Quel héritage cet été pour l’anthropologie ?

Equipe Voir la ville juin 2018

Un été sombre pour l’anthropologie avec le décès d’Alain Touraine (1925-2023) en juin, le décès de Marc Augé (1935-2023 ) fin juillet et d’Howard Becker ( 1928-2023), dans la foulée en août. Dans la mesure où ces anthropologues arrivaient dans la dernière ligne droite de leur espérance de vie, étant ni ouvrier ni travailleur manuel, ils bénéficiaient d’une longévité supérieure. Ce qui devait arriver est arrivé. Cette année aura été marquée par la disparition (euphémisme) d’un certain nombre d’ethnologues et d’anthropologues, mis en lumière dans les médias. Reste que d’autres, moins connus, moins célèbres, sont mort dans la discrétion. Comme l’a dit Amadou Hampâté-Bà (1901-1991), « lorsque qu’un vieux meurt c’est une bibliothèque qui brûle ». Voici une liste non exhaustive.

Le paysage des sciences sociales a été occupé par de nombreux scientifiques nés entre 1900 et 1950. Celles et ceux nés en 1956 arrivent aujourd’hui au moment de leur mise à la retraite. Soit, ils vont demander l’éméritat, s’ils sont directeurs de recherche ou professeurs des universités. Autrement, ils seront « honoraires ». Ces personnes, aujourd’hui à la retraite, ont sculpté les contours d’une ethnologie, d’une anthropologie et d’une sociologie avec laquelle nous devons faire.

Leur influence n’a pas été celle de leurs prédécesseurs, comme Roger Bastide (1898-1974); Claude Lévi-Strauss (1908-2009), André Leroi-Gourhan (1911-1986), Henri Lefèvre (1901-1991) ou encore Raymond Ledrut (1919-1987) ou Jean Rouch (1917-2004), mais repose sur des îlots d’influence : Gérard Altabe (1932-2014); François Ascher (1946-2009); Georges Balandier (1920-2016); Louis Bergeron (1929-2014); Pierre Bourdieu (1930-2002); Françoise Héritier (1933-2017) ; Jean-Claude Chamboredon (1938-2020); Jacques Gutwirth (1926-2012); Colette Pétonnet (1929-2012); Robert Cresswell (1922-2016) ; François Sigaut (1940-2012) ; Jean Rémy (1928-2019), Martine Segalen (1940-2021) ; Jean Jamin (1945-2022) ; Patrick Williams (1947-2021) ; Bruno Latour (1947-2022) ; Monique Eleb (1945-2023) ; Daniel Fabre (1947-2016) et Georges Guilles-Escuret (1955-2021) ; Enric Porqueres i Gené (1962-2018) et ceux encore en vie : Françoise Choay (1925-); Maurice Godelier (1934-) ; Pierre-Henri Jeudy (1945-); Dan Sperber (1942-); Philippe Descola (1949-); Perla Serfaty (1944-) ou Monique Selim (1951-), et ceux qui appartiennent à la génération suivante comme Florence Weber (1958-); Stéphane Beaud (1958-); Thierry Paquot (1952-); Noël Barbe (1956-); tous ces chercheurs dont l’influence a diminué au fil du temps, et continue de se diluer à mesure qu’ils sont remplacés par leurs cadets. Pour certains, il existe des foyers de résistances, comme pour Pierre Bourdieu ou Philippe Descola. Mais pour la plupart, ils laissent une trace plus ou moins persistante dans les mémoires, dont une des fonctions est l’oubli, comme l’a écrit Marc Augé.

Mécaniquement, nous assistons à une hausse du nombre de décès par année, proportionnellement à l’ouverture du champ des sciences sociales et à la multiplication des vocations. D’un point de vue intellectuel, il est beaucoup plus difficile de sortir du lot aujourd’hui, et seuls, quelques figures émergent dans un environnement démultiplié. Éric Charmes (1969-); Nicholas Jounin (1981-); autant d’étoiles filantes qui n’ont pas encore leur nom propre gravé dans le marbre.

C’est un peu comme un arbre généalogique, mais à l’envers. La ramification s’étend sur les générations successives et nous voilà aujourd’hui submergé par des enseignants-chercheurs souhaitant, à leur tour, trouver leur place. Aujourd’hui donc, des gens comme Bernard Lahire (1953-) ; Didier Fassin (1955-) ; Nathalie Heinich (1955-) ; Emmanuel Grimaud (1976-) ; Sophie Chevalier (1967-) ; Laurent Barry (1968-) ; Laurent Sébastien Fournier (1973-) ; Ariane Deluz (1978), etc. apparaissent comme des éléments d’une relève. Ils ou elles ont pour eux d’avoir réalisé une synthèse des apports antérieurs, et proposent une continuité ou une ouverture vers une pensée anthropologique nouvelle. 

Sans culpabilité, nous pouvons aller puiser à travers cette immensité et trouver l’inspiration qui nous permettra d’affronter les décennies qui viennent. Nous devons dépasser nos pairs si nous voulons changer de paradigme.

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