D’où vient le mouvement ?

Extrait de Yona Friedman, L’humain expliqué aux extra-terrestres, L’éclat, 2016

Nous avons vu que de nombreux auteurs parlent du mouvement de la ville. Cela a donné le nom à ce séminaire, et ce mouvement perpétuel, mouvement des uns et des autres s’exprime à travers l’ensemble de la société. Evidemment on pense aux flux de la circulation et des agents sociaux qui vaquent à leurs occupations quotidiennes. A une échelle plus dilatée, on pense aux commerces qui changent, et à une échelle encore plus large, on pense aux changements des quartiers qui illustrent ce mouvement perpétuel. Le mouvement est perceptible à plusieurs échelles de temps, parfois très proches de l’échelle humaine, parfois très distant comme il en est pour l’échelle politique.

Mais alors, d’où vient de mouvement ?  Pierre Bourdieu, dans un article de 1980 portant sur les relations entre l’histoire réifiée et l’histoire incorporée, écrit que « le principe du mouvement perpétuel qui agite le champ ne réside pas dans quelque premier moteur immobile, — ici le Roi Soleil —, mais dans la lutte même qui, produite par les structures constitutives du champ, en reproduit les structures, les hiérarchies. Il est dans les actions et les réactions des agents qui, à moins de s’exclure du jeu, et de tomber dans le néant, n’ont pas d’autre choix que de lutter pour maintenir ou améliorer leur position dans le champ, c’est-à-dire pour conserver ou augmenter le capital spécifique qui ne s’engendre que dans le champ, contribuant ainsi à faire peser sur tous les autres les contraintes, souvent vécues comme insupportables, qui naissent de la concurrence ».

Pour comprendre cette affirmation, il faut revenir au tout début du paragraphe de son article, lorsqu’il écrit que « la relation originaire au monde social auquel on est fait, c’est-à-dire par et pour lequel on est fait, est un rapport de possession, qui implique la possession du possesseur par ses possessions ».

De ceci, nous pourrions dire que la lutte perpétuelle des agents est au centre de ce mouvement perpétuel, puisque le mouvement qui est  à l’origine ne peut être que celui des agents sociaux qui composent la ville. Chacun essaie d’augmenter son capital, de progresser sur l’échelle sociale, mu par cette injonction. Cette propriété des champs sert à expliquer d’où vient ce mouvement, et surtout sa raison d’être. Dès lors, il est facile de comprendre qu’une ville ne peut que bouger, car les agents sociaux qui la composent ont se besoin irrépressible d’accroître leur capital symbolique, économique, culturel, etc., dans un champ donné, et parfois essayent de changer de champ. Une ville serait-elle stable, équilibrée, immobile, qu’elle serait transformée en un objet patrimonial (c’est un peu l’idée des AVAP). Mais les agents n’en seraient pas pour autant immobiles, décidant et accroissant leurs capitaux, accumulant dans la discrétion du patrimoine et des symboles. C’est ce que reprennent le couple de sociologues, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot dans leur dernier ouvrage autobiographique, lorsqu’ils écrivent que « la ville est un fait social à l’état objectivé : rapports sociaux et vie sociale cristallisés dans des objets matériels (les formes urbaines bâties) mais aussi dans des institutions, des textes ou des règlements. Mais si la ville est constamment remodelée par les pratiques sociales qui la constituent, ces pratiques sont le fait d’agents sociaux qui sont eux-mêmes du social incorporé sous la forme de dispositions durables ».

 

=> Pinçon Michel & Pinçon-Charlot Monique, Notre vie chez les riches. Mémoires d’un couple de sociologues, Paris: Zones, 2021

=> Bourdieu Pierre, « Le mort saisit le vif », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 32-33, 1980, pp. 6-17

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