Critiques des sources : un exemple éclairant

Le vélo conventionnel est meilleur pour la santé

La recherche scientifique passe par la critique des sources, première étape dans le travail bibliographique. Ce point important laisse supposer qu’un texte rédigé par un « scientifique », appartenant à la communauté scientifique, comportera un biais idéologique moins important, la neutralité n’existant pas. 

Au détour d’un article édité dans Le Monde — un journal accrédité d’une certaine valeur journalistique — je tombe sur un article intitulé « vélo électrique ou conventionnel : quel impact sur la santé ? » de Sandrine Cabut. Je vais le décortiquer pour faire ressortir la part idéologique qu’il contient.

L’article porte sur une comparaison entre le vélo « électrique » et le vélo « conventionnel », qui sera appelé plus loin vélo « traditionnel ». À aucun moment la question n’est posée de savoir s’il s’agit, dans les deux cas, de vélo. Nous partons de l’a priori que le vélo électrique est également un vélo, non conventionnel et non traditionnel. Le sous-entendu suppose que le lecteur de l’article sait que la différence tient à la motorisation de l’un et la force motrice des jambes de l’autre. Toute la question est là, et cette confusion dans la famille des objets techniques engendre un faux débat.

Dans un premier temps, la journaliste se réfère à une étude scientifique quantitative qui compare deux groupes de cyclistes (en VAE et conventionnel) pour mesurer les écarts tant du point de vue des groupes que des bénéfices liés à la pratique du vélo. Cet alibi lui permet de mettre en avant les utilisateurs de VAE responsables d’un « engouement croissant ». Clairement, il s’agit d’un article visant à influencer vers la pratique des VAE. 

On y apprend tout de même que les électro-cyclistes sont plus vieux, plus gros et plus malades, dit dans un vocabulaire politiquement correct, cela donne : « plus âgé, en surpoids et plus atteint de maladies chroniques ». On y apprend aussi qu’ils font moins d’activité physique, puisque le moteur électrique pédale pour eux. On apprend aussi que les femmes sont plus sujettes aux accidents sur VAE. L’argumentation pourrait s’arrêter ici, et concrètement le VAE n’a rien pour lui. Sauf que la conjonction « mais » vient par deux fois retourner l’argumentaire.

Une première fois, pour indiquer que le VAE a été créé pour attirer les sujets qui ne pratiquent pas le vélo traditionnel. Ici, la journaliste utilise avec subtilité un changement de mots et passe de conventionnel à traditionnel. Quand on sait l’importance des mots, ce constat n’est pas neutre.

La journaliste sort ensuite de sa botte secrète la phrase issue du livre passionnant du géographe  Alexandre Schiratti. Dans le monde scientifique, ne pas connaître untel relève de l’habituel, et n’étant pas géographe, j’avoue ne pas connaître Alexandre Schiratti. Aussi je m’empresse d’aller sur these.fr pour voir quelle est sa thèse, qui a été son directeur de thèse et de quelle école doctorale il vient. Ce réflex permet de s’assurer du parcours et de la scientificité de la personne. Bref, aucune information sur le site ; Schiratti n’a pas soutenu de thèse ! N’en est-il pas moins géographe ?

Le statut de géographe n’est pas réglementé comme peut l’être le statut d’architecte. Après l’obtention d’une licence de géographie, n’importe qui peut se dire géographe, tout comme ethnologue ou sociologue. Pour cette raison, on trouve des individus socio-anthropologues, philosophes et urbanistes à la fois. Les multiples casquettes procurent une distinction et une emphase qui généralement suffit à faire autorité. Mais à regarder de plus près, ne pas avoir de thèse de doctorat, n’est-ce pas un peu tricher sur la marchandise ? Plus loin, la journaliste qualifie notre géographe de « spécialiste des mobilités et de l’environnement ». La transition écologique est en marche, nous pouvons dormir tranquille. 

Sur Linkedin, on voit que notre homme est titulaire d’un Master : Transports, territoires, environnement. Est-ce un géographe pour autant ? Titulaire d’un CAP de cuisine, il est aussi cuisinier. 

Une seconde fois, le « mais » intervient dans le dernier paragraphe qui propulse Schiratti au sommet avec un « livre passionnant » refaisant l’histoire de la draisienne jusqu’aux pionniers pour mettre en avant quelques grands noms de la vélocipèdie, histoire de donner envie de refaire les voyages soit « sur un biclou sans pneu », soit en vélo électrique. L’opposition binaire est ici poussée à son paroxysme alors qu’aucun pionnier n’a roulé sur un vélo sans pneu. C’est évident ! Le vélo « traditionnel » est dénigré au profit du vélo électrique.

De cet article, nous pouvons donc conclure qu’une attention est toujours nécessaire lorsque nous utilisons une source journalistique. Il est nécessaire de la citer, et de citer son auteur. Cependant, nous voyons également que les sources utilisées par les journalistes ne font pas office d’analyse critique et qu’il est important de vérifier les sources citées. 

C’est une double tâche qui incombe au scientifique, et sans cette vigilance, on a tôt fait de rabâcher des à peu près ou une idéologie sans s’en rendre compte. Ici, mais je m’en doutais, nous avons affaire à une tentative d’influence d’une part pour le VAE et d’autre part pour le géographe.

La même démarche sera utilisée pour les documentaires, et toutes les sources secondaires comme wikipedia, youtube, etc. devront obligatoirement être critiquées avant d’être utilisées.

=> Sandrine Cabut, « Vélo électrique ou conventionnel : quel impact sur la santé ? », Le Monde, 22 octobre 2022

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