La solidarité existe-t-elle encore ?

Attroupement rue Alsace-Lorraine, 9 février 2021 à 17h30, © NJ

 

En cette période de crise sanitaire, et de peur largement entretenue par les médias, on pouvait se demander comment réagiraient une foule lors d’un accident. Et devant mes yeux, un e-trottineur glisse subrepticement devant un vélo. Sa tête heurte le sol, et il reste par terre quelques secondes sans bouger. La cycliste s’arrête, laisse son vélo sur la béquille et court le voir, une autre personne se porte à sa hauteur, ainsi que deux autres badauds. Bientôt, ils sont cinq autour de lui à essayer de voir s’il va bien, s’il ne s’est pas fait mal, s’il faut appeler les pompiers…

Cinq minutes plus tard, il se relève. Il a le côté de sa tête nue rougie par le choc, peut-être un hématome, mais il semble ne pas souffrir, ne se plaint pas, ne saigne pas… Fallait-il appeler les secours ?

Il repart sur sa trottinette, cette fois moins rapidement, son sac de pâte feuilletée et sa boîte d’oeufs au guidon.

La solidarité, c’est cette forme d’empathie envers l’autre lorsque l’on vient en aide. Alors qu’on aurait pu s’attendre à une mise à l’écart les uns des autres, sous prétexte de contamination, les gens ont spontanément été porter secours. C’est à mon sens révélateur qu’il existe encore un fort lien social. Pour qu’il y ait solidarité, il faut que les gens voient en l’autre un « eux » potentiel. Il faut une identification du sujet, et peut-être que le masque permet d’avantage cette identification car le visage est à moitié couvert. On voit bien que la plupart des gens ne croient plus aux vertus anti-virus du masque, d’une part parce que la propagation continue malgré tout, et que d’autre part, le temps joue dans l’expérience de chacun et amenuise la violence de l’angoisse.

Une société ne peut pas fonctionner sans solidarité, et l’exemple dont j’ai été le témoin montre qu’elle existe toujours, qu’elle est là, tapie dans tout individu, et prête à resurgir au moindre problème.

Dans le principe de solidarité, comme le décrit Pierre Bourdieu, il faut que chacun improvise selon le contexte et les événements. Bourdieu réfute cette notion de « rôle social » car ,dit-il, « dans le monde social, cela ne se passe pas du tout ainsi », sous-entendu comme devrait le prévoir un chef d’orchestre et des agents sociaux jouant chacun un rôle. La métaphore du théâtre a ses limites. Et nous avons vu que sous l’impulsion d’un événement comme un accident de la circulation, les agents sociaux sont spontanément allés secourir la personne accidentée, alors que leur « rôle social » dans le contexte de la « crise sanitaire » était de rester à « distance sociale », c’est-à-dire de ne pas intervenir. L’injonction gouvernementale n’a ici pas été écoutée.

« La solidarité sociale, écrit Bourdieu, repose sur le fait que tous les agents sociaux partagent le même système symbolique, la même vision du monde, la même théorie du monde social ». Nous pouvons concevoir que les individus partageaient beaucoup de points communs, d’un point de vue symbolique, politique et social. Leur défiance à l’égard du pouvoir, même spontanée, évoque une mise à distance temporaire du pouvoir politique.

 

=> Pierre Bourdieu, Sociologie générale, vol. 2, Cours au Collège de France  1983-1986, Raison d’Agir, Paris : Seuil, 2016

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