Tête à tête avec Pierre Bourdieu

À la fin du mois de janvier, l’événement incontournable pour un chercheur en sciences sociales sera les vingt ans de la mort de Pierre Bourdieu et de ce legs qu’il nous a fait. Une précision s’impose : tous les chercheurs en sciences sociales ne sont pas sensibles à la sociologie bourdieusienne. Pierre Bourdieu (1930-2002) laisse des éléments de réflexion qui pourront nous accompagner encore de nombreuses années. De l’habitus aux espaces sociaux, de la théorie des champs aux rapports de domination, de la distinction à la description des mécanismes de domination et des enjeux symboliques (violence symbolique), la reproduction sociale, etc. c’est aussi toute une éthique et une étiquette du chercheur que son travail concerne. Il était important pour moi de rendre hommage à son travail, à sa réflexion et de proposer aux plus jeunes une entrée par la voie de l’image.

Grâce à l’espace public médiatique, il est possible et facile de voir ou de revoir un certain nombre de documentaires où s’exprime Pierre Bourdieu. D’ailleurs, ces dernières années, de nouvelles anciennes vidéos sont mises en ligne, comme si une forme de résistance prenait forme. Il est important de voir ou de revoir Pierre Bourdieu car il donne des outils de compréhension du monde et de résistance face au monde néo-libéral. Nous pensons tout de suite aux rapports de domination et aux violences symboliques qui s’exercent dans tous les champs de la société. Mais il y en a d’autres. À chacun·e de les découvrir. Voici une liste non exhaustive qui permettra aux plus jeunes de couvrir cet ethno-sociologue, et aux plus vieux de prendre conscience de ce qu’ils ont raté s’il le découvre.

La sociologie est un sport de combat, de Pierre Carle, en 2001, permet de voir le travail au quotidien du sociologue dans ses dernières années. On y perçoit une personne de grande valeur, timide, honnête, attachée à une sociologie engagée qui sera beaucoup critiquée par la droite conservatrice. C’est à mon avis une bonne manière d’approcher Bourdieu car il s’agit aussi de montrer ses qualités humaines et la difficulté de l’exercice de la sociologie.

Dans ce documentaire, une séquence porte sur le débat organisé par Arte entre Pierre Bourdieu et Günter Grass, prix Nobel allemand de littérature. YouTube permet de voir l’intégralité de ce débat produit en 1999. Il s’agit d’un débat riche entre deux intellectuels engagés de grande valeur. Cela pourra donner l’idée de lire ses textes.

Pierre Bourdieu n’a jamais été très favorable aux médias et spécifiquement à la télévision. En janvier 1996, il accepte cependant de participer à l’émission Arrêt sur image, produit sur France 5. On peut le voir aux côtés de deux journalistes célèbres à l’époque en train de décrypter les mécanismes inconscients de domination qu’ils mettent en œuvre dans les débats télévisés. Autant dire que cela ne fait pas plaisir aux journalistes.

Il s’en est expliqué dans un documentaire réalisé en mars 1996 tourné au Collège de France et intitulé Sur la télévision. Au même moment il sort un petit livre très captivant sur les mécanismes et les enjeux des médias.

À cette époque de sa carrière, Pierre Bourdieu est mondialement connu et reconnu. Ses ouvrages sont traduits dans la plupart des langues écrites et diffusés à l’échelle mondiale. En 1999, il est l’invité d’une télévision algérienne, Berbère TV, juste avant la sortie de La sociologie est un sport de combat, et revient sur ses premiers travaux en Kabylie dans les années 1953-55. Il revient sur sa découverte de l’ethnologie et de la sociologie qu’il ne distingue finalement pas, même si pour lui l’ethnologie est une forme de sociologie des peuples colonisés.

Revenons en 1991, une émission lui est consacrée dans la rubrique « Chercheurs de notre temps ». Le documentaire produit par le CNDP retrace l’histoire de ce grand sociologue. Lorsque j’étais maître auxiliaire au lycée de Charleville-Mézières, j’avais emprunté ce support didactique et j’avais montré aux lycéens. Cette année, le sujet du bac avait porté sur Pierre Bourdieu.

Encore un peu avant, en 1990, la Fnac produit une émission « Grand Entretien » avec Pierre Bourdieu. Miguel Benasayag et Pascale Casanova (1959-2018) sont les deux discutants, aux côtés d’Antoine Spire, animateur chez France Culture. Pascale Casanova qui sera une de ses brillantes étudiantes a laissé un entretien réalisé par mon ami Yves Lacascade qu’il faut absolument lire.

 

Il appartiendra à chaune et chacun d’aller piocher dans l’étendue sociologique de l’œuvre de Pierre Bourdieu pour un accompagnement critique dans notre lien au social et au politique. Pierre Bourdieu est mort le 23 janvier 2002.

Comment rendre les gens heureux grâce au vélo ?

 

En mars 2018, Will Butler-Adams, le PDG de la marque de vélos pliants anglais Brompton déclarait au cabinet d’audit PWC :

« Je suis Will Butler-Adams, PDG de Brompton Bicycle. Ce qui rend notre entreprise formidable, c’est que nous voulons changer la façon dont les gens vivent dans les villes. Au cours des 20 dernières années, il y a eu une migration nette vers les villes du monde entier. Mais nous ne sommes pas plus heureux. Nous vivons dans de toutes petites boîtes, nous avons des hypothèques énormes, les gens travaillent des heures grotesques. Il faut que ça change. Nous voulons faire sortir les gens du sous-sol, les faire monter au-dessus du sol, apprécier l’architecture, couper le courant, découvrir les canaux et les rivières de nos villes. Nous devons changer, et faire de la vie en ville un plaisir. Nous exportons actuellement 35 % de notre chiffre d’affaires en Asie, mais nous n’avons pas encore commencé. Nous avons fait quelques progrès au Japon, nous nous en sortons plutôt bien en Corée du Sud. On a besoin d’une quantité infime de vélos en Chine. On n’a même pas commencé. On ne fait rien à Singapour, en Thaïlande, en Indonésie. Il y a un énorme potentiel. Nous avons 100 000 vélos dans une seule ville, Londres. Ce défi à Londres est le même à Jakarta, à Singapour, à Bangkok. Les opportunités sont énormes. »

« L’innovation doit toucher tous les aspects de votre entreprise. Si vous êtes une entreprise qui se contente de sa situation, qui reste assise et n’avance pas du tout, vous n’aurez pas de personnel parce qu’il s’ennuiera à faire la même chose. Ils ne seront plus là dans un an. Si vous êtes une entreprise qui est toujours à la recherche de nouvelles choses, qui expérimente, qui se brûle les doigts, qui essaie quelque chose de différent, votre personnel va adorer. Donnez-leur de l’autonomie. L’innovation est l’élément qui vous permettra de fidéliser votre personnel. Parce que votre personnel sera constamment mis au défi, expérimentera de nouvelles choses et fera partie d’une entreprise qui innove et se développe. »

« Nous avons vendu un demi-million de vélos dans 44 pays du monde. Mais en fait, nous ne vendons pas aux pays, nous vendons aux villes de ces pays. À Londres, nous avons 100 000 de nos vélos. Nous savons que le vélo fonctionne. Les défis que vous avez à Londres sont les mêmes que ceux que vous avez à Tokyo, à Singapour, à Chengdu. Nous avons un macro-problème dans un monde que nous devons résoudre. Il s’agit de savoir comment nous vivons dans les villes, et comment nous sommes plus heureux, plus sains dans nos villes. Notre solution et notre entreprise font partie de cette solution. »

Chaque dirigeant d’entreprise souhaite développer son activité et accroître ses ventes. C’est une équation capitaliste de base mue par une parole évangélique : croissez et multipliez. C’est aussi l’affaire d’un point de vue. Poser la question de la place du vélo en ville et de ses développements permet de penser la ville sous l’angle de nouvelles pratiques sociales et du constat de l’accroissement du nombre : densification, encombrement, pollution, etc. Cela pose la question également des distances effectuées par les gens au quotidien, dans leur rapport au travail (trajet-travail), et dans leurs loisirs. Tous ces non-dits figurent pourtant à demi-mot dans l’affirmation de Butler-Adams qui pense que c’est par le vélo que les villes vont s’ouvrir au bonheur. C’est-à-dire, permettre une circulation plus fluide, plus courte, plus rapide, moins chère. Permettre l’épanouissement par le travail, diminuer les coûts du logement, offrir la possibilité de loisirs variés et nombreux. Développer les réseaux de sociabilités, etc. Une simple question sera de se demander qui sont ces gens et que font-ils ? En d’autres termes, à qui s’adresse ce modèle de ville ?

Je m’empare de cette question parce que cette semaine Brompton prépare une révolution au niveau de sa gamme de cycles.

=> https://www.pwc.co.uk/who-we-are/great/great-brompton-video-transcript.html (traduction Deepl)

Retour sur la généalogie

Illustration de la famille – Toulouse, 5 novembre 2018 © NJ

 

En anthropologie, la généalogie est un outil très utile lorsque l’on travaille sur la parenté, la famille, et que l’on cherche les alliances et les rivalités. La base sera de recueillir les informations sur la famille proche, puis sur la famille éloignée, les cousins, les oncles et les tantes. On remonte ainsi sur plusieurs générations, et cela donne du sens aux logiques de déplacement et aux logiques de mobilité sociale. On peut y lire aussi les alliances entre familles. La première collecte s’effectue grâce au récit de vie et à l’entretien. Ensuite, il faut avoir accès aux archives familiales ou bien aux archives départementales qui conservent tous les actes d’Etat-civil, de la naissance au décès, en passant par le mariage.

Comme le faisait remarquer Martine Segalen, en France, la plupart des familles sont éclatées sur le territoire français, et les recherches généalogiques nécessitent de se rendre dans des villes et des départements parfois très éloignés les uns des autres. Mais l’Internet résout bien des problèmes. La plupart des archives départementales sont aujourd’hui en accès public à partir d’un ordinateur. Pour les actes de naissance, une marge de 100 ans est appliquée pour permettre de protéger les personnes. Depuis quelques années l’Insee met à disposition les données relatives aux personnes décédées depuis 1970. Il est ainsi possible d’effectuer des recherches pour combler les trous.

Martine Segalen a travaillé une grande partie de sa vie à partir de généalogies, pour traiter des relations, des transmissions de patrimoine, et pour voir quelles logiques prévalaient dans les relations matrimoniales en basse-bretagne ou dans d’autres départements. En 1981, elle publie une première édition de Sociologie de la famille, un ouvrage fondamental pour qui s’intéresse à l’anthropologie. Cet ouvrage a été réédité plusieurs fois.

A l’occasion des fêtes de fin d’année, voici un article sur lequel Martine Segalen revient et qui concerne sa propre famille. A 70 ans, elle se penche (enfin) sur ce qu’elle a finalement toujours cherché. J’ajoute un autre article, celui de son parcours, raconté par elle-même à l’occasion de la livraison du dernier numéro d’Ethnologie française. Et je détache cette situation de Nathaniel H. Morgan, cousin de l’anthropologue Lewis H. Morgan, à propos des recherches généalogiques :

« La tâche du généalogiste, lorsqu’il se fraye un chemin à tâtons parmi les archives poussiéreuses du passé, ressemble beaucoup à celle de l’Indien d’Amérique, lorsqu’il suit une piste obscure dans une région sauvage enchevêtrée. Une faculté de perception aiguë, un œil vif et exercé, doivent noter et scruter chaque empreinte obscure, chaque feuille froissée, chaque brindille tordue ; il progresse maintenant rapidement sous une lumière claire, et est guidé par des signes sûrs ; puis, il est soudainement arrêté par une absence totale de tout autre signe, et forcé d’abandonner sans espoir la piste qu’il a longtemps et patiemment suivie ; jusqu’à ce que, par hasard, une marque nouvelle et inattendue salue son œil, lui inspirant une nouvelle poursuite… » (1869).

 

=> Martine Segalen, « Pourquoi mon père n’aurait pas dû épouser ma mère ? Récit d’une enquête généalogique », Ethnographiques.org, 2015

=> https://www.ethnographiques.org/2015/Segalen

=> Martine Segalen (1940-1921) par Martine Segalen

=> Nathaniel H. Morgan,  1869. A history of James Morgan, of New London, Conn., and his descendants ; from 1607 to 1869 … With an appendix containing the history of his brother, Miles Morgan, of Springfield, Mass. ; and some of his descendants …, Hartford : Case, Lockwood and Brainard (traduction Deepl).

 

 

Soutenance d’hiver : une belle promotion

Yona Friedman, l’architecte de papier

 

La troisième session des soutenances a eu lieu hier, et nous avons eu droit à une belle fournée.
Les huit candidats au Master on su prouver qu’ils maîtrisaient leur sujet, en livrant des mémoires dont les titres évoquent des destinations très variées. Il s’agissait principalement d’étudiant·e·s parti·e·s en mobilité l’année dernière.

Agathe Hugue, Du vernaculaire au contemporain, les différentes formes d’habitats à Ahmedanbad : entre préservation, transformation et modernité.

Marine Rivron, Regard croisé : Hanoï-Lisbonne. La mobilité : un outil de lecture des villes pour l’étudiant(e) en architecture.

Mélanie Laurent, Déclin des centres-villes, place des femmes et insécurité : l’exemple de Saint-Gaudens.

Julien Jarrige, Le temps du regard. L’image dans l’appre?hension du territoire enmutation.

Elodie Daguet, Intensité(s) et rythme(s) comme outils pour aborder la complexité d’un quartier. Une première approche chronotopique d’un quartier de gare à l’époque de la crise sanitaire. Cas d’étude dans le quartier Matabiau, Toulouse.

Alexandre Alff, Industrie. Inlfuence sur le développement urbain. Aéronautique et spatial toulousain, sidérurgie lorraine.

Julien Roudeix, La place du logement social à Rio de Janeiro dans un processus de mondialisation.

Emmanuel Bathcily, Hybridation. Entre vernaculaire et contemporain.

Les notes obtenues après délibération du jury sont comprises dans une fourchette allant de 13/20 à 18/20. Il s’agit d’une bonne promotion.

L’image de Yona Friedman (1923-2019) illustre bien cette idée que nous ne maîtrisons pas l’univers. Chacune et chacun ont produit une réflexion, élaborée à partir d’un questionnement, d’une méthode et d’un terrain d’enquête. La tendance est parfois de vouloir englober l’univers, alors qu’un modeste travail à une échelle humaine est tout aussi intéressant. Malgré les tentations de vouloir aller toujours plus vite, et de vouloir circonscrire la ville en un quart d’heure, nous nous rendons compte que le temps est nécessaire à l’élaboration d’une pensée critique. Dans ce contexte de pandémie, nous avons besoin de nous recentrer et de prendre le temps nécessaire et utile pour reposer le cadre. Alors prenons-le, et reposons le cadre.

Comment naissent les idées (nouvelles) ?

Contre-écrou numéro 4 vient de sortir. Fanzine vélorutionnaire breton.

 

Trouver une idée nouvelle relève aussi bien du hasard que de l’intuition, que de la créativité. Trois possibilités qui se conjuguent, mais qui n’arrivent pas souvent.

Par sérendipité, (Capacité, aptitude à faire par hasard une découverte inattendue et à en saisir l’utilité (scientifique, pratique).) nous dit wikipédia, sera une des possibilités. Le hasard est souvent lié à des rencontres heureuses et s’articule bien avec la recherche fondamentale. Quand on ne sait pas ce que l’on cherche, on finit par trouver quelque chose.

Par analogie, (Ressemblance établie par l’esprit (association d’idées) entre deux ou plusieurs objets de pensée essentiellement différents.) Cette méthode nécessite une culture large, un état d’esprit large, et une ouverture d’esprit large. Trouver des correspondances avec des domaines très éloignés permet d’envisager de nouvelles découvertes.

L’intuition fait partie du processus de recherche. (Forme de connaissance immédiate qui ne recourt pas au raisonnement.) nous fait voir les choses par intuition. Mais c’est aussi (Sentiment ou conviction de ce qu’on ne peut vérifier, de ce qui n’existe pas encore.) qui renvoie à la recherche et à cette faculté qu’ont certains chercheurs à trouver la bonne voie plus rapidement que d’autres. C’est cette intuition qui en réalité s’acquiert par l’expérience et la connaissance large de domaines variés.

Il en découle la créativité, le plus haut degré dans les apprentissages. Dans la taxonomie de Bloom, de Benjamin Bloom (1913-1999), la créativité couronne la pyramide en six étages qui comprend : la mémorisation, la compréhension, l’application, l’analyse, l’évaluation et enfin la créativité. Ce que Bloom explique c’est que pour arriver à la créativité, il faut passer par les étapes intermédiaires et commencer par mémoriser des connaissances, pour ensuite les comprendre, les analyser, et les évaluer.

En séminaire, nous passons par ces étapes lorsque nous enseignons des connaissances, et que nous faisons travailler en petits groupes les étudiants entre eux. Ils (ou elles) sont confrontés à ces étapes par aller-retour, pour accéder à la créativité. Ils mémorisent, comprennent, analysent et évaluent entre pairs. Bientôt, ils pourront construire leur mémoire de Master…

Covid-19 : combien y a-t-il eu de vagues, jusqu’à présent ?

Avant

Il n’est pas dans mes intentions de polémiquer autour de la pandémie.  La recherche nécessite une mise à distance de l’objet qui est très difficile d’obtenir avec un sujet aussi proche. Cependant, l’exploitation des archives de la presse écrite nous permet ce retour en arrière afin de mieux cerner les contours de la pandémie qui sévit à travers le monde depuis l’hiver 2019. Qu’apprend-on en relisant la succession des gros titres, et des sous-titres issus du sérieux journal Le Monde ?

https://coronavirus.jhu.edu/data/new-cases

29 février 2020
Coronavirus : les hôpitaux français se préparent à la « tempête »
Face à l’arrivée quasi certaine de beaucoup de patients, les personnels sanitaires s’inquiètent du peu de moyens, et de temps, dont ils disposeront pour gérer l’épidémie.

6 mars 2020
Coronavirus : comment la France se prépare à la phase 3 de l’épidémie
En prévision de l’afflux de malades, le système de santé s’organise. Pour éviter tout risque de contamination de patients entre eux, de nombreux hôpitaux ont mis en place des centres de consultation consacrés à cette maladie.

12 mars 2020
Coronavirus : sans attendre le « stade 3 » de l’épidémie, la France déjà en état d’alerte
Craignant un mouvement de panique lors de l’activation de cette nouvelle étape, qui paraît inéluctable, l’exécutif tente de minimiser sa portée. Emmanuel Macron a prévu de s’exprimer jeudi soir, à 20 heures.

8 juillet 2020
Coronavirus : plus de 3 millions de cas aux Etats-Unis ; en France, un plan de reconfinement « ciblé » en cas de « deuxième vague »
« Il a toujours été dit qu’il convenait de se préparer à une deuxième vague de l’épidémie », a souligné Jean Castex, mercredi. L’OMS met en garde contre une accélération de la pandémie dans le monde.

Fin de la deuxième vague de Covid-19 en Chine
Plus de 11 millions de personnes ont été testées, et 5 000 ont été placées en quarantaine. Mais aucun cas n’a été recensé à Pékin mardi.
https://coronavirus.jhu.edu/data/new-cases

22 août 2020
Covid-19 : « Le cas australien montre qu’une deuxième vague peut survenir à la faveur de l’hiver »
Le professeur de santé publique Antoine Flahault estime que si, en Europe, la circulation du virus est à ce jour déconnectée d’une hausse des décès, les deuxièmes vagues constatées en Australie et en Israël incitent à la prudence.

25 août 2020
« On est naufragés, si la deuxième vague arrive, elle va être dangereuse » : dans les Ehpad, la crainte du retour du Covid-19
Les familles de résidents s’alarment des reconfinements, alors que le personnel, épuisé, est en nombre insuffisant.

https://coronavirus.jhu.edu/data/new-cases

15 septembre 2020
Covid-19 : le monde face à l’arrivée de la deuxième vague
Avec près de 30 millions de cas et 920 000 morts, le Covid-19 a bouleversé en quelques mois la vie de l’humanité. L’OMS espère « en terminer avec cette pandémie en moins de deux ans », mais cet horizon semble plutôt incertain.

23 septembre 2020
« On était vigilants, on est devenu inquiets » : face à la deuxième vague de l’épidémie, les hôpitaux sur la corde raide
Devant le retour de patients atteints du Covid-19, les cellules de crise des établissements français sont réactivées, malgré la fatigue physique et morale des personnels.

5 octobre 2020
Covid-19 : confronté à « une vraie grande deuxième vague », l’exécutif cherche sa boussole
Le gouvernement veut maintenant agir par périodes de quinze jours. Le temps de voir quel est l’impact des décisions imposées sur le terrain. Mais il ne s’interdit pas « de prendre des mesures additionnelles ».

« Face à la deuxième vague de Covid-19, nous, élus de Seine-Saint-Denis, appelons à l’aide pour nos hôpitaux »
« Nous refusons que les habitants de notre département soient les oubliés de la République », déclarent, dans une tribune au « Monde », Patrice Bessac, maire de Montreuil, et vingt-trois autres élus de Seine-Saint-Denis, réclamant un plan de rattrapage de l’offre de soins.

28 octobre 2020
Covid-19 : « La deuxième vague pourrait être supérieure à la première », selon Jérôme Salomon
La perspective d’un reconfinement, pourtant repoussée depuis la rentrée, se dessine alors que le Covid-19, qui a fait plus de 500 morts en vingt-quatre heures, « explose partout », selon l’Elysée. Le président de la République doit s’exprimer ce soir à 20 heures pour expliquer ces restrictions.

2 novembre 2020
Covid-19 : la deuxième vague de la pandémie en France pourrait être plus haute que la première
Il est peu probable que le reconfinement suffise à reprendre le contrôle d’ici à Noël, selon le conseil scientifique, qui prévoit que la France vivra de nombreux mois « avec une situation extrêmement difficile ».

12 novembre
« On ne veut pas d’applaudissements, on veut que les gens respectent les consignes » : la grande fatigue des soignants face à la deuxième vague du Covid-19
Peu reposés depuis le printemps, en manques de moyens et de reconnaissance, les soignants témoignent de leur lassitude et de leurs craintes face au nouveau pic épidémique.

18 novembre 2020
Covid-19 : il était « extrêmement difficile d’anticiper » la deuxième vague, assure Jean Castex devant les députés
Dernier responsable à être auditionné par la commission d’enquête chargée de faire la lumière sur la gestion de la crise sanitaire, le premier ministre a défendu la stratégie du gouvernement et estimé qu’il n’y avait « pas de baguette magique ».

19 novembre 2020
Après une deuxième vague de Covid-19 moins forte que prévu, Paris veut déjà se préparer à la troisième
Il y a deux mois, l’Ile-de-France se préparait au pire. Elle n’a certes pas évité la deuxième vague, mais celle-ci s’est nettement brisée dans la capitale. A la Mairie de Paris, on réfléchit à la suite, pour éviter de nouvelles mesures prises en urgence.

20 novembre 2020
Comprendre les différences entre la première et la deuxième vague de l’épidémie de Covid-19
La baisse de la mortalité s’explique par l’expérience acquise dans la prise en charge hospitalière des patients.

29 novembre 2020
« Pendant ce temps, on ne sait pas comment le cancer évolue » : les « déprogrammés » de la deuxième vague du Covid-19 entre colère et résignation
Sous la pression de la crise épidémique, les hôpitaux ont mis à l’arrêt une partie de leur activité, dans une proportion moindre qu’au printemps, mais suscitant la même anxiété chez les malades concernés par les reports.
https://coronavirus.jhu.edu/data/new-cases

15 janvier 2021
A Paris, « la troisième vague de Covid-19 est là, mais il faut tout de même avancer »
En plein redémarrage de l’épidémie, la maire Anne Hidalgo a installé vendredi 15 janvier un comité d’experts chargé d’éclairer les décisions de la Ville.

28 janvier 2021
Covid-19 : dans les hôpitaux, une troisième vague paraît inéluctable
De plus en plus de malades en réanimation, reprise de la déprogrammation, nouveaux transferts de patients… Les signaux d’alerte se multiplient partout en France malgré le couvre-feu généralisé.

3 février 2021
Covid-19 : « Saurons-nous cette fois éviter une quatrième vague ? »
Un collectif de médecins et d’aidants détaille les mesures pratiques qui permettraient d’éviter que la situation de « stop and go » vécue en France se perpétue. Il reproche aux pouvoirs publics trop de verticalité et pas assez d’appui sur la société civile.

29 mars 2021
Covid-19 : le pic de la deuxième vague dépassé dans les services de réanimation
Selon Santé publique France, 4 974 patients étaient hospitalisés, lundi, dans les services réservés aux cas les plus graves. Vendredi, le taux d’occupation des lits de réanimation a atteint 89 %, toute pathologie confondue.

31 mars 2021
Covid-19 : la France entre troisième voie et troisième vague
Les mesures actuelles peuvent-elles encore freiner une dynamique épidémique de plus en plus inquiétante ? Aurait-il fallu confiner en janvier ? Va-t-on vers un troisième confinement ? Les explications de Delphine Roucaute, journaliste santé au « Monde ».

16 avril 2021
Covid-19 : la troisième vague reste encore très haute, malgré de premiers signes encourageants
Les conséquences des mesures commencent à s’observer dans les départements confinés dès le 20 mars, mais les hôpitaux n’ont pas encore passé le pic d’activité de la vague.

29 avril 2021
Covid-19 : la France n’est pas à l’abri d’une quatrième vague cet été
Des modélisations de l’Institut Pasteur montrent qu’un déconfinement trop rapide entraînerait un rebond épidémique dont l’ampleur serait déterminée par le rythme de vaccination et la contagiosité des variants.

https://coronavirus.jhu.edu/data/new-cases

23 juillet 2021
Covid-19 : à l’hôpital, les premiers signaux de la quatrième vague
Les services des urgences ont vu croître de 79 % en une semaine les passages pour suspicion de Covid-19, selon Santé publique France.

https://coronavirus.jhu.edu/data/new-cases

15 novembre 2021
Cinquième vague de Covid-19 : les non-vaccinés sont toujours les plus nombreux en soins critiques
Selon les données des hospitalisations en France, l’épidémie qui repart sur le territoire français est essentiellement le fait des personnes non vaccinées.

18 novembre 2021
Covid-19 : le retour des centres de vaccination envisagé par le gouvernement pour lutter contre la cinquième vague
Depuis deux semaines, le nombre de contaminations progresse très rapidement, de l’ordre de 40 % à 50 % par semaine. Le taux d’incidence est désormais supérieur à 100 sur l’ensemble du territoire.

Quelques remarques : Ces cinq vagues ont toutes une forme différente, et il est impossible à l’heure actuelle de prévoir la forme de la courbe de la cinquième vague. Mais elle pourrait redémarrer comme en octobre 2020. Nous savons qu’il y aura une sixième vague, c’est à peu près certain. Ces vagues n’ont pas toutes la même ampleur ni la même durée. Si les deux premières vagues ont débuté avec un nombre proche de zéro (normal pour la première vague), en revanche elle n’est pas descendue au-dessous de 10.000 cas pour la troisième vague, et 3.000 cas pour la quatrième vague et 5.000 cas pour la cinquième vague. De sorte que la pandémie ne s’est jamais arrêtée.

À partir de novembre 2021, la stratégie change dans les médias et l’accent est mis sur les non-vaccinés. Alors que l’accent portait sur la pénibilité du travail du personnel hospitalier, du courage et de l’engagement vis-à-vis de la collectivité, la nouvelle vague de moralisation repose désormais sur les individus coupables de ne pas être vaccinés et fait l’impasse, par exemple, sur les suppressions de lits des hôpitaux. En 2020, plus de 5.700 lits ont été supprimés selon France Info (du 29 septembre 2021). A cela, il faut ajouter les dégâts collatéraux, comme les reports de soins des personnes atteintes d’un cancer et les reports des opérations programmées. Le discours des médias se transforme et change.

Alors que l’OMS espère un retour à la normale en 2022, aucun « spécialiste » ne peut avancer une estimation de la fin de la pandémie. Dans un ouvrage récent, cependant, l’épidémiologiste Jean-Paul Gonzales explique que « les stratégies pour arriver à une immunité de groupe ne peuvent se faire qu’au prix d’une forte mortalité, en particulier dans les pays à la population vulnérable » (p. 300). Concernant le vaccin, il ajoutait qu’ « un vaccin développé dans la hâte sera certainement contre-productif, les vaccinologues l’ont montré, le risque existe et il n’est pas raisonnable de « fabvriquer » un vaccin sûr et efficace en fonction des données connues de la science dans le domaine, sans respecter des phases de développement bien établies et incompressibles » (p. 303). On en est là. La seule stratégie à l’heure actuelle étant de sur-multiplier les doses des gens déjà vaccinés, ce qui devrait creuser un écart moral entre les non-vaccinés et les sur-vaccinés. Après la distanciation sociale, voici la distanciation morale. Car aucune donnée ne nous permet de penser à un retour à la normale avant de nombreux mois. Et si cela devait durer encore cinq ans, quel choix de société ferions-nous ?

=> Monique Sélim, Anthropologie d’une pandémie, Paris : L’Harmattan, 2020

P.S. Avez-vous vu que les Nacirema sont en réalité les Américains ?

L’humeur du jour avec Guillaume Erner

 

L’humeur du jour par Guillaume Erner, France Culture

mardi 16 novembre 2021

« Les affiches que l’on voit sur les murs de nos villes en ce moment, comment est-ce possible? On le voit à Paris, on le voit moins à la campagne, mais on ne voit pas comment en quinze minutes une personne peut à la fois remplir un caddie pour vous et surtout vous livrer vos courses en pédalant comme un dératé. Or, le journal Libération consacre un dossier à cette nouvelle tendance, y compris d’ailleurs un test intitulé Quick ou couac ! Et Libé donc de tester la possibilité réelle ou non de se faire livrer des courses, un apéro, bref !, ce que vous voudrez dans le délai imparti. Or, cette promesse, comme disent les publicitaires, se faire livrer ses courses en quinze minutes, on peut la trouver plus que problématique, car qui a besoin de faire ses courses en quinze minutes ? C’est finalement cela, on l’avait vu, la ville du quart d’heure, une ville qui met la pression sur des personnes qui elles doivent tenir la promesse du quart d’heure. En réalité on doit être capable de patienter un peu pour la livraison de votre tasse de lait, par exemple, si vous voulez une livraison immédiate de lait eh bien vous avez peut être la possibilité, truc de dingue, d’aller vous la chercher vous-même. Alors attention, qu’on ne se méprenne pas, il serait absurde de condamner oralement la livraison, les livraisons sont utiles socialement en ce qu’elles permettent aux livreurs de vivre. Je me méfie par exemple de ces vieux thèmes jadis ultras traités où il s’agissait de condamner le métier de caissière, tandis que maintenant, que se métier est condamné, on réalise sont utilité sociale évidente. Non, ce qui paraît problématique c’est de proposer un service dont personne n’a réellement besoin, tout le monde peut patienter plus de quinze minutes, mais si vous construisez cela en norme, alors bientôt tout devra se faire en un quart d’heure. En un quart d’heure nous deviendrons dingues. Et c’est ce que le sociologue Daniel Bell appelait Les contradictions culturelles du capitalisme : comment on veut une société où l’on veut une quiétude pour soi et le chaos pour les autres. »

Voici une réflexion sur une idéologie actuelle qui s’immisce dans les pensées et les actes : celle de la ville du quart d’heure.

Cette notion inventée par Carlos Moreno, titulaire d’une thèse d’informatique portant sur les systèmes sécurisés de visioconférence, écrit dans un ouvrage publié aux éditions de l’Observatoire : « La crise, qui nous oblige maintenant à raisonner à court terme, est une opportunité : celle de penser autrement, non pas la ville, mais la vie dans la ville, de redonner de la force à la proximité, de développer un maximum de services près de chez soi. Et de passer à une autre temporalité, en bas carbone, à pied ou par le biais de mobilités actives – vélo, marche, trottinette -, qui encourage le « proximité multi-servicielle ».  » (p. 168).

Transcription littérale de Noël Jouenne

=> Daniel Bell, The cultural Contradictions of Capitalism, Basic Book, 1976

=> Carlos Moreno, Droit de cité. De la « ville-monde » à la « ville du quart d’heure », Ed. de l’Observatoire, 2020

Les Nacirema, un peuple étonnant !

Explorer le confinement, 2020

 

En 1956, un jeune anthropologue du nom d’Horace M. Miner (1912-1993) relate dans un article publié dans la revue American Anthropologist, la vie surprenant du peuple Nacirema. La lecture de ce texte nous apporte encore aujourd’hui une réflexion sur l’écriture et sur la manière dont on voit les autres.

 

Le rituel du corps chez les Nacirema

Horace Miner, University of Michigan

American Anthropologist, 1956, 58 (3), 503-507

L’anthropologue s’est tellement familiarisé avec la diversité des comportements des différents peuples dans des situations similaires qu’il n’est pas en mesure d’être surpris par les coutumes les plus exotiques. En fait, si toutes les combinaisons logiquement possibles de comportements n’ont pas été trouvées quelque part dans le monde, il est enclin à penser qu’elles doivent être présentes dans une tribu non encore décrite. Ce point a, en fait, été exprimé à propos de l’organisation des clans par Murdock (1949:71). Dans cette optique, les croyances et pratiques magiques des Nacirema présentent des aspects si inhabituels qu’il semble souhaitable de les décrire comme un exemple des extrêmes auxquels le comportement humain peut aller.

Le professeur Linton a porté pour la première fois le rituel des Nacirema à l’attention des anthropologues, il y a vingt ans (1936:326), mais la culture de ce peuple est encore très mal comprise. Il s’agit d’un groupe nord-américain vivant sur le territoire situé entre les Cris du Canada, les Yaqui et les Tarahumare du Mexique, et les Caribes et les Arawak des Antilles. On sait peu de choses sur leur origine, même si la tradition veut qu’ils soient venus de l’Est. Selon la mythologie Nacirema, leur nation a été créée par un héros culturel, Notgnihsaw, connu pour deux grands tours de force : le lancement d’une pièce de wampum à travers la rivière Pa-To-Mac et l’abattage d’un cerisier dans lequel résidait l’Esprit de Vérité.

La culture Nacirema se caractérise par une économie de marché très développée qui a évolué dans un riche habitat naturel. Si une grande partie du temps de la population est consacrée aux activités économiques, une grande partie des fruits de ce travail et une partie considérable de la journée sont consacrées aux activités rituelles. Cette activité est centrée sur le corps humain, dont l’apparence et la santé constituent une préoccupation dominante dans l’éthique des gens. Si cette préoccupation n’est certainement pas inhabituelle, ses aspects cérémoniels et la philosophie qui y est associée sont uniques.

La croyance fondamentale qui sous-tend l’ensemble du système semble être que le corps humain est laid et que sa tendance naturelle est à la débilité et à la maladie. Incarcéré dans un tel corps, le seul espoir de l’homme est d’éviter ces caractéristiques en recourant aux influences puissantes des rituels et des cérémonies. Chaque foyer possède un ou plusieurs sanctuaires consacrés à cette fin. Les individus les plus puissants de la société possèdent plusieurs sanctuaires dans leurs maisons et, en fait, l’opulence d’une maison est souvent exprimée en fonction du nombre de centres rituels qu’elle possède. La plupart des maisons sont construites en torchis, mais les salles des sanctuaires des plus riches sont entourées de murs de pierre. Les familles pauvres imitent les riches en appliquant des plaques de poterie sur les murs de leurs sanctuaires.

Si chaque famille possède au moins un sanctuaire de ce type, les rituels qui y sont associés ne sont pas des cérémonies familiales mais sont privés et secrets. Les rites ne sont normalement discutés qu’avec les enfants, et seulement pendant la période où ils sont initiés à ces mystères. J’ai cependant pu établir des relations suffisantes avec les indigènes pour examiner ces sanctuaires et me faire décrire les rituels.

Le point central du sanctuaire est une boîte ou un coffre encastré dans le mur. Dans ce coffre sont conservés les nombreux charmes et potions magiques sans lesquels aucun indigène ne croit pouvoir vivre. Ces préparations sont obtenues auprès de divers praticiens spécialisés. Le plus puissant d’entre eux est l’homme-médecine, dont l’aide doit être récompensée par des cadeaux substantiels. Cependant, les hommes-médecine ne fournissent pas les potions curatives à leurs clients, mais décident des ingrédients à utiliser et les écrivent ensuite dans une langue ancienne et secrète. Cette langue n’est comprise que par les hommes-médecine et par les herboristes qui, pour un autre cadeau, fournissent le charme requis.

Le charme n’est pas jeté après avoir rempli sa fonction, mais il est placé dans la boîte à charmes du sanctuaire de la maison. Comme ces matériaux magiques sont spécifiques à certains maux, et que les maladies réelles ou imaginaires du peuple sont nombreuses, la boîte à charmes est généralement pleine à craquer. Les paquets magiques sont si nombreux que les gens oublient à quoi ils servaient et craignent de les utiliser à nouveau. Bien que les indigènes soient très vagues sur ce point, nous ne pouvons que supposer que l’idée de conserver tous les anciens matériaux magiques est que leur présence dans la boîte à charmes, devant laquelle les rituels corporels sont effectués, protégera d’une certaine manière l’adorateur.

Sous la boîte à charmes se trouve une petite façade. Chaque jour, tous les membres de la famille, l’un après l’autre, entrent dans la salle du sanctuaire, s’inclinent devant le coffret à charmes, mélangent différentes sortes d’eau bénite sur le devant et procèdent à un bref rite d’ablution. Les eaux saintes proviennent du temple des eaux de la communauté, où les prêtres organisent des cérémonies complexes pour rendre le liquide rituellement pur.

Dans la hiérarchie des praticiens de la magie, et au-dessous de l’homme-médecine en termes de prestige, se trouvent des spécialistes dont la désignation se traduit le mieux par  » hommes de la bouche sainte « . Les Nacirema ont une horreur et une fascination presque pathologiques pour la bouche, dont l’état est censé avoir une influence surnaturelle sur toutes les relations sociales. S’il n’y avait pas les rituels de la bouche, ils croient que leurs dents tomberaient, que leurs gensives saignent, que leurs mâchoires rétrécissent, que leurs amis les abandonnent et que leurs amants les rejettent. Ils croient également qu’il existe une forte relation entre les caractéristiques orales et morales. Par exemple, il existe un rituel d’ablution de la bouche pour les enfants qui est censé améliorer leur fibre morale.

Le rituel corporel quotidien effectué par chacun comprend un rituel buccal. Malgré le fait que ces personnes soient si pointilleuses sur les soins de la bouche, ce rite implique une pratique qui semble révoltante pour l’étranger non initié. On m’a rapporté que le rituel consiste à insérer un petit paquet de poils de porc dans la bouche, avec certaines poudres magiques, puis à déplacer le paquet dans une série de gestes très formels.

En plus du rite buccal privé, le peuple recherche un saint homme buccal une ou deux fois par an. Ces praticiens disposent d’un attirail impressionnant, composé d’une variété de tarières, d’alènes, de sondes et d’aiguillons. L’utilisation de ces objets dans l’exorcisme des maux de la bouche implique une torture rituelle presque insupportable pour le client. Le saint-homme de la bouche ouvre la bouche du client et, à l’aide des outils susmentionnés, agrandit les trous que la carie a pu créer dans les dents. Des matériaux magiques sont introduits dans ces trous. S’il n’y a pas de trous naturels dans les dents, de grandes sections d’une ou plusieurs dents sont arrachées afin que la substance surnaturelle puisse être appliquée. Pour le client, ces soins ont pour but d’arrêter la carie et d’attirer des amis. Le caractère extrêmement sacré et traditionnel de ce rite est évident dans le fait que les indigènes reviennent vers les saints-boucheurs année après année, malgré le fait que leurs dents continuent à se carier.

Il est à espérer que, lorsqu’une étude approfondie des Nacirema sera réalisée, une enquête minutieuse sera menée sur la structure de la personnalité de ce peuple. Il suffit d’observer la lueur dans l’œil d’un homme à la bouche sainte, alors qu’il plante un poinçon dans un nerf exposé, pour soupçonner qu’une certaine dose de sadisme est impliquée. Si cela peut être établi, un modèle très intéressant émerge, car la plupart de la population montre des tendances masochistes définies. C’est à ces tendances que le professeur Linton s’est référé en parlant d’une partie distinctive du rituel corporel quotidien qui n’est pratiqué que quatre fois au cours de chaque mois lunaire, mais ce qui manque en fréquence est compensé en barbarie. Dans le cadre de ces cérémonies, les femmes font cuire leur tête dans de petits fours pendant environ une heure. Le point théoriquement intéressant est que ce qui semble être un peuple majoritairement masochiste a développé des spécialistes du sadisme.

Les hommes-médecine ont un temple imposant, ou latipso, dans chaque communauté, quelle que soit sa taille. Les cérémonies les plus élaborées, nécessaires au traitement des patients très malades, ne peuvent être réalisées que dans ce temple. Ces cérémonies impliquent non seulement le thaumaturge mais aussi un groupe permanent de vestales qui se déplacent calmement dans les chambres du temple dans un costume et une coiffe distinctifs.

Les cérémonies du latipso sont si dures qu’il est phénoménal qu’une bonne partie des indigènes vraiment malades qui entrent dans le temple se rétablissent. On sait que de jeunes enfants dont l’endoctrinement est encore incomplet résistent aux tentatives de les emmener au temple parce que  » c’est là que l’on va vomir « . Malgré cela, les adultes malades sont non seulement disposés mais aussi désireux de subir la longue purification rituelle, s’ils en ont les moyens. Quelle que soit la maladie du suppliant ou la gravité de l’urgence, les gardiens de nombreux temples n’admettent pas un client s’il ne peut pas offrir un riche cadeau au gardien. Même après avoir été admis et avoir survécu aux cérémonies, les gardiens ne permettront pas au noephyte de partir avant qu’il n’ait fait un autre cadeau.

Le suppliant entrant dans le temple est d’abord dépouillé de tous ses vêtements. Dans la vie de tous les jours, le Nacirema évite l’exposition de son corps et de ses fonctions naturelles. Les actes de bain et d’excrétion ne sont accomplis que dans le secret du sanctuaire domestique, où ils sont ritualisés dans le cadre des rites corporels. Le choc psychologique résulte du fait que le secret corporel est soudainement perdu lors de l’entrée dans le latipso. Un homme, dont la propre épouse ne l’a jamais vu dans un acte d’excrétion, se retrouve soudain nu et assisté par une vestale alors qu’il accomplit ses fonctions naturelles dans un vase sacré. Ce type de traitement cérémoniel est rendu nécessaire par le fait que les déjections sont utilisés par un devin pour déterminer l’évolution et la nature de la maladie du client. Les clientes, quant à elles, découvrent que leurs corps nus sont soumis à l’examen minutieux, à la manipulation et à l’incitation des guérisseurs.

Il reste un autre type de praticien, appelé « auditeur ». Ce sorcier a le pouvoir d’exorciser les démons qui se logent dans la tête des gens qui ont été échangés. Les Nacirema croient que les parents ensorcellent leurs propres enfants. Les mères sont particulièrement soupçonnées de jeter une malédiction sur les enfants tout en leur enseignant les rituels corporels secrets. La contre-magie du sorcier est inhabituelle par son absence de rituel. Le patient raconte simplement à « l’auditeur » tous ses problèmes et ses peurs, en commençant par les premières difficultés dont il se souvient. Le souvenir affiché par le Nacirema dans ces séances d’exorcisme est vraiment remarquable. Il n’est pas rare que le patient déplore le rejet qu’il a laissé lors de son sevrage en tant que bébé, et quelques individus voient même leurs problèmes remonter aux effets traumatisants de leur propre naissance.

En conclusion, il faut mentionner certaines pratiques qui ont leur base dans l’esthétique indigène mais qui dépendent de l’aversion omniprésente pour le corps naturel et ses fonctions. Il existe des jeûnes rituels pour faire maigrir les personnes grasses et des fêtes cérémonielles pour faire grossir les personnes maigres. D’autres rites encore sont utilisés pour rendre les seins des femmes plus gros s’ils sont petits, et plus petits s’ils sont gros. L’insatisfaction générale à l’égard de la forme des seins est symbolisée par le fait que la forme idéale est pratiquement en dehors de la plage de variation humaine. Quelques femmes atteintes d’un développement hypermammaire presque inhumain sont tellement idolâtrées qu’elles gagnent bien leur vie en allant simplement de village en village et en permettant aux indigènes de les regarder contre rémunération.

Il a déjà été fait référence au fait que les fonctions excrémentielles sont ritualisées, routinières et reléguées au secret. Les fonctions naturelles de reproduction sont également déformées. Les rapports sexuels sont tabous en tant que sujet et programmés en tant qu’acte. Des efforts sont faits pour éviter la grossesse en utilisant des matériaux mafiques ou en limitant les rapports sexuels à certains moments de la lune. La conception est en fait très rare. Lorsqu’elles sont enceintes, les femmes s’habillent de manière à cacher leur état. La parturition a lieu en secret, sans amis ni parents à aider, et la majorité des femmes n’allaitent pas leurs enfants.

Notre examen du rituel des Nacirema a certainement montré qu’ils étaient un peuple en proie à la magie. On a du mal à comprendre comment ils sont parvenus à exister si longtemps sous les fardeaux qu’ils se sont imposés. Mais même des coutumes aussi exotiques que celles-ci prennent un sens réel lorsqu’elles sont considérées avec la perspicacité fournie par Malinowski lorsqu’il écrivait (1948 : 70) :

« En regardant de loin et d’en haut, depuis nos hauts lieux de sécurité dans la civilisation développée, il est facile de voir toute la grossièreté et l’inutilité de la magie. Mais sans son pouvoir, personne n’aurait pu avancer vers les stades supérieurs de la civilisation. »

Références bibliographiques

Linton Raplh, 1936, The study of man. New York, D. Appleton-Century Co.

Malinowski Bronislaw, 1948, Magic, Science, and Religion. Glencoe, The Free Press.

Murdock George P., 1949, Social Structure. New York, The Macmillan Co.

(Traduction Deep L & Noël Jouenne)

Tour de table des thématiques

© Marine Pradon 2020

Un petit tour de table nous permettra de mesurer l’étendue des thématiques qui seront développées cette année :

Malak a choisi de s’intéresser au chien dans son rapport au propriétaire et à la ville. De quel manière ce rapport à l’animal domestique entretient-il un lien avec une portion de la ville ?

Lou, quant à elle, s’intéresse à l’enfermement et se demande si cette sanction est une bonne réponse pour les délits mineurs ? Peut-être sera-t-elle amenée à questionner l’urbanité qui fait de la ville un lieu où l’on accepte certains groupes sociaux et où l’on rejette certains autres.

Lyed s’intéresse à l’informatique et au numérique, à la ville virtuelle dans son interaction au réel. Existe-t-il un Toulouse numérique ?

Rym souhaite travailler sur le quartier des Moulins à Nice, qui est l’objet d’un NPNRU (vive les sigles !). Elle nous offrira un regard sur ce dispositif à travers la perception qu’en ont les familles résidentes.

Valéria s’intéresse au manège et a sa place dans la ville. Le manège est-il un simple élément de décors ou bien un outil économique ?

Sacha se concentre sur la place comme élément perçu/vécu à l’échelle de la rue et du quartier. Tout un programme !

Sara se penche sur le rapport entre musique et ville, un thème qui m’inspire depuis plusieurs années déjà. Quel est le dialogue entre la ville et la musique ? Alors que Goethe s’exclame : « Architecture is frozen music », Carla Bley prétend que le jazz est de l’architecture en mouvement. De toute évidence, il y a quelque chose.

Baptiste s’intéresse aux modes de vie dans les marges de la ville, du handicap aux mouvements des squatters.

Carla s’intéresse aux espaces publics, et principalement souhaite se pencher sur une zone de rencontres, un tronçon dans les allées Jules Guesde, au croisement des interactions (voitures, cyclismes, piétons, commerces de rue).

Makhum s’intéresse à la rénovation urbaine en Turquie, et souhaite traiter des « Gecekondu » types d’abris pour les populations pauvres. Il aura tout intérêt à lire Espaces habités de Colette Pétonnet. 

Nassima, quant à elle, s’intéresse au rapport entre cinéma et architecture, un domaine vaste qui nécessitera de faire des choix.

Le véritable travail d’appropriation du sujet débouchera sur la construction d’un objet de recherche. Il faut maintenant lire, comprendre, réfléchir, saisir, articuler, développer, penser, imaginer, choisir, entreprendre, méditer, organiser, définir, suspendre, et écrire.

Hommage à Alban Bensa

Petit traité de l’écologie sauvage, Alessandro Pignocchi, 2018, Steinkis éditions.

 

Patrick Williams (1947-2021) nous a quitté en janvier, Marshall Shalins (1930-2021) en avril, Martine Segalen (1940-2021) en juin et voilà qu’Alban Bensa (1948-2021) décide à son tour de tirer sa révérence.

Quatre anthropologues et nous des moindres viennent de partir pour un autre univers en l’espace de quelques mois, et à en croire les statistiques, cette accélération va se poursuivre compte tenu du nombre d’anthropologues issus de cette seconde génération née dans les années 1955-1970.

Décédé ce week-end, Alban Bensa était spécialiste du peuple kanak de Nouvelle Calédonie, mais pour les architectes, il reste celui dont le travail de collaboration a marqué les débuts d’une architecture ancrée sur le vernaculaire, la compréhension de l’autre et l’écologie. Dans un dialogue ouvert, Alban Bensa porte un regard sur le travail de  Renzo Piano au moment de la conception du célèbre Centre Jean-Marie Tjibaou (1995-1998).

A propos de la ville, Renzo Piano dit que « l’architecture est quelque chose de dangereux. C’est un art socialement dangereux parce qu’imposé à tous » (p. 85). Renzo Piano considère l’architecte comme un artiste. « L’artiste est celui qui réussit à dominer une tekhné et parvient à l’utiliser pour atteindre son objectif, qui est l’art. L’architecte puise ce qui lui est utile dans l’histoire de l’art et le transforme en quelque chose de nouveau : c’est ce que font tous les artistes » (p. 20). A propos du Centre culture Tjibaou, il écrit : « L’architecture est un phénomène local en ce qu’elle est liée aux traditions, aux cultures, à l’histoire, aux croyances religieuses, mais elle est aussi universelle, parce que les idées de protection et de religiosité sont universelles : de la cabane à la maison, à l’église » (p. 58).

On trouvera une conférence où Alban Benza explique son implication dans le projet de Piano donnée en 2017 à l’école d’architecture de Lyon.

=> Alban Bensa, 2000. Ethnologie et architecture. Le Centre culturel Tjibaou, une réalisation de Renzo Piano, Paris : Adam Biro, 207 p.

=> Renzo Piano, 2009. La désobéissance de l’architecte, Paris : Arléa, 180 p.

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