Intensif séminaire : apprendre à rêver

Notre groupe s’est retrouvé pour une semaine (du lundi au vendredi) à la Halle de la Machine pour réfléchir autour de la notion de rêve. D’abord, nous avons été super bien accueilli, et nous avons pu profiter d’une immersion dans cette structure, aux côtés des Véritables Machinistes, mais aussi d’un bénévole et de Simone dit Monette, habitante du quartier investie d’une mission de communication. Les étudiants se sont penchés sur ce quartier en évolution, en création, et cette histoire encore ténue, non cristallisée, qui commence. Vendredi soir, ils étaient quatre à présenter le travail collectif de la semaine. Les autres étaient dans leur lit, car un virus nous avait semble-t-il attaqué. J’espère que tout va rentrer dans l’ordre cette semaine, car nous devons finaliser le dossier de restitution, pour nous permettre de revenir l’année prochaine… Comme c’est dimanche, je glisse le texte de ma contribution (premier jet)…

Le Minotaure est un habitant du quartier

« Astérion, le Minotaure, Ariane et Princess, les deux araignées, sont trois machines de spectacle constituées d’organes mécaniques, de vérins et de leviers, recouverts de bois vernis. Ces marionnettes spectaculaires prennent vie au contact des Véritables Machinistes (VM), intermittents de spectacle vivant et des arts de la rue. Soumis à leur volonté, la poésie qui s’en dégage est le fruit d’un travail de collaboration entre artistes, tout corps confondu, de l’insigne créateur aux techniciens de maintenance. Le Minotaure est un habitant du quartier. Dans son écrin de métal et de verre, il repose en attendant les spectateurs. Soudain, il s’éveille, et souffle une vapeur et grogne profondément. Il s’éveille, et lève la tête, ouvre les paupières pour nous faire découvrir de grands yeux bleus, regarde autour de lui, s’étonne du public qu’il reconnaît peut-être. Un visage d’enfant lui sourit. Il répond d’un mouvement de tête. Ses bras s’animent et maintenant il s’élance dans sa promenade circulaire. Il quitte son enclos pour déambuler un instant sur l’aire alentour, guidé par les VM ou bien est-ce le contraire. Dessus, les passagers s’agitent. Ils ne connaissent pas le chemin qu’Astérion va emprunter. Ils se laissent porter et emporter par l’animal-machine, durant un voyage d’une quinzaine de minutes. Cette carcasse qui a pris vie et que l’on imagine dominer le monde. Philippe Descola écrit : « On peut parler à son chat ou à son ordinateur comme s’ils étaient des sujets pensants autonomes, mais cela ne va pas jusqu’à les imaginer existants dans des sociétés parallèles à la nôtre avec leurs normes et leurs institutions, parce que nous n’avons pas de récits qui nous permettent de considérer cela comme normal, en dehors des récits littéraires ». Ne peut-on pas imaginer un instant qu’Astérion soit vivant, faire abstraction des Véritables Machinsites et puiser au fond de son imagination pour voir à travers cette scène un animal semi-mythique semi-inventé qui pose son regard interloqué sur le monde qui l’entoure. Que nous dit-il de nous-même ? Quel regard affûté n’a-t-il pas, lui qui a resurgi du passé, à travers l’imagination et les récits transmis depuis des millénaires. Le gardien du Temple est aujourd’hui cantonné à promener un public avide de sensation, consommateur d’émotion, désabusé du monde, enclin à se satisfaire d’un manège. Ce public cherche-t-il à se raccrocher à la mythologie ancienne ? A s’en rapprocher. Cherche-t-il dans cette étrangeté une réponse à son existence et au sens de la vie ? Astérion n’est-il pas bien placé pour répondre ? Toute machine construite par l’homme est un agent médiateur entre le monde et sa représentation. Parce qu’elle contient en elle l’essence des habitudes humaines, ses peurs et ses espoirs, la machine propose une interprétation du monde, et Astérion, tout comme Ariane ou Princess, n’y échappe pas. Regardons de plus près ce visage, ces naseaux fumants et ces yeux expressifs. Il y a dans ce regard une volonté de dialogue, on sent une envie irrépressible de nous dire quelque chose. Quelle est la grande réponse à la grande question ? Astérion est un habitant du quartier. Il s’y aventure depuis maintenant quatre ans et en connaît presque tous les recoins. Autrefois, il partait le long de la piste historique d’aviation et passait devant les fenêtres des immeubles. Les bambins de la crèche savaient l’attendre et lui faire signe de la main. Pour eux, il était vivant. En ont-ils gardé un souvenir ? Aujourd’hui il a réduit sa course et tels les éléphants du zoo, il forme des cercles plus étroits, comme si l’on appréhendait qu’il ne s’échappe. Mais déjà il retourne sur ses pas, regagne son paddock dans cette écurie d’animaux mécaniques démesurés. Le groupe descend, fier et rieur, se précipite devant l’animal pour un dernier selfie. Non, cette fois, il ne dira rien. Une fois de plus, les hommes n’ont pas compris. En désespoir de cause, Astérion se rendort, paisiblement il repose sa lourde tête et ferme ses paupières. Son moteur s’éteint. Il s’endort, jusqu’au prochain réveil. »

=> Philippe Descola & Alessandro Pignocchi, Ethnographies des mondes à venir, Paris : Seuil, 2022

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