La ville est en mouvement

Manifestation du samedi, décembre 2020 © NJ

 

Pour revenir aux sources de l’ethnologie urbaine comme le définissait Colette Pétonnet, voyons comment ce chercheur analysait la ville. Le mouvement est chez elle souvent convoqué pour évoquer la ville dans ses nombreuses particularités. Le mouvement est un flux, et le recourt aux métaphores des fluides sonne particulièrement bien pour décrire la ville.

 

La ville industrielle obéit au même mouvement…

« Depuis plus d’un siècle la ville industrielle obéit au même mouvement, régulier comme une respiration. Elle gagne par ondes successives et recouvre ses confins où des populations pauvres avaient afflué. Des bourgeois aisés quittent le centre étouffant pour peupler ces quartiers neufs, et leur vague repousse à la périphérie celle, indésirable, des premiers occupants, cependant que s’infiltre, dans la place délaissée, une nouvelle couche pauvre. Les vieilles maisons non entretenues se « taudifient ». Mais que des travaux d’aménagements et des démolitions surviennent, et les bourgeois reconquièrent les quartiers du centre. »

=> Colette Pétonnet « Réflexion au sujet de la ville vue par en dessous », L’année sociologique, Vol. 21, 1970 : 151-185

 

La ville est un mouvement perpétuel…

« La ville est un mouvement perpétuel : mouvement des gens, qui possèdent tous divers lieux d’élection et d’activités, ou qui dérivent ensemble à la même heure, évoquant un flot parce qu’on ne peut rattacher personne à son territoire, mouvements pendulaires et orbites individuelles des gens; mouvement des choses, vitrines qui se renouvellent à chaque saison, commerces qui changent de destination, qui changent la rue, et ceux qui assurent la continuité des générations; vieillissement, mort, et re- naissance des maisons. »

=> Colette Pétonnet « L’ethnologie urbaine en France », Großtadt. Aspekte empirischer Kulturforschung, 24. Deutscher Volkskunde-Kongreß in Berlin vom 26. bis 30. September, herausgegeben von Theodor Kohlmann und Hermann Bausinger, 1983, Berlin : 133-137

JAN I BRUEGHEL L’ANCIEN Danse de noces © Mairie de Bordeaux, Lysianne Gauthier

 

La ville est composée du mouvement perpétuel des gens…

« Or la ville est composée du mouvement perpétuel des gens, mouvement garant, à mon sens, de la possible coprésence du grand nombre. Elle est conçue pour la circulation des hommes et des marchandises et recèle peu d’aires de stationnement. Une foule d’inconnus s’y croisent constamment. Il est une manière d’être citadin, inculquée dès l’enfance, qui consiste à marcher dans la rue sans sauter comme un cabri ni montrer les passants du doigt, sans se faire remarquer, individu semblable aux autres, neutres et anonymes. »

=> Colette Pétonnet « L’anonymat ou la pellicule protectrice ». Le temps de la réflexion, 1987, VIII (La ville inquiète) : 247-261

 

L’anonymat protecteur…

« Celle-ci est en partie contenue dans le mouvement perpétuel, la foule et l’anonymat protecteur des individus, et la combinaison de ces trois termes recèle des mécanismes d’équilibre dont il me plairait bien de déceler les lois. Peut-être faudra-t-il aborder la mécanique des fluides. Pour l’instant j’essaie d’approcher ces phénomènes de manière moins fugitive que dans la rue et de trouver des repères.

J’ai donc choisi comme terrain d’enquête des espaces publics particuliers et différents où le mouvement lent du passage des gens me laisse un peu de temps pour l’observation. »

=> Colette Pétonnet « La ville et les citadins ». André Leroi-Gourhan ou les Voies de l’Homme. Actes du colloque du CNRS, mars 1987 (ouvrage collectif, préface de Lucien Bernot), 1988, Albin Michel : 115-121

Groupe de l’année dernière, début septembre lors de la balade urbaine, © NJ

 

Etre ethnologue urbain…

« Cependant certains se demandent encore comment on peut être ethnologue urbain. Effectivement les villes étant douées d’un mouvement incessant et les sociétés urbaines fort hétérogènes, la position de l’observateur n’y est pas toujours confortable. »

=> Colette Pétonnet « Présentation du Laboratoire d’anthropologie urbaine. Inédit. Discours prononcé devant l’assemblée des personnels et des chercheurs de l’administration déléguée d’Ivry-sur-Seine, le 6 octobre 1989, dans le cadre du cinquantenaire du CNRS (Conférencière invitée)., Oct 1989, Ivry-sur- Seine, France.

 

Désormais hommes, villes et parcs sont qualifiés d’urbains…

« Jadis il y avait des villes et des citadins qui flânaient parfois dans les jardins publics. Désormais hommes, villes et parcs sont qualifiés d’urbains, deux syllabes aussi rudes que béton et bunker. L’urbain sera-t-il indestructible ? Au mot urbanisme, cette « science de l’urbanité», l’usage vulgaire substitue souvent urbanisation, qui martèle à nos oreilles « la concentration croissante des populations dans les agglomérations urbaines », tandis que espace vert s’efface un peu, trop vague et terne pelouse qui a sévi dans les banlieues, au profil de jardin, planté, rythmé, et miniaturisé. »

=> Colette Pétonnet. « Entre nostalgie et prospective, le temps présent. » L’état de la France et de ses habitants, ss la dir. Minelle Verdié, La Découverte, 1989, L’état du monde : 46-50

 

La ville occidentale est propre…

« La ville occidentale est propre parce que cet univers artificiel, lieu par excellence de la domestication du temps et de l’espace, de la lumière et des saisons, est tendu depuis des siècles par l’effort de parfaire la maîtrise de la nature. Ont été successivement chassés l’eau stagnante, la boue, la neige et la poussière, les animaux et les déchets, vaincus le froid et la nuit. La ville est « verte » de sa végétation enclose, fleurie, chauffée, éclairée, et chaque jour toilettée par les jets d’eau à haute pression, les souffleuses, les aspirateurs et les balayeuses motorisées. »

=> Colette Pétonnet « Le cercle de l’immondice ». Post-face anthropologique. Les Annales de la Recherche Urbaine, PUCA, 1992 : 109-111

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