Epistémologie #4 : La recherche empirique de la preuve et l’expérimentation par l’expérience

MCK, Berlin 2017

Quatrième volet autour des méthodes et de l’épistémologie en sciences sociales.

 

La recherche empirique de la preuve et l’expérimentation par l’expérience

L’anthropologue italien Léonardo Piasere explique qu’en sciences sociales comme dans beaucoup d’autres sciences, la recherche de la preuve passe par l’expérimentation. Il écrit « l’expérimentation comme instrument de connaissance de la réalité ».

Cette méthode a abouti à un consensus autour de la question de savoir si l’observateur n’induisait pas ou ne modifiait pas, par son existence même, une modification du phénomène observé ? Cela renvoie au principe d’indétermination d’Heisenberg : « l’observation expérimentale modifie les phénomènes observés ». Par conséquent, que ce soit en sciences physiques ou en sciences humaines, il faut tenir compte de sa présence en tant qu’observateur. C’est-à-dire, avoir conscience des limites de la méthode.
Le chercheur n’est pas transparent sur son terrain, et ses questionnements finissent par faire question auprès de ses informateurs, comme les cercles d’ondes que l’on peut voir en jetant une pierre dans l’eau. La dispersion des idées, bonnes comme mauvaises, ne peut être maîtrisée.

Pour l’ethnologue, le terrain est au centre de sa démarche et de l’enquête. C’est un véritable laboratoire comme a pu l’écrire Robert Cresswell. Le terrain permet de collecter des informations de première main, il s’oppose aux chercheurs de cabinets qui eux, travaillent à partir de sources écrites par d’autres (seconde main). Marcel Mauss en est un représentant (Voir Gaboriau).
Le problème n’est pas de valoriser ou de minorer telle ou telle méthode, mais d’expliquer en quoi l’ethnographie permet un degré qualitatif qui n’existe pas ailleurs.

Ce rapport au terrain est un rapport de proximité, c’est-à-dire d’une confrontation entre les schèmes de représentation personnels et ceux des autres. Ou bien encore d’une mise en confrontation des cadres de pensée (Goffman). Dans la plupart des cas, et même chez les chercheurs expérimentés, cette confrontation provoque de l’angoisse (Devereux) parce qu’il se produit une distorsion entre ses propres cadres de pensées et ceux des personnes observées. Léonardo Piasere appelle cela la « courbure de l’expérience ».

Il utilise la métaphore de l’attraction des corps d’Enstein pour arriver à la proposition suivante : « l’ethnographe « courbe » son propre espace-temps afin de parvenir à co- construire des expériences avec les personnes qui ne font pas partie de son quotidien ».

L’observation ethnographique est au centre de la méthode. Par observation, il faut entendre une large gamme de possibilités entre ce que Piasere nomme «mords-et-tire- toi » à raison d’une heure ou deux de terrain par semaine et l’immersion totale sur plusieurs mois. Entre les deux, l’observation flottante de Devereux, l’imprégnation d’Olivier de Sardan, se construit sur la base de l’observation participante classique avec un souci supplémentaire d’imprégnation, de rapprochement, d’empathie ou de résonance. Ces termes ne sont pas tout à fait des synonymes, et ils proviennent d’auteurs différents. Mais ils ont en commun le fait de vouloir co-construire une relation qui permette d’approcher de plus près la réalité des personnes observées.

L’empathie n’est pas la sympathie. Cette méthode consiste à établir une forme de résonance qui permet « d’apprendre beaucoup « en n’utilisant qu’une parole rudimentaire, mais associée aux cinq sens » nous dit l’anthropologue norvégienne Unni Wikan. « La résonance est l’expression d’une solidarité humaine anti-utilitariste » reprend Piasere (Référence au M.A.U.S.S. ?). Elle consiste à percevoir un « vivre-avec » qui va s’imprégner dans le corps de l’ethnographe comme le ferait une éponge.

Alors qu’à travers l’observation participante, l’ethnographe va noter, décrire, enregistrer le monde qui l’entoure, l’imprégnation va agir de manière inconsciente et simultanément, et se répandre avec le temps. Cela conduit à des expériences rétrospectives, car il n’est pas possible de noter toutes ces informations. Non seulement on ne peut pas les noter, mais on ne les perçoit pas consciemment. Par contre, elles sont ancrées en nous. Quand vous commencerez à rire à des blagues proférées par vos informateurs, c’est qu’il se sera produit cette incorporation de schèmes. Cette co- expérience prolongée, cette expérience vécue, cette imprégnation malgré nous, renvoie à ce que Léonardo Piasere appelle la « perduction ».

La métaphore employée en ethnologie est l’immersion sur le terrain. Il faut garder la tête hors de l’eau afin de ne pas se noyer par les informations et l’arrivée trop brutale de cadres de pensées trop éloignés des vôtres. Pour cela, une réflexion en amont sur le questionnement à produire (permet) une préparation et un accompagnement sur le terrain.

 

=> DEVEREUX, Georges. De l’angoisse a? la me?thode dans les sciences du comportement,Paris : Aubier-Montaigne, 1998

=> GABORIAU, Patrick. Le chercheur et le politique. L’ombre des nouveaux inquisiteurs, Paris : Aux Lieux d’e?tre, 2008

=> GOFFMAN, Erving. Les cadres de l’expe?rience, Paris : E?ditions de Minuit, 1991

=> OLIVIER DE SARDAN, Jean-Pierre. « La politique du terrain. Sur la production des donne?es en anthropologie », Enque?te, Anthropologie, Histoire, Sociologie, 1, Les terrains de l’enque?te, pp. 71-112, 1995 [http://enquete.revues.org/document263.html]

=> PIASERE, Leonardo. L’ethnographe imparfait, cahier de l’Homme, n°40, EHESS, 2010

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