L’écriture comme processus de création

Hommage à Marcel Duchamp, Toulouse, © NJ 2018

 

1. Le processus est une histoire longue

Dans son étymologie, le « processus » nous donne « procédure », et aussi « progrès » et « progression ». L’étymologie nous permet de comprendre quelle trajectoire les mots ont parcouru avant d’être employé, mais elle permet aussi de pointer l’origine ou la racine qui est toujours présente. L’anthropologue anglais Tim Ingold utilise beaucoup cette démarche.

Dans le processus, il y a cette idée que l’on part d’un point pour arriver à un autre point, distant, et qu’il faut du temps pour y arriver. La notion de temps est essentielle dans le processus. Non seulement elle est essentielle, mais chacun va la vivre à son propre rythme. Cela renvoie à la notion d’aptitudes qui, selon chacune et chacun sera différente.

Par prolongement, nous avons aussi : « Croissance », « développement », « extension », avec par exemple, le processus de développement d’une plante, d’un arbre. Et entre la graine de haricot et celle de l’érable, ou du chêne, le temps n’est pas le même. Ecrire une note ou un mémoire, ou une thèse n’est pas la même chose en terme de quantité et de durée, mais c’est suivre un même processus.

=> L’observation de la nature est un bon moyen pour comprendre cette notion de temps. On pourra lire avec intérêt le petit livre d’Elisée Reclus, Histoire d’un ruisseau.

Donc, le processus est un « Ensemble de phénomènes se déroulant dans le même ordre », dans le temps et dans un ordre prédéterminé pour reprendre la définition du Petit Robert.

On parle parfois de « processus irréversible », comme la dégénérescence, la maladie, la destruction d’un bien de consommation. Cela conduit à prévoir des étapes, comme dans une chaîne opératoire (fabrication d’un textile ou d’une maison).

Le processus c’est aussi une « Suite ordonnée d’opérations aboutissant à un résultat » qui nous donne procédure. Cette procédure doit suivre une règle établie. La règle est l’établissement d’un ordonnancement des opérations. Mais qui définit cette règle ? Qui ordonne ?

=> Dans l’organisation du processus d’écriture, nous avons donc une règle, un ordre, des étapes, une progression, un point de départ et un point d’arrivée.

2. Il n’y a pas de processus sans objectifs

Vous vous mettez devant une feuille blanche, s’il n’y a aucune raison de le faire, pourquoi le faire ?

La première étape qu’il faut réussir à franchir est qu’il faut définir les objectifs.

Objectifs définis et non définis = quels sont les objectifs ? Pour quel « public » écrire ? Il y a plusieurs raisons à l’écriture :

Ecrire pour soi (tenir un carnet intime ou un journal (diary); écrire pour son entourage (ex-time à travers les « réseaux sociaux »); écrire pour laisser une trace (postérité); écrire pour entretenir le débat intellectuel (mémoire)…

Dans l’idée d’écriture, il y a différentes motivations, différents objectifs « et différentes manières de le faire. Car on n’utilise pas les mêmes mots (stock de mots) selon les objectifs visés. Entre l’écriture d’un poème et l’écriture d’un mémoire, les mots employés ne seront pas les mêmes, car les bits visés ne sont pas les mêmes.

=> L’écriture dépend des mots utilisés. Le stock de mots qui s’acquiert au fur et à mesure.

Par la socialisation, par les apprentissages dès l’enfance, par la volonté de ressembler à un auteur, à un parent, on emmagasine des tas de mots tous les jours, mais on en réutilise certains et pas d’autres. Effet de mode.

Petit travail réflexif

Sur cette feuille blanche, nous avons écrit trois mots qui nous passaient par la tête (écriture spontanée ou automatique). Réfléchissons cinq minutes à ces trois mots. Savoir d’où nous venons pour savoir comment nous écrivons, pourquoi et pour qui ?

Le choix des mots dépend du stock disponible (mots étrangers, mots étranges, mots interdits, vocabulaire technique, scientifique, jargon). Il est facile de se représenter une multitude de boîtes dans lesquelles les mots sont stockés. Certaines boites ne sont ouvertes qu’à de grandes occasions (lettre d’amour, mots affectueux, ou critiques).

Le choix des mots dépend des enjeux, et appelle la censure et/ou l’auto-censure. La censure est le fait du groupe social dans lequel on évolue (amis, école, institution…). L’auto-censure est le fait de soi (croyance, a priori, peur sociale…).

Le vocabulaire s’acquiert avec le temps, par la lecture et le travail, par l’utilisation et les habitudes, Il ne suffit pas de regarder des écrans pour emmagasiner des mots, il faut aussi solliciter tous les canaux (oralité, lecture, faire travailler l’œil et l’oreille).

L’auto-censure ne doit pas se soustraire à la liberté d’expression du chercheur. Dans la préface d’un livre consacré à l’enquête en danger, Ahmet Insel écrit qu’ « il est important de se rappeler des principes fondamentaux de la liberté d’expression et de la liberté de recherche qui constituent un socle indivisible de la démocratie » (Aldrin 2022 : 21). Cela peut signifier que l’auto-censure répond à une forme d’esthétique sociale à l’œuvre.

3. Comment s’y prendre ?

En terme concret, l’écriture commence par se positionner soi-même dnas le texte. Nous pouvons nous effacer des observations et du mémoire, mais la plupart du temps, nous allons nous positionner. L’utilisation du pronom personnel défini et indéfini en est l’outil principal.

JE, pronom personnel défini, moi, centrement sur EGO, engagement, affirmation de soi, socialisation : qui parle ?
« Je suis devant un arbre, j’observe l’oiseau chanter. »

TU, permet de décentrement,
« Tu descends chaque matin dans la cuisine »

IL/ELLE, permet le décentrement : voir Wikipedia, ceux qui écrivent leur page en faisant croire qu’elle a été écrite par un autre. Voir aussi la quatrième de couverture d’un livre qui parle de l’auteur, souvent écrite par l’auteur lui-même.

NOUS, de modestie, de majesté ou de l’ensemble. Peu prêter à confusion.
Roberta Chiroli, doctorante à l’université de Turin a été condamnée à la prison avec sursis pour l’utilisation dans son mémoire du « nous » de modestie qui a été jugé comme un « nous » de participation (Aldrin 2022 : 50).

ON, flou, pronom indéfini, les gens, nous, cas général, « on dit que… » à éviter.

=> Dans tous les cas, il faudra justifier du choix de la personne utilisée.

Enfin, nous abordons la question de la neutralité scientifique ethnographique ou ethnologique. Est-on forcément neutre, et que recouvre cette neutralité épistémologique ?

L’engagement et l’implication que l’on retrouve dans l’utilisation de la personne avec le « je » ou le « nous » est un point essentiel dans la démarche en sciences sociales. Pouvoir se positionner, c’est franchir une étape dans la compréhension politique de l’acte d’écriture. Dans la recherche action, il y a forcément une implication de la part du chercheur, soit par rapport au financer, soit par rapport à la population étudiée (souvent en opposition mais pas systématiquement).

Subjectif => Sujet => Objet => objectif, objectivation (l’objectif à atteindre)

Il faudra faire état du point de vue « éclairé » par l’objectivation, mais aussi faire le point sur la subjectivité du locuteur, par le récit, le factuel, la narration, etc.

=> Créer de la distance épistémologique entre le sujet et le point de vue (l’ethnologue comme sujet).

Voilà quelques conseils utiles pour vous permettre d’aborder le processus d’écriture en pleine conscience.

 

Philippe Aldrin et alii, L’enquête en danger. Vers un nouveau régime de surveillance dans les sciences sociales, Armand Colin, 2022

Elisée Reclus, Histoire d’un ruisseau, (1869), Actes Sud, 2005

 

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