la pensée à l’état de fermentation, et qui ne devient claire que lorsqu’elle trouve le mot. Ainsi, le mot donne à la pensée son existence la plus haute et la plus vraie. Sans doute, on peut se perdre dans le flux des mots sans saisir la chose . Mais la faute en est à la pensée imparfaite, indéterminée et vide, elle n’en est pas au mot. Par conséquent, l’intelligence en se remplissant des mots, se remplit aussi de la nature des choses ».     

  • – Penser que le centre et l’objet de la communication est le message. Or ce n’est pas forcément le cas, la fonction référentielle qui cherche à indiquer quelque chose dans la réalité n’est qu’une des 6 fonctions du langage selon Jakobson. Il y a aussi par exemple la fonction phatique dont le but est uniquement de maintenir un contact acoustique avec l’auditeur quelque soit ce qui est dit, ou les fonctions expressive ou impressive où le centre de la communication n’est pas le message en lui-même mais notre position par rapport à lui ou susciter chez le récepteur une certaine impression, un état d’esprit ( on va jouer par exemple plus sur l’intonation que le contenu)

 

 

•I.                    PAROLE HUMAINE ET COMMUNICATION ANIMALE

 Si communiquer c’est échanger des messages il est incontestable que les animaux communiquent. Comme le disait Montaigne, « il y a entre les bêtes une pleine et entière communication » non seulement entre celles de même espèces mais entre celles d’espèces différentes. Mais comme le souligne Descartes parler, c’est autre chose, c’est « arranger ensemble diverses paroles », « composer un discours qui fasse entendre sa pensée ». Or les bêtes ne pensent pas, alors elles ne parlent pas. Et  parler est un acte de communication qui se différencie radicalement de tout autre type de communication, pour différentes raisons :

  •  Le langage des Abeilles et les analyses de Benveniste.

Malgré l’efficacité et la sophistication de cette danse ( indiquant la position spatiale au degré près des fleurs à butiner) , on ne peut pas dire que les abeilles parlent car :

-pas d’usage de sons articulés

-pas de dialogue , ni de capacité de transmettre un message reçu

-pas de composition, code stéréotypé d’où limite, ce qui sort de la situation stéréotypée n’est pas exprimable (ex. idée de verticalité)

-mais surtout des SIGNAUX mais pas des SIGNES. C’est cette différence fondamentale qui fait que l’on peut réserver la parole à l’homme.

 

  Le langage des abeilles est un langage de signaux, c’est-à-dire qu’il consiste à envoyer et à recevoir des signaux, qui sont des signes avertisseurs. La danse est comprise comme un signal, c’est-à-dire une association de 2 faits physiques : la vision de la danse et l’action de partir butiner. Ce qui explique l’absence de dialogue. La danse est l’équivalent d’un feu rouge (rouge/Stop/ appuyer sur le frein). Et pour comprendre un feu rouge, il suffit d’avoir des yeux (fonction sensori-motrice) et une mémoire pour associer vision et action.

Comprendre un mot , c’est tout autre chose : un mot est un signe linguistique qui est , selon Ferdinand de Saussurre, composé d’un signifiant ( image acoustique d’un son) et d’un signifié ( concept défini à la  fois positivement comme dans une définition et négativement par rapport aux autres concepts. Par ex. une table , c’est un plan horizontal avec pieds permettant de poser qlque chose ; voilà la définition par abstraction ; mais c’est aussi pas un tabouret, ni un plan de travail, ni……., définition par la différence au sein de la langue ) . Le rapport entre le signifiant et le signifié est arbitraire ou plutôt immotivé, tout comme le rapport entre le signe et le référent, objet dans la réalité.  En ce sens, un signe n’est pas un symbole. Un table ne s’appelle pas ainsi parce que le son ressemble à la table, c’est une convention comme le disait déjà Hermogène à Cratyle dans Le Cratyle de Platon. C’est aussi le cas des onomatopées ( par ex. cocorico n’est pas une symbole, la preuve :les coqs chantent tous pareils, mais ils ne poussent pas le même cri dans toutes les langues).

Du coup, pour comprendre un signe, il faut certes le lire ou l’entendre, mais surtout une « faculté de représentation ». Il faut être capable d’associer à un fait physique (son, lettres écrites) un sens, qui présuppose pas simplement une mémoire ,ni même une imagination (son/image de…)  mais une capacité conceptuelle à maîtriser des catégories, à se représenter une chose en dehors de sa présence et de toute caractéristique particulière. Il faut associer un son à un concept , dc avoir la capacité d’abstraction , de généralisation, de penser. OR comme le dit Benvéniste , il semble que seule l’humanité ait franchi le seuil de la représentation. Et c’est cette capacité symbolique qui fait que seul l’homme parle, mais aussi est technicien ( manipule des outils et tire de la nature des outils) et échange ( la monnaie présuppose cette capacité symbolique) .

Et, c’est cette différence qui nous distingue encore des animaux même quand ils semblent comprendre notre parole, comme les singes. Ils voient des signaux , là où nous émettons des signes, sauf  le bonobo KANZI mais parle-t-il pour autant ?

 Descartes n’a donc pas été totalement démenti. L’animal ne communique que des passions, des affections pas des pensée, donc il ne parle pas même si il comprend les mots comme des signes.

– Et, à Descartes, un linguiste américain ,Chomsky ajoute un autre argument qui semble retirer la parole aux singes définitivement ,qui est le suivant : parler est une « performance » qui exige au départ une compétence . Cette compétence est une organe mental innée , qui est « la grammaire universelle », qui est à la base de toutes les grammaires de toutes les langues. Cette grammaire est « l’essence du langage humain ». Elle consiste à connaître  les universaux linguistiques  avant même de parler (substantifs, adjectifs,…) ainsi que des règles de grammaires élémentaires permettant de former des phrases grammaticalement correctes sans avoir appris ces règles. En somme avant même de faire l’apprentissage de la parole, les structures sont là, potentiellement ne demandant qu’à être développées. Or l’animal ne les possèdent pas virtuellement au départ, d’où la différence radicale et les limites de son apprentissage. Cependant, la thèse de Chomsky pose le problème de l’immersion de l’enfant dès le départ dans la parole ; avant de parler, on lui parle alors comment savoir ce qui est innée et ce qui est acquis ? Et donc vérifier la thèse de Chomsky ?

 

•II.                  Les mots, le monde et la pensée

 

– La langue, le monde et notre rapport au monde

 Pour les hommes si le monde possède une existence, c’est parce que leur langue donne un nom à ce que leur sens peuvent percevoir. S’il importe peu aux choses d’avoir un nom ou pas, pour l’espèce humaine, c’est très important.

Nommer n’est pas reproduire, mais classer. Donner un nom  aux choses, ce n’est pas leur donner une étiquette qui serait une photographie de celles-ci. Les langues ne sont pas des inventaires. Les mots «  sont des sources de concepts » et permettent d’organiser le monde en catégories conceptuelles, dc de le penser. « les noms filtrent le réel, le rendent pensable et dicible ». Et ces catégories ne sont pas propres à la nature des choses, mais aux langues. La langue ordonne le monde, selon « une double structuration » :

  • 1. selon les universaux, des catégories que l’on pose par abstraction
  • 2. selon une grille interprétative propre à chaque langue et faite de différences au sein de la langue.

 

La conséquence de ceci , c’est que les langues influencent notre conception du monde. C’est l’hypothèse de « Sapir- Whorf », deux linguistes du début du XX. Comme le dit Sapir « « le monde réel » est dans une large mesure construit à partir de l »habitus linguistique des différents groupes culturels ». Les individus sont condamnés à penser le réel à travers le découpage du réel propre à leur langue et manier une langue, c’est mettre en œuvre différents mécanismes mentaux.

Ex.1 : les langues européennes font la différence entre adjectif et substantif, qui est la même qu’entre accident ou attribut et substance, entre  réalité permanente, idéale et diversité variable , sensible . La table reste permanente, mais elle peut être une table carrée, ronde, bleu, verte. En chinois, cette différence entre adjectif et substantif n’existe pas, on compose différents termes au même statut. Ex : un cheval blanc est l’association de cheval et blancheur. D’où la difficulté pour un chinois de penser  Dieu comme « La substance qui enveloppe tous les accidents », ou l’être.

Ex .2 : Ceci dit la logique des langues n’est pas pour  autant pure. Et il y a même une autonomie des langues par rapport à la logique. Par ex. en logique , une tautologie n’apporte rien de plus au point de vue de l’information, mais des proverbes comme il faut ce qu’il faut, ou ce qui est dit est dit, ou les affaires sont les affaires veulent dans un contexte particulier dire quelque chose de plus, un effet de renforcement. En pure logique, « pas très » veut dire « pas du tout », dans une phrase non comme dans « il n’est pas très malin ». En pure logique, deux termes opposés veulent dire le contraire, dans une phrase pas forcément, comme « c »est un accident dont on imagine la gravité » et « c »est un accident dont on ne peut imaginer la gravité », dans les 2 cas, c’est grave.  D’où la méfiance face aux langues si peu logiques, qui ne sont pas un savoit mais une pratique, qui ne vise pas le vrai mais l’échange. Et l’idée d’une langue universelle parfaite logique correspondant à un ordre naturel et permettant de dire le vrai.

 

L’ordre des mots ne correspond pas à l’ordre du monde , ni à un ordre naturel de voir le monde comme par exemple :

  • – la phrase avec S (sujet)-V (verbe)- O (complément d’objet). En langage sourd et muet, c’est SOV ou OVS comme dans la récitation gestuelle, on voit le lièvre (O), poursuivi et donc chasser (V) par le chien (S). OVS correspondrait à l’ordre de la vision, et à l’ordre du monde où les effets ne précèdent pas les causes

Mais c’est à travers cet ordre que nous nous approprions le monde et le pensons, et y échangeons.

 

– Les mots et la pensée

La conséquence de cela, c’est que « nous pensons un monde que notre langue a modelé » comme le dit Benvéniste d’où certaines limites (Cf : III .A. Bergson)  Et que ,par les mots, on peut influer sur la pensée. Les mots ont alors un pouvoir sur nous et ce qui les maîtrisent nous maîtrisent aussi en même temps qu’ ils nous donnent un pouvoir sur les choses. (Cf : Texte de Hegel en intro)

 

•III.               La communication et ses limites

 

Selon P. Watzlawick ,« le comportement possède une propriété on ne peut plus fondamentale (…) : le comportement n’a pas de contraire . (…) Il n’y a pas de non -comportement, ou pour dire les choses encore plus simplement on ne peut pas ne pas avoir de comportement ». Or comme tout comportement est un message , il est une manière de communiquer ,donc cela revient à dire qu’on ne peut pas ne pas communiquer. Que l’on parle, ou se taise, on communique, et dans le second cas au moins qu’on ne veut pas communiquer.

Ceci dit, cela ne veut pas dire pour autant que toutes nos communications soient réussies , que nous parvenons à dire ce que nous avons à dire et à être compris comme on voulait être compris. Mais d’où vient l’échec ?

 

Peut-on dire tout ce que nous voulons dire ?

 

On peut prendre cette question à 2 niveaux, celui de la possibilité de dire et celui du droit de dire. De plus , on peut entendre par dire , soit uniquement énoncer quelque chose au sens de « parler » soit l’énoncer et être compris . Car on peut comprendre l’expression « parler pour ne rien dire » comme le propre d’une parole vide ( qui ne désigne rien, qui ne fait référence à rien, sans contenu. Ce qui caractérise le verbalisme. ) mais aussi à une parole en l’air ,incomprise et donc inutile (« on gaspille sa salive »).

 

  • 1. D’où vient cette impossibilité de dire?

-si on prend dire au sens de signifier, énoncer cela peut venir soit de ce qui est à dire : pensée trop obscure , confuse que l’on n’est pas parvenue à clarifier, affiner  souvent plutôt faute d’analyse que  de mots adéquats car loin de caricaturer la pensée , les mots permettent de la rendre consciente et précise ( d’où illumination quand on trouve  enfin le mot juste pour cerner ce qu’on pensait vaguement ) et à l’inverse comme le disait Boileau dans son Art poétique , « ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisèment ». Ici, l’obscurité dans la forme cache une obscurité dans le fond ou même une volonté d’obscurantisme. Ou pensée trop personnelle. C’est l’hypothèse de Bergson . Pour lui, la langue, comme on l’a vu en II.A , correspond à un certain découpage du réel et à une certaine représentation de la réalité. Comme le langage est au départ utilitaire, vise à faciliter l’action commune, le rapport utilitaire au monde, la langue est composée de mots correspondant à des genres, à une classification simple et pratique du réel. Les mots ne retiennent que l’aspect général , banal, commun des choses par-delà leur particularité, leur originalité. La langue simplifie le monde en quelque sorte. Du coup, comme on pense  le monde à travers la langue , on le pense à travers « cet écran » , on se pense à travers ce filtre, ce qui nous empêche de percevoir et même de dire certaines choses. Par exemple, lorsqu’il s’agit de dire quelque chose de très personnel  comme une émotion, un sentiment , bien souvent les mots manquent ou ne peuvent traduire ce sentiment dans sa particularité. Et, même pire, les mots nous empêchent de saisir ces particularités; soit des moyens pour le dire , comme si , comme le disait Diderot, nous avions « plus d’idées que de mots ». En somme, l’impossibilité de dire vient d’un décalage entre la pensée et les mots, d’une inadéquation.

-si on prend dire au sens d’énoncer et être entendu/compris, il se peut que nous ayons l’impression d’avoir dit ce que nous voulions dire, mais l’autre ne comprend pas. Cette incompréhension peut venir des équivocités lexicales, syntaxiques ou de significations. En effet, les mots prêtent parfois à confusion car ils sont polysémiques. Par ex. voulant dire que Pierre déménage l’horloge au grenier, en disant « Pierre remonte l »horloge au grenier », mon interlocuteur peut comprendre qu’il la remet en ordre de marche dans le grenier. Marthe Robert donne avec le malheureux « mokusatzu » du premier ministre japonais à la vieille  du bombardement d’Hiroshima, un bel exemple d’incompréhension. Cela peut venir aussi des différences de niveaux de langues entre les interlocuteurs. Cette incompréhension peut venir aussi du fait que le sens d’une phrase n’est pas entièrement défini par sa composition, mais aussi par le contexte qui permet de deviner ce qui est dit ou raisonnablement. Donc pour qu’il y ait compréhension, il faut saisir l’explicite mais aussi l’implicite. D’où malentendu possible. Par ex. à table , dire « pouvez-vous me passer le sel ? » n’est pas une question de possibilité , admettant comme réponse oui ou non. Mais , c’est une demande atténuée qui attend  en réponse une action , celle de passer le sel. Idem pour « pouvez-vous me donner l’heure ? » ou « vous me marchez sur le pied ! ». Là, par delà, un code commun, on présuppose des règles de la conversation admises et partagées. Ceci dit, dans les 2 cas, on peut en travaillant le contexte et la structure de ses phrases éviter ces incompréhensions et dire ce qu’on a à dire. C’est ce que soutient Searle  avec « son principe d’exprimabilité absolue », selon lequel tout peut être dit y compris en inventant des mots, dans un langage à soi comme celui de certains poètes, ceci dit ce n’est pas pour cela que tout sera compris et donc aura réellement été dit . ( Par ex. je peux bien dire que « je déclare la guerre aux Etats-Unis », mais si je ne suis pas chef d’Etat ou d’état-major, c’est comme si je n’avais rien dit. Cela dépend donc de ma place dans la hiérarchie sociale, donc de facteur extra-linguistiques)

 

  • 2. Ceci dit , ai-je pour autant le droit de dire tout ce que je peux dire?

On peut prendre cette question du droit simplement au plan des règles de la vie en commun qui exige un minimum de politesse, et donc parfois d’hypocrisie . Mais on peut ici  aussi poser le problème au niveau du droit politique de la liberté d’expression du citoyen  ou du droit de mentir du politique au nom de l’intérêt commun ( ce que Platon tolère dans La République, accordant « aux gouverneurs des cités » le droit de « mentir aux ennemis et aux citoyens quand l’intérêt del’Etat l’exige » ; ce que Machaivel voit comme une ruse politique efficace, nécessaire vue la nature (mauvaise et menteuse) des hommes et légitime (« la fin justifie les moyens », or le rôle du politique est de se maintenir au pouvoir pour éviter le désordre qui met en péril la liberté, et cela par tous les moyens)   ou au plan du droit  moral avec le droit de mentir face au devoir de dire la vérité.

 

Sur ce dernier point , 2 positions s’opposent  : celle de Benjamin Constant selon laquelle on peut admettre un droit de mentir et celle de Kant posant un devoir universel et inconditionnel de dire la vérité, de véracité.

Pour B. Constant, le devoir de dire la vérité est un devoir moral certes, mais à adapter à la vie en société, car si tout le monde se disait toujours la vérité ,ce sera le carnage et surtout à penser dans une réciprocité, c’est-à-dire qu’un devoir chez moi correspond à un droit chez toi, et inversement. Dc , si tu ne remplis pas tes devoirs, tu perds tes droits et moi, mes devoirs envers toi. D’où je ne dois dire la vérité qu’à ceux qui ont droit à la vérité. Et n’a pas droit à la vérité celui qui veut l’utiliser contre autrui, par.ex un criminel, un nazi, etc…. et cela dans l’intérêt d’autrui : la victime, le juif. Et, pour appuyer cela, on peut dire que le devoir de dire la vérité n’est qu’un devoir moral parmi d’autres et que parfois il faut faire passer le devoir d’humanité ou de compassion avant. Tous les devoirs moraux se valent et être vérace ne suffit pas pour être moralement irréprochable. Comme le dit Comte-Sponville « un nazi de bonne foi reste un nazi ». 

Pour Kant, le devoir de dire la vérité n’est pas un devoir comme les autres, c’est « la première et fondamentale partie de la vertu » comme le disait Montaigne. Aussi pour Kant, il faut toujours dire la vérité même au criminel, à l’ennemi ou se taire. Et cela pour les raisons suivantes :

  • – en général quand on ment, on le fait par prudence. Par ex. on ment parce qu’on pense qu’on a plus de chance de sauver qu’en disant la vérité. Dc on sacrifie un devoir moral à une règle de prudence qui n’est pas sûre à 100%; le jeu en vaut-il la chandelle? c’est cette question que soulève Kant par des raisonnements un peu douteux sur mes chances de sauver un ami poursuivi par un criminel et réfugié chez moi.
  • – On ment peut-être dans un but bienveillant pour autrui, mais comme on n’est pas maître des conséquences de nos paroles , on peut s’exposer à des poursuites judiciaires ou en tout cas à la suspicion; alors que si on remplit son devoir moral, la morale étant au fondement du droit, on est juridiquement inattaquable et irréprochable. Et, c’est au nom de cette supériorité de la morale sur la politique que Kant refuse le mensonge du politique même dans l’intérêt commun. «la politique doit plier le genou devant la morale» écrit Kant.
  • – En mentant, c’est la parole de tous que l’on remet en question, donc la valeur de tout ce qui est fondé sur des contrats , présupposant la confiance en la véracité et sincérité des contractants. Cela remet en question le contrat social et dc la vie en société. C’est à partir du même raisonnement que Kant interdit aussi le mensonge à l’ennemi en tant de guerre, car il ruinerait tout accord de paix future. D’où l’idée d’inscrire l’interdiction de mentir dans un droit de guerre, dont Kant est le premier à avoir l’idée.

 Kant résume sa position ainsi « le mensonge discrédite la dignité de l’humanité en notre propre personne et corrompt la façon de penser à la racine car la tromperie rend tout douteux, suspect et fait perdre  confiance en la vertu elle-même ».

Complément : les singes et la parole

« Les animaux sont des êtres humains comme les
autres  » Stéphanie de Monaco
« si le singe ne dit rien, c’est qu’il n’a rien à dire
non qu’il se retient de parler  » Dominique Lestel

Faire parler les singes est un phantasme de l’homme depuis les Lumières, depuis une dissection opérée par Edward Tyson sur des ouran-outangs, révélant des analogies entre leur larynx et celui de l’homme. A l’époque, conflit entre la position de Descartes (les singes ne peuvent parler car dénués de pensée !) et celle de La Mettrie pour qui le singe peut acquérir le langage.

A partir du Xxème siècle, on soutient la seconde.
Au départ, on essaie de faire acquérir aux singes la parole. Tentative des Hayes en 1951 sur le chimpanzé VICKI. Echec , après des années d’apprentissage, elle ne prononce de manière indistincte que quatre signaux : papa, mama, cup et up. Constatant que l’appareil phonatoire des singes est incapable de produire des sons de la parole, la recherche s’oriente selon 2 axes :
-faire acquérir le langage sourd et muet (l’ASL).
C’est le choix des Gardner sur Washoe à partir de 1966. En 1969, il possède 68 signes, consistant essentiellement en injonction (encore !, viens !, dehors !….). Au final, 100 signes et la capacité de former des combinaisons de 3 ou 4 signes ( vous/moi/ sortir/vite) . (travail équivalent sur des dauphins en 1984 avec signaux visuels et acoustiques). Mais Terrace , travaillant sur le chimpanzé Nim , souligne en 1979 que 1. Ces « phrases construites » ne suivent pas de règles syntaxiques déterminées même élémentaires 2. les signaux ne sont utilisés que sur demande de l’expérimentateur ou que pour demander quelque chose 3. Les signaux ne sont jamais utilisés pour interpeller ou attirer l’attention. 4. Plus qu’une compréhension des signaux , on assiste à une pure et simple imitation. D’où nouvel axe !
-faire manipuler aux singes de véritables signes linguistiques.
1er essai par Premack en 1971 avec Sarah. Sur un tableau magnétique, elle manipule des formes plastiques colorées associées à des objets, à des actions, à des caractéristiques d’objets ou d’action. Elle est capable de faire des associations ( verticales sans règles de grammaire) de 3 « mots » donc a la performance d’associer un objet et un substitut arbitraire aux formes contradictoires avec l’objet ( pomme= triangle bleu). Elle comprend l’analogie, la proportion, utilise l’impératif et pose des questions comme par exemple une interrogation sur un signe nouveau.
2ème essai par Sue Savage -Rumbaugh en 1977-78 sur deux chimpanzés , Sherman et Austin. Associations entre objet et lexigramme, une figure géométrique arbitraire apparaissant par simple contact sur un écran. 1 lexigramme pour différents objets, pour une classe d’objets : « nourriture » et « outil ». D’où performance de catégorisation.(performance identique chez les pigeons, avec Hermstein en 1976, qui entraînés à séparer et recompensés si « avec » sont capables de faire le distinguo entre des diapositives « avec ou sans arbre », « avec ou sans poissons », « avec ou sans A », « avec ou sans 2 »).
Mais, contexte expérimental douteux car chaque objet désigné est soit utilisé ou consommé , donc difficile de dire s’il s’agit d’une dénomination ou d’une simple demande.
Ceci dit , ces expériences ont mis à jour une capacité référentielle (relier un lexigramme et un objet), une capacité symbolique (indiquer quelque chose d’absent à un autre) et une capacité de dialogue.
3ème essai sur le bonobo Kanzi en 1980. A la différence des autres singes, il n’est pas « dressé » à parler ; il est seulement exposé au langage parlé et aux signes, comme un enfant jusqu’à six mois. A 18 mois il comprend la parole orale élémentaire ; à 2ans ½ , il maîtrise 2800 combinaisons de lexigrammes ; à 5 ans ½ il possède plus de milles mots. Il est capable de comprendre uniquement par des mots une situation portant sur une chose dont il ignore le mot (ex ; un monstre). Mais seulement 4% de ses énoncés sont référentiels et 96% restent des requêtes.
Descartes n’a donc peut-être pas été totalement démenti.

(Référence :L’intelligence de l’animal de Jacques Vauclair, Ed. Sciences Points)