Epistémologie #1 Emile Durkheim et la sociologie scientifique

Franck Zappa au début des années 1960 s’entraine au vélo

 

#1 Emile Durkheim et la sociologie scientifique

Emile Durkheim (1858-1917), considéré comme le père de la sociologie en France. Issu d’une famille juive, d’un père rabbin, il sera formé à la philosophie et obtiendra une agrégation (longue tradition en sciences sociales) à 34 ans. Il enseigne en lycée et soutient sa thèse en 1893 qui porte sur la division sociale du travail. Agnostique, il considère le fait religieux comme une construction sociale.

L’ouvrage le plus lu reste Les règles de la méthode sociologique, rédigé à 44 ans. Cet ouvrage fonde d’un point de vu scientifique la méthode sociologique en mettant l’accent sur la chasse aux prénotions.
« Les hommes n’ont pas attendu l’avènement de la science sociale pour se faire des idées sur le droit, la morale, la famille, l’État, la société même ; car ils ne pouvaient s’en passer pour vivre. Or, c’est surtout en sociologie que ces prénotions, pour reprendre l’expression de Bacon, sont en état de dominer les esprits et de se substituer aux choses. » (p. 25)

Les prénotions sont les idées toutes faîtes, les idées reçues, que chacun a en tête à propos de tout et de rien. L’individu a besoin de représentations du réel pour le comprendre. Mais il ne comprend le réel qu’à travers des représentations. Celles-ci sont inculquées dès l’enfance par la famille, au cours de la scolarisation, par les amis, les institutions et les propagandes idéologiques. Elles ne reposent pas sur une réalité objective mesurable.

« Il faut écarter systématiquement toutes les prénotions. Une démonstration spéciale de cette règle n’est pas nécessaire; elle résulte de tout ce que nous avons dit précédemment. Elle est, d’ailleurs, la base de toute méthode scientifique. Le doute méthodique de Descartes n’en est, au fond, qu’une application. Si, au moment où il va fonder la science, Descartes se fait une loi de mettre en doute toutes les idées qu’il a reçues antérieurement, c’est qu’il ne veut employer que des concepts scientifiquement élaborés, c’est-à-dire construits d’après la méthode qu’il institue ; tous ceux qu’il tient d’une autre origine doivent donc être rejetés, au moins provisoirement. […] Il faut donc que le sociologue, soit au moment où il détermine l’objet de ses recherches, soit dans le cours de ses démonstrations, s’interdise résolument l’emploi de ces concepts qui se sont formés en dehors de la science et pour des besoins qui n’ont rien de scientifique. Il faut qu’il s’affranchisse de ces fausses évidences qui dominent l’esprit du vulgaire, qu’il secoue, une fois pour toutes, le joug de ces catégories empiriques qu’une longue accoutumance finit souvent par rendre tyranniques. Tout au moins, si, parfois, la nécessité l’oblige à y recourir, qu’il le fasse en ayant conscience de leur peu de valeur, afin de ne pas les appeler à jouer dans la doctrine un rôle dont elles ne sont pas dignes » (p.31).

« Le doute est le moteur de la recherche« , comme le souligne Ph. Laburthe-Tolra, à la suite de Descartes, reste une ligne de conduite scientifique et de mise en garde contre les idées toutes faites au sujet des choses.

Pour savoir quelles sont ces idées reçues, ces croyances sur un état de la réalité que l’on pense réel, il faut revenir sur la notion de fait social et sur sa définition. Pour mettre en évidence l’existence d’un fait social, il faut comme l’écrit Durkheim contrarier son évidence.

« Quand je m’acquitte de ma tâche de frère, d’époux ou de citoyen, quand j’exécute les engagements que j’ai contractés, je remplis des devoirs qui sont définis, en dehors de moi et de mes actes, dans le droit et dans les mœurs. Alors même qu’ils sont d’accord avec mes sentiments propres et que j’en sens intérieurement la réalité, celle-ci ne laisse pas d’être objective ; car ce n’est pas moi qui les ai faits, mais je les ai reçus par l’éducation. […] De même, les croyances et les pratiques de sa vie religieuse, le fidèle les a trouvées toutes faites en naissant ; si elles existaient avant lui, c’est qu’elles existent en dehors de lui. Le système de signes dont je me sers pour exprimer ma pensée, le système de monnaies que j’emploie pour payer mes dettes, les instruments de crédit que j’utilise dans mes relations commerciales, les pratiques suivies dans ma profession, etc., etc., fonctionnent indépendamment des usages que j’en fais. Qu’on prenne les uns après les autres tous les membres dont est composée la société, ce qui précède pourra être répété à propos de chacun d’eux. Voilà donc des manières d’agir, de penser et de sentir qui présentent cette remarquable propriété qu’elles existent en dehors des consciences individuelles » (p. 18).

« Qu’un individu tente de s’opposer à l’une de ces manifestations collectives, et les sentiments qu’il nie se retournent contre lui. Or, si cette puissance de coercition externe s’affirme avec cette netteté dans les cas de résistance, c’est qu’elle existe, quoique inconsciente, dans les cas contraires. Nous sommes alors dupes d’une illusion qui nous fait croire que nous avons élaboré nous-mêmes ce qui s’est imposé à nous du dehors. » (p. 19)

Parmi les nombreux exemples, Durkheim propose celui du vêtement.
« Si je ne me soumets pas aux conventions du monde, si, en m’habillant, je ne tiens aucun compte des usages suivis dans mon pays et dans ma classe, le rire que je provoque, l’éloignement où l’on me tient, produisent, quoique d’une manière plus atténuée, les mêmes effets qu’une peine proprement dite » (p. 19).

Les grands travaux de Durkheim sur le suicide comme fait social appuieront cette idée que des pratiques peuvent être portées par la société et non par l’individu, grâce au recours à la statistique et au croisement des données. Une lecture de l’ouvrage de Durkheim est plus que conseillée à ce niveau de découverte des sciences sociales.

=> Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, (1894), Paris, PUF, 2013

=> Jean-Pierre GARNIER & Philippe LABURTHE-TOLRA, Ethnologie-Anthropologie, (1993), Paris : PUF, 2016

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