Epistémologie #2 : Du questionnement initial à la question questionnante

Morceau du mur de Berlin, 2017

Nous entamons le deuxième volet d’une révision générale sur l’art et la manière de mener une recherche. Après avoir fait la chasse aux prénotions, nous voilà dans le questionnement.

 

Du questionnement initial à la question questionnante

Tout chercheur doit d’abord se questionner sur l’origine et le sens de sa recherche. Quoi chercher, pourquoi chercher, pour qui ? Avant de se questionner sur le comment. Pourquoi chercher ? Cela part d’un questionnement pour lequel il n’y a pas de réponse immédiate ni évidente. Ou alors on n’a qu’une réponse partielle, ou qu’une série de réponses sans lien.

On peut considérer l’univers d’une recherche comme un grand espace que le chercheur aurait à observer, soit dans son ensemble, soit en des points particuliers. À l’échelle du chercheur (échelle humaine), l’ensemble n’est pas préhensile (l’image revient à dire que lorsque l’on est au milieu d’un champ, on ne peut regarder tout le champ d’un seul tenant. Un autre observateur placé sur un des coins verra celui qui est au milieu, mais ne verra pas forcément ce qu’il voit). Il faut une certaine distance pour pouvoir voir l’ensemble et en tirer quelque chose : prendre du recul. Que va-t-il pouvoir en dire ? Je mets de côté le « pour qui va-t-il écrire ? », mais en fait, il faut y penser dès à présent, et ne pas se réfugier derrière le mémoire scolaire.

Le chercheur peut travailler sur un endroit, une rue, une allée, une cage d’escalier. Dans ce cas, il va pouvoir observer, mesurer, identifier, établir une liste de ce qu’il voit. La série de boîte aux lettres donne des indications à partir des patronymes, sur l’origine culturelle et sociale des habitants. Lorsque l’on multiplie ces données à un immeuble collectif, on obtient une lecture sociale et culturelle à l’échelle de l’immeuble. En élargissant au quartier, on peut commencer à découper les espaces en micro-espaces suivant les indicateurs que l’on a mis en place. À partir de tout cela, il va établir des principes, édicter des faits, proposer des hypothèses. Bien entendu, le chercheur doit se mettre en condition de recherche, c’est-à-dire qu’il doit évacuer tous ces a priori et considérer son sujet comme s’il n’en connaissait rien (dans un premier temps). Vous arrivez dans un quartier pour la première fois. Pour cela, vous allez construire votre objet de recherche au moyen d’outils conceptuels, comme les « agents sociaux » pour parler des gens. Attention à l’utilisation de la notion « d’acteur » qui peut renvoyer à une institution. Il faut savoir qui l’on met derrière ce mot-valise.

Si son travail dure un certain temps, il va commencer à apercevoir que des pratiques se répètent suivant des règles sociales, en comprendre les circulations, suivre les agents sociaux et les questionner. Sur un temps assez long, il va recroiser certains agents sociaux et en déduire une fréquence. Il va pouvoir trouver des logiques, des stratégies, des évitements. Il se documentera et ajoutera une connaissance historique du lieu. Il en tirera plus d’informations et ses hypothèses iront plus loin. La durée d’une recherche est par conséquent un élément important qui joue pour la qualité, mais aussi pour la quantité d’information, de connaissances accumulées.

Il pourra aussi utiliser d’autres moyens de collecte, changer d’angle d’observation et voir du dessus ce qui se passe, faire des croisements. Il pourra poursuivre en aller-autour, et ajouter une connaissance géographique du lieu. Dans le même temps, il se sera rapproché des études similaires et aura lu les récits des chercheurs qui ont travaillé sur des domaines similaires. Ses hypothèses seront nouvelles ou bien confirmeront le déjà écrit. Il va croiser ses hypothèses à celles d’autres chercheurs en allant dans des colloques ou en lisant des articles.

D’un autre côté, comme il ne vient pas d’une autre planète, il va pouvoir utiliser son expérience personnelle, son savoir-faire acquis en fréquentant son quartier. Il a déjà une idée de ce qu’on y trouve – ou n’y trouve pas – et pourrait décrire son fonctionnement, les habitudes de certains agents, même sans en avoir une connaissance précise. Il sait à peu près comment le quartier est organisé, et comment y vivent les habitants. Cette dimension incorporée de la connaissance nous sert à appréhender de nouveaux modèles, c’est une base qu’il faut aussi questionner sur ce que l’on croit savoir. En amont, il faut cerner les a priori, ou les jugements de valeurs, ou les prénotions. En amont, il faut questionner ce que l’on sait déjà et ce que l’on a acquis. La recherche est plutôt du côté du doute que de la certitude, car douter c’est remettre en cause ses acquis au profit d’une nouvelle analyse ou de nouvelles perspectives.

La même démarche est à l’œuvre lorsque l’on étudie un grand ensemble, une cité, un morceau de ville, une ville, un quartier ou une place. Par où commencer ? Quoi observer ? Doit-on se contenter de collecter les informations sur un seul élément, ou bien essaie-t-on de prendre en compte l’ensemble ? Et où sont les limites de cet ensemble ? Le quartier, le territoire, la rue, l’entrée de l’immeuble ? Qui sont les voisins ? Où commence le quartier ? Quel état des lieux puis-je faire sur ce que je sais ? Comment savoir ce que je ne sais pas ? Il faut repousser sans cesses les limites du savoir. Et prendre conscience que l’on ne sait pas est déjà un pas vers la connaissance. Penser que ce que l’on sait, on le sait parce que ceux qui ont dispensé ce savoir on eu intérêt à le dispenser. Cela renvoie à la question des enjeux que nous verrons plus tard…

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