La ville en mouvement en 2001

Un peu de fraîcheur en ce mois d’août, Empalot en hiver © JN

 

Francis Godard (sa page Wiki est édifiante) a écrit en 2001 un petit guide dans la collection Découvertes Gallimard destiné à appréhender La ville en mouvement. Ce titre nous intéresse parce que c’est le nom de notre séminaire. Mais je rappelle que l’idée nous vient des travaux de Colette Pétonnet et du LAU. Les vingt années qui nous séparent de ce livre vont nous être utiles pour entrevoir les biais liés à l’air du temps.

Faut-il expliquer ce principe ? Chacun de nous appartient à son époque, à son temps, et nous véhiculons tous, sans même nous en rendre compte, des préjugés et des idées reçues face à l’idée qu’on a du monde. Lorsque l’on croit être original, on diffuse en réalité des idées captées dans l’air du temps, et les plus intuitifs et créatifs d’entre nous sont ceux qui savent capturer ces moments. C’est-à-dire qu’ils ont appris à lâcher prise sur leur temps. De même, quand on écrit un livre, si les idées peuvent apparaître originales, c’est qu’elles n’ont pas encore été apprivoisées par l’ensemble de la société, ou qu’elles n’ont pas encore franchi le seuil de l’acceptation.

Voilà pourquoi ce livre va nous intéresser, parce qu’il fait état d’une pensée en 2001. Une pensée autorisée parce que validée par l’éditeur. 

Les quatre chapitres qui forment l’ouvrage portent sur la métamorphose de la ville, d’un point de vue architectural et urbanistique (Godart était à l’époque aux Ponts et Chaussées), un chapitre sur les réseaux et la circulation des énergies, des fluides et des déplacements. On y parle du tout-voiture. Un chapitre sur les nouvelles compositions urbaines, avec une place importante pour l’espace public. Un dernier chapitre sur la ville qui assemble ou qui sépare.

Dans le chapitre deux, à côté du constat de l’étouffement des villes et de la densification de la circulation, plusieurs solutions apparaissent, notamment pour le « petit véhicule urbain électrique » : « Lorsqu’on sait, écrit Godard, qu’en Europe, 48 % des trajets font moins de 3 km et que les démarrages à froid et les courtes distances, pour lesquels on n’atteint pas les températures d’eau et d’huile correctes, sont ceux qui entraînent d’importantes surconsommations et surémissions de polluants » (p. 52) on pense à développer le véhicule électrique. Très peu autour du vélo, et s’il est question des pistes cyclables, ce n’est qu’à titre anecdotique. Le vélo, Godard n’y croit pas, comme la majorité des fabricants de la ville (aménageurs, décideurs, acteurs de l’urbain). Voilà une idée très répandue en 2001 qui faisait passer les cyclistes pour des hurluberlus, à l’instar du vélo de Dominique Voynet, écologiste, chargée de l’environnement sous le gouvernement de Lionel Jospin (1997-2002). Un article récent issu du Monde nous le rappelle :

« Devenue ministre de l’Environnement de Lionel Jospin dans le gouvernement de la gauche plurielle (1997-2002), Dominique Voynet préfère son vélo aux limousines avec chauffeur. Il lui arrivera régulièrement d’installer sa fille sur le porte-bébé de sa bicyclette pour la conduire à l’école, mais cela ne fera guère de bruit médiatique. « C’était une tout autre époque, où l’on continuait d’adapter la ville à la bagnole. Le vélo était considéré comme un loisir – ou un mode de déplacement de prolo – mais sûrement pas une alternative à l’automobile. »

Ce qu’il définit comme une ville durable est une ville « capable de poursuivre sa croissance tout en offrant une qualité de vie à ses habitants présents et futurs » (p. 53). Nous naviguons toujours dans l’idéologie néo-libérale d’une croissance à tout prix. Même s’il parle de ségrégation, la ville est tout de même faite pour les classes dominantes. Parce qu’en réalité, la qualité de vie ne concerne que les classes dominantes. Les classes populaires n’y ont pas accès. Lorsque ma voisine se levait à 5 heures du matin pour se rendre sur ses lieux de travail (elle faisait des ménages dans des bureaux), sa qualité de vie se percevait dans l’espoir d’un avenir meilleur, moins pénible et plus apaisé (terme à la mode aujourd’hui). Dans son quotidien, c’était l’accumulation des heures de fatigue dans les transports publics en commun, les longs trajets et le temps passé à travailler. Allait-elle se mettre au vélo ?

Dans mon immeuble, d’autres se sont mis à la trottinette électrique pour essayer de gagner du temps sur les trajet-travail, et pour améliorer cette qualité de vie, au détriment d’une fragilité dans l’espace public. Effectivement, les gens qui circulent à trottinettes électriques (VPM) sont soumis aux accidents de circulation, aux intempéries et aux fluctuations du climat. Ils prennent des risques.

Bref, la proposition de Godard pour faire face à l’ère de la voiture tient en une phrase. « Le principe correctif à cette super-spécialisation paralysante serait de réhabiliter les modes de transports actuellement méprisés – les véhicules publics et les pieds des particuliers tous les deux essentiels au mouvement des masses. » (p. 113). Le vélo n’apparait pas comme une solution envisageable ou réaliste.

Voilà une découverte de ce petit livre qui pourrait être mis à profit dans une séance pour mesurer les écarts entre ce qu’il était possible d’imaginer en 2001, et ce que l’on propose aujourd’hui. Si la ville est bien en mouvement, les idées le sont tout autant, et les grandes interrogations se transforment à leur tour.

=> Francis Godard, La ville en mouvement, Coll. Découvertes Gallimard, Paris : Gallimard, 2001

=> Jean Michel Normand, « Le vélo de Dominique Voynet, un ovni vert dans la cour de l’Elysée », Le Monde du 1er août 2022

buy windows 11 pro test ediyorum