De la bonne éducation, selon Kant

18 mars 2012 0 Par Caroline Sarroul

« Un des plus grands problèmes de l’éducation est de concilier sous une contrainte légitime la soumission avec la faculté de se servir de sa liberté. Car la contrainte est nécessaire ! Mais comment cultiver la liberté par la contrainte ? Il faut que j’accoutume mon élève à souffrir que sa liberté soit soumise à une contrainte, et qu’en même temps je l’instruise à faire bon usage de sa liberté. Sans cela il n’y aurait en lui que pur mécanisme ; l’homme privé d’éducation ne sait pas se servir de sa liberté. Il est nécessaire qu’il sente de bonne heure la résistance inévitable de la société, afin d’apprendre à connaître combien il est difficile de se suffire à soi-même, de supporter les privations et d’acquérir de quoi se rendre indépendant. On doit observer ici les règles suivantes : 1°) Il faut laisser l’enfant libre dès sa première enfance et dans tous les moments (excepté dans les circonstances où il peut se nuire à lui-même, comme par exemple s’il vient à saisir un instrument tranchant), mais à la condition qu’il ne fasse pas lui-même obstacle à la liberté d’autrui, comme par exemple quand il crie, ou que sa gaieté se manifeste d’une manière trop bruyante et qu’il incommode les autres… 2°) Il faut lui prouver que la contrainte qu’on lui impose a pour but de lui apprendre à faire usage de sa propre liberté, qu’on le cultive afin qu’il puisse un jour être libre, c’est-à-dire se passer du secours d’autrui. »      KANT, Traité de Pédagogie, 1803

 (Pour expliquer ce texte, vous répondrez aux questions suivantes, qui sont destinées principalement à guider votre rédaction. Elles ne sont pas indépendantes les unes des autres et demandent que le texte soit d’abord étudié dans son ensemble)

QUESTIONS:

  1. Dégagez la thèse du texte et les étapes de l’argumentation
  2. Expliquez les expressions suivantes :

a – « Concilier la soumission avec la faculté de se servir de sa liberté »

b – « cultiver la liberté par la contrainte »

c – « pur mécanisme »

3. Apprendre à être libre est-ce seulement apprendre à se passer du secours d’autrui ?

 

REPONSES

 Q1 : Dans cet extrait, Kant traite de l’éducation qui a 2 buts qui peuvent sembler contradictoires. D’un côté, éduquer, c’est dresser ou plutôt redresser, imposer une discipline aux comportements et pulsions. Mais d’une autre côté, éduquer, c’est aussi élever, permettre à l’élève de s’élever, de devenir lui-même, un homme libre. Kant propose de concilier ces 2 buts contradictoires ( Q.2.a) en proposant une éducation qui  consiste à contraindre l’enfant à utiliser sa  liberté, à le contraindre pour qu’il devienne libre.

– De la ligne 1 à 2, jusqu’à « … sa liberté », Kant pose le problème, le paradoxe de toute éducation qui doit donc faire deux choses en apparence contradictoires : contraindre et apprendre la liberté. Les solutions  pour éviter la contradiction seraient de supprimer la contrainte ou de supprimer l’apprentissage de la liberté.

– De la ligne 2 à 5, jusqu’à « …se servir de sa liberté » Kant exclut les deux. D’abord l’éducation laxiste, car « la contrainte est nécessaire ». Il faut imposer des contraintes à l’élève car il faut qu’il apprenne qu’il ne peut pas faire tout ce dont il a envie, il faut qu’il ne soit pas esclave de ses pulsions et caprices. Ensuite une éducation qui ne serait qu’un dressage, que faite de contraintes, d’ordres sans aucune marge d’action, de choix, sans liberté. Donc Kant exclut les deux car elles conduisent toutes deux à un comportement de type mécanique. Soit avec l’éducation laxiste, on est soumis à ses envies, pulsions et on se comporte comme une machine pulsionnelle, soit avec le dressage, on devient un robot qui ne fait que ce qu’on lui a dit et appris. Dans les deux cas, on ne sera pas libre, on ne saura pas se servir de sa liberté. La liberté s’oppose donc à deux servitudes : l’esclavage du désir (= indépendance au sens de faire tout ce qui nous plaît) et la soumission à la volonté des autres (= hétéronomie) (Q.2.c)

– De la ligne 5 à 8, jusqu’à « se rendre indépendant », Kant envisage la seule solution possible selon lui mettre la contrainte au service de la liberté, donc mettre le 1er but ( redresser) au service du 2ème but ( élever). Et il montre comment la résistance de la société devient un moyen de prendre conscience de la liberté et de la difficulté d’être libre ( ? la facilité à ses envies) et comment les privations donnent la volonté d’être indépendant, de se passer des autres et de faire des choix qui le permettent (? la tentation de demander tout et n’importe quoi aux autres).

– De la ligne 8 à la fin, Kant donne les 2 grands principes de son éducation à travers 2 règles : 1ère règle de liberté. Ne contraindre l’enfant que s’il risque de se faire mal par ignorance et par envie ou de faire du mal aux autres en portant atteinte à leur liberté. Pour le reste, le laisser se débrouiller, faire ses propres choix ; 2ème règle de la contrainte : il faut que la contrainte apparaisse libératrice soit parce qu’elle est l’occasion de faire des choix ( se soumettre ou non, choisir entre différentes possibilités quand tout n’est plus possible…) soit parce qu’elle donne la volonté d’être libre ( ne pas être dépendant)

 

Q3 : Apprendre à être libre est-ce ( = ) seulement ( seule condition) apprendre à se passer du secours d’autrui ?

 

I. Si libre = indépendant, être libre, c’est seulement ne pas dépendre des autres dans la réalisation de ses désirs, de ses choix. Etre dépendant des autres pour réaliser quelque chose, c’est être soumis à leur bonne volonté, et souvent devoir faire en retour quelque chose pour eux. Le secours des autres devient vite une contrainte, une limite opposée à l’idée même de liberté.

TR : mais comme on ne peut pas se passer totalement du secours des autres (d’où la vie en société pour répondre à nos besoins mais aussi à notre désir de reconnaissance,  à des désirs de pouvoir, de gloire…), cela voudrait dire que nous ne sommes jamais totalement libres. De plus cette indépendance extérieure peut cacher des servitudes intérieures et même extérieures (=HETERONOMIE, recevoir sa loi d’une autre que soi ou de ce qui n’est pas vraiment soi – corps, instinct, pulsions) , mais moins apparentes que des dépendances. Etre libre, est-ce faire seul, par soi-même ce qu’on a choisi de faire ou est-ce choisir par soi-même ce qu’on peut faire seul ou avec l’aide des autres ?

II.                  Si libre = autonome, être libre ce n’est pas seulement se passer du secours des autres,

– c’est être capable de se donner soi-même sa propre loi. Cela ne présuppose pas seulement qu’on ne soit pas dépendant des autres dans nos actes , mais aussi qu’on ne soit pas esclave de nos propres pulsions, déterminés du dehors par la société, la morale sociale et capables dans  nos propres jugements et  choix.

– Ce qui s’oppose à la liberté, ce ne sont pas les dépendances extérieures en elles-mêmes, mais la servitude d’un mécanisme, comme le dit Kant.

Etre libre, c’est même peut-être ne pas croire que ce qui ne dépend pas de moi en dépend mais  ne pas laisser dépendre d’un autre ce qui ne dépend que de moi OU même accepter que tout ne dépende pas de nous et ce qui ne dépend pas de nous  (philosophie stoïcienne qui renonce à la logique du désir pour une volonté raisonnable)

CCLusion : apprendre à être libre, ce n’est pas seulement apprendre à se passer du secours des autres, mais apprendre à être son seul maître. On peut être indépendant sans être autonome, comme on peut être autonome tout en étant dépendant du secours des autres  (on peut même dire avec Kant qu’on ne peut pas se passer du secours des autres pour devenir libre, apprendre à faire usage de sa liberté : l’homme naît libre mais a à le devenir avec les autres, au milieu des autres (METAPHORE DE L’ARBRE ET DE LA FORÊT dans Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique de Kant)