Conclusion

26 avril 2012 0 Par Caroline Sarroul

Conclusion sur Euthyphron

Le dialogue s’achève sur une aporie, d’où impression d’un échec. Mais :

1. cet échec est du à Euthyphron qui renonce face à la remise en question de l’opinion commune, de la tradition qu’est la critique de la dernière définition. Socrate lui voulait tout reprendre à zéro, pas seulement pour avoir des arguments contre Mélétos, mais parce qu’il a en tant que philosophe le désir de savoir, le souci du vrai mais aussi parce qu’il est certain que seule la connaissance permet de bien vivre (« je vivrais mieux le reste de ma vie »). On retrouve ici l’idée que « Nul n’est méchant volontairement ». [Formule prêtée à Socrate mais qu’on trouve en réalité dans la bouche de Ménon dans le Ménon : « Tu as des chances de dire vrai, Socrate. Et personne ne veut ce qui est mauvais. »]. Donc c’est parce qu’on est prisonnier de l’opinion comme Euthyphron qu’on peut mal faire et faire le mal ; et face à Socrate, Euthyphron ( littéralement esprit-direct, immédiat) incarne l’opinion.

2. si on n’a pas au final de définition du pieux, on a des éléments de réponse positifs :

  • il y a piété et Piété :

– il y a la piété définie par la tradition religieuse sociale et institutionnelle, qui permet de « préserver les demeures privées et le bien commun des cités ». il s’agit de la religion dans sa fonction sociale, celle de poser des limites, de poser un ordre. Ce qu’on pourrait qualifier de « dévotion » ( eusébia en grec). Cette piété est conservatrice et conformiste, soumission à l’ordre social. Mais si cette piété est importante et utile, elle n’est pas la Piété ( hosiotés en grec) car elle est contingente, propre à une société, alors que la piété se doit d’être universelle, la même pour tous ( un seul Dieu) et car elle repose sur des conceptions très discutables ( voir impies !) des Dieux ( mythe, représentation anthropomorphique)

– la Piété présuppose, elle, un comportement en accord avec la nature des Dieux et non par respect ( ou crainte) de normes sociales ( même nécessaires).

  • si on ne peut pas définir la piété, c’est parce qu’on ne peut rien dire des Dieux

Même si cela n’est pas dit clairement dans le texte, on peut penser que cette difficulté de définir le pieux, ce qui s’accorder avec les Dieux, c’est l’impossibilité de les définir, de les penser. Et cela , parce que les Dieux étant le principe de toutes choses, ils ne peuvent être pensés comme des choses. Or définir les dieux, c’est les enfermer dans une définition, dire ce qu’ils sont et donc ne sont pas. Le divin étant ce qu’on ne peut enfermer dans aucunes limites, on ne peut les penser : ils nous dépassent infiniment, ils sont transcendants. C’est cette idée neuve qu’apporte Socrate, en remettant en question les mythes et tout discours sur Dieu : dire qu’il faut les aimer, les servir, les soigner, les prier est inacceptable, car c’est ramener les Dieux au même niveau que nous, c’est leur enlever leur divinité.

Socrate n’est pas un adepte de l’athéisme ( il ne remet pas en question leur existence) , il n’est pas non plus un agnostique ( pour qui on peut se prononcer sur leur existence ne pouvant les connaître), il est adepte de l’APOPHATISME, le fait que si on peut à la limite dire ce que les dieux ne sont pas, on ne peut pas dire ce qu’ils sont d’où une théologie négative qui fait qu’on ne peut réellement rien en dire. Dans le Cratyle, on peut lire « nous ne savons rien des Dieux » ;

  • le pieux est le juste, le juste est le pieux

Si l’examen du pieux comme partie du juste a conduit à une impasse ( même si c’est ce que demande d’interroger l’affaire Euthyphron, il a le droit de porter plainte contre son père, c’est juste ! mais est-ce pieux ?) , le fait que le pieux soit tout le juste n’a pas été examinée MAIS :

– dans Protagoras , Socrate dit « pour mon compte personnel, je répondrais que la justice est sainte et la sainteté juste, « la justice est la même chose que la sainteté’

– dans l’apologie de Socrate, pour se défendre du crime d’impiété,  Socrate souligne rapidement qu’il n’est pas athée et qu’ils respectent les dieux de la cité, mais il montre ensuite longuement qu’il a été un bon citoyen respectueux des lois ( il refusera d’ailleurs de s’évader) et soucieux du bien commun. Démontrer que l’on est juste lorsqu’il faut se défendre d’impiété ne vaut que si le juste= pieux.

Comme on ne peut rien dire des Dieux, peut-être est-il logique que la seule chose qu’il nous reste à faire ce soit d’être juste en tout ! Mais dans ce cas, on en arrive à une piété sans religion,( presque sans Dieux, en tout cas pas avec ceux de l’Olympe), le juste étant une valeur, valant pour elle-même.

3. cedialogue inaugure une philosophie de la religion ( la philosophie examine de manière critique la croyance et les représentations religieuse. On retrouvera cela chez Epicure, mais aussi chez Spinoza qui propose une lecture critique philosophique  de la Bible dans le Traité théologico-politique. La philosophie n’a pas à être « la servante de la foi » comme le soutiendra St Thomas d’Aquin) et une philosophie religieuse : l’apophatisme.

Socrate n’est pas seulement celui qui analyse les devins, prêtres et discours religieux ; c’est aussi leur rival, comme la philosophie est la rivale de la religion.