L’écriture du mémoire : un exercice de remise en cause de soi

Hommage à la draisienne, Berlin 2017 © NJ

 

Nous sommes depuis quelques semaines entrés dans la phase de l’écriture du mémoire, surtout pour ceux et celles qui veulent soutenir en juin. À l’occasion de la préparation d’une conférence que je donnerai la semaine prochaine à l’école d’architecture de Fès (EMADU), je reviens sur la notion du processus de création en sciences sociales, à partir de mon expérience.

Je reviens sur la pyramide de Benjamin Bloom (1913-1999) et sa taxonomie pour signifier que la création appartient à la dernière pierre dans l’approche pédagogique par compétences. Cette dernière étape signifie que les autres ont été intégrées et font partie de la panoplie des compétences : savoir acquérir des connaissances, savoir les comprendre et en reconnaître la pertinence, savoir les analyser et en faire la synthèse, savoir les évaluer et les critiquer. Il faut maîtriser toutes ces étapes avant de pouvoir créer.

La source de la création vient de l’originalité et du fait d’assembler des idées entre elles. Cela nécessite, de mon point de vue, de libérer du temps pour pouvoir réfléchir. Faire du vélo, aller courir, écouter de la musique, aller au cinéma, sont des moyens de récupérer du temps « libre pour le cerveau » (ce n’est pas tout à faire comme regarder la télévision non-stop). Ce temps est indispensable pour poser les choses, prendre du recul, prendre le temps d’imaginer, de respirer, de créer. La musique est à ce titre un bon moyen de faire naître des images. Et nous savons que les analogies et les métaphores sont de bons connecteurs d’idées.

Je crois qu’il est préférable d’écouter de la musique plutôt que « de la regarder » (clip vidéo) également, car en mobilisant deux canaux cérébraux, on réduit la possibilité de travail du cerveau, notamment sur la production d’images mentales.

Pour certaines et certains, la création ne peut se faire que dans l’urgence, car elle aboutit dans un moment de tension extrême. Ce n’est pas mon cas, j’ai besoin de temps, et pour celles et ceux qui fonctionnent comme moi, ce temps est incompressible.

Voilà pourquoi il est inutile de vouloir le bousculer, et voilà pourquoi il est contre-productif de vouloir sauter une étape et d’être en état de stress.

En ce moment, je travaille à l’écriture d’un texte sur la période post-pandémique dans son rapport à la recherche. J’essaie d’articuler mon propos à partir des notions d’angoisse et de peur en liant le travail de Georges Devereux (1908-1985) et celui de Michel Agier (1953-). Entre ces deux « moments » (à la fois représentés par le temps et la discipline), nous voilà confrontés à des notions que l’anthropologie va devoir forger et interroger pour permettre un positionnement intellectuel. Heureusement, Michel Agier vient de publier un texte sur le Covid-19 et sur la notion de « peur sociale » engendrée et entretenue par le pouvoir politique. Et j’avais du mal avec cette notion de « peur », car ce n’est pas, a priori, un concept de l’anthropologie. La peur est en effet subjective et difficile à appréhender.

Comme dans tout texte, la part créative dépend de toutes les étapes en amont. Acquérir suffisamment de connaissances sur le sujet ou le domaine considéré, savoir en comprendre les enjeux, les notions, savoir repérer les contradictions, savoir en critiquer (positif ou négatif) le contenu, et savoir en évaluer l’importance.

Pour l’étudiante ou l’étudiant qui rédige actuellement son mémoire de Master, c’est la même chose. S’il manque une étape, le mémoire sera bancal. La rédaction d’un plan de mémoire permet de cerner ces étapes et de voir ce qu’il manque…

 

=> Agier Michel (2020), Vivre avec des épouvantails. Le monde, les corps, la peur, Éditions Premier parallèle, 160 p.

=> Devereux Georges (1998), De l’angoisse à la méthode dans les sciences du comportement, [1967], Paris, Flammarion, 1980, 474 p.

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