L’oeil de Vivian Maier

Photographie de Vivian Maier, Fonds Vivian Maier, John Maloof, 2021

En juin 2018, j’avais parlé de la photographe américaine Vivian Maier (1926-2009). C’est à l’occasion de la consultation d’un livre lui étant consacré que je vais relater son parcours assez exceptionnel, et commenter son travail. Vivian Dorothy Maier est née à New-York le 1er février 1926 d’une mère française, Maria Jaussaud, née à Saint Julien en Champsaur (Alpes) le 11 mai 1897. Sa mère, Eugénie n’a que 16 ans lorsqu’elle enfante de Maria, d’un père inconnu ? Maria sera reconnue par légitimation lors du mariage de ses parents, Nicolas Baille et Eugénie Jaussaud, le 12 août 1932. Rétrospectivement, Maria portera le nom de Jaussaud-Baille.

Le parcours de Vivian Maier est parsemé d’aller-retour France-Etats-Unis, et le village d’origine de sa mère, Saint-Julien-de-Champsaur, où la vente d’une propriété au lendemain de la Seconde Guerre la fera revenir. Peut-être parce qu’elle a hérité d’une somme conséquente, elle voyage dans plusieurs pays jusqu’en 1956 où elle s’installe à Chicago dans une famille pour s’occuper des deux enfants. 

Où a-t-elle appris la photographie, la composition, la technique de prise de vue ? Quoi qu’il en soit, elle ne quitte jamais son Roleiflex, ou rarement un Leica IIIc. Visiblement, elle était plus à l’aise avec son Roleiflex, car on la voit toujours prendre ses photos à hauteur de poitrine ou au niveau du ventre. Cette technique de prise de vue permet de rester concentré sur le sujet photographié et d’être plus discret. 

Plus de 100.000 clichés lui sont attribués, et le plus curieux est que la plupart des photographies n’ont jamais été tirées du vivant de Vivian Maier. Etait-ce un accent de folie douce ou compulsive de ne jamais sortir sans son appareil photographique et de prendre des centaines de clichés par semaine. Elle sort beaucoup dans la rue et capture le moindre détail de la vie contemporaine. Elle réalise des portraits de gens singuliers, souvent des portraits de gens que la vie a malmenés,  ou des femmes en fourrure, des enfants qui jouent dans la rue ou qui montent sur une échelle improvisée pour regarder à l’intérieur d’un grand carton. Ses photographies sont d’une grande esthétique, très bien composées, et sont des témoignages sur le vif de ce qu’elle a vu. Un géant regardant à travers une vitrine, un homme usé par le temps ou l’alcool, un home handicapé qui se sert d’une canne pour avancer, un homme assoupi assis devant un magasin, une jupe qui se soulève, des mains qui s’étreignent, des femmes qui attendent. Elle photographie aussi la mort et la misère, un homme allongé dans le sable une jambe repliée, sa tête reposant sur son chapeau. Un cheval mort, allongé dans le rue. Un homme hirsute et crasseux qui semble regarder dans le vague. Un fauteuil calciné encore fumant sur le trottoir. La dépouille d’un chat. Trois hommes assoupis dont un semble surpris par le flash. Telles sont les images de la vie quotidienne que Vivian Maier a surprises tout au long de sa longue vie. Elle meurt à 83 ans, dans le dénuement, seule, et si John Maloof, un agent immobilier amateur de photographies n’avait pas acheté aux enchères une partie du fonds Vivian Maier, tout aurait été détruit, annihilé, et personne n’aurait vu ce travail phénoménal. Vivian Maier aimait se photographier dans les reflets des vitres et des miroirs qu’elle trouvait dans la rue. Toujours sérieuse, à la limite de la froideur, que cherche-t-elle à montrer ?  Elle regarde par le viseur « sport » de son Roleiflex, impassible et imperturbable. Cherche-t-elle à laisser une trace de son passage, ou bien à témoigner d’une réalité objective qu’elle saisit. Rien n’est moins sûr, car elle n’a jamais cherché à montrer ou à publier son travail de son vivant. Elle n’a visiblement pas laissé de texte ou d’explications. C’est donc un mystère qui va encore rester longtemps avant d’être résolu. 

 

Photographie de Vivian Maier, Fonds Vivian Maier, John Maloof, 2021

 

Il semble qu’à partir de 1973, elle utilisera une pellicule couleur Ektachrome et un appareil Leica IIIc, ce qui est assez anachronique puisqu’il s’agit d’un vieil appareil photographique, le Leica à l’époque étant un M4. C’est par conséquent un appareil qu’elle achète d’occasion. Elle possède aussi d’autres appareils photographiques, comme un réflex.

En attendant, John Maloof, qui s’est improvisé « conservateur » a créé une fondation Vivian Maier, et travaille à la numérisation de l’ensemble de l’oeuvre. Mais qu’a-t-on vu depuis 2009 ? Quelques photographies, une série d’images choisies pour leurs compositions. Faute d’un véritable travail d’inventaire et de recoupements, notamment ethnographiques ou l’historiques, l’exploitation de ce fonds, s’il fait gagner beaucoup d’argent à un homme qui malgré tout a le mérite de faire découvrir cette oeuvre, n’en est pas moins réduite à quelques tirages. Personnellement, je pense que cette oeuvre devrait appartenir au patrimoine mondial, et qu’il ne peut être la propriété d’une seule personne, qui plus est, sans lien familial. Ce n’est pas du tout la même chose que de trouver un puit de pétrole et un fonds photographique de cette importance. John Maloof restera à mes yeux un génial profiteur. 

Pour argumenter dans ce sens, et ne laisser aucune place à la rancoeur ou à la jalousie, je parlerais du photographe anglais Michael Kenna, avec qui j’ai eu la chance de travailler. Il a fait don de 301 tirages à la France, qu’il a réalisés sur le thème des camps de concentration. Un travail qui lui a pris des années. Il ne pouvait pas décemment s’approprier ce travail photographique et en tirer profit. 

Comment saisir la ville ?

=> Michael Kenna, L’impossible oubli. Les camps nazis cinquante ans après, Paris : Marval, 2001

=> John Maloof, Vivian Maier, Street photographer, Brooklyn, NY: PowerHouse Books, 2011

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