A propos du littoral dakarois : le regard d’un spécialiste, universitaire dakarois

Remerciements à M. L Mbow, professeur d’université, auteur d’une thèse sur Dakar, qui a bien voulu expertiser l‘étude de cas sur le littoral dakarois et ajouter les remarques qui suivent.

 

Il me paraît utile de donner des limites au littoral. D’après les schémas joints, il s’agit apparemment des côtes du département de Dakar, territoire qui alterne tracés rectilignes au nord et au sud, et, sinuosités sur la façade ouest qui s’expliquent par le substrat lithologique .

Les nombreux cas de dégradation du milieu naturel en font un espace fragile, dont les écosystèmes subissent l’agression multiforme du facteur anthropique.

Le développement proliférant des activités sur ce domaine, très convoité en raison de ses potentialités économiques et des avantages liés à son micro-climat, risque de lui faire perdre non seulement ses qualités esthétiques, mais également son identité qui est très marquée par la culture lébou (île de la Madeleine = demeure de Deuk Daour MBaye le génie tutélaire de Dakar ; île de Yoff = demeure de Mame Ndiaré le génie protecteur de Yoff, îles ayant en commun d’être inhabitées) et l’islam (présence du cimetière musulman de Gueule Tapée ; mosquée de la Divinité de la plage de Ouakam ; espace de pèlerinage de la confrérie des Layène aux Almadies).

Le développement désordonné des nouvelles formes d’occupation liées à l’extension de l’habitat et des emprises touristiques fait naître un sentiment diffus de dépossession d’un patrimoine commun aussi bien chez les autochtones des villages traditionnels qu’auprès des habitants des quartiers de création récente.

Les manifestations citoyennes de ces populations pour exprimer leur mécontentement contre le laisser-faire des pouvoirs publics soulignent assez le niveau de conscience atteint localement sur les problèmes liés à la protection de l’environnement et au développement durable.

 

Le chapitre sur les usages concurrentiels du littoral devrait s’ensuivre. L’habitat exerce une pression qui est plus particulièrement sensible dans deux secteurs cartographiables : a / le littoral de Ngor à Fenêtre Mermoz ; b / autour de la baie de Hann. Il induit un bétonnage qui se perçoit mieux à partir d’un point de vue en mer. On peut annexer à l’habitat les loisirs (plages : celles soumises à une interdiction / plages autorisées à la baignade……>  problèmes de la privatisation par les hôtels et les résidences de luxe qui restreignent l’accès au plus grand nombre / parcs d’attraction : Magic Land… > même conséquence) et à la culture (lieux cultuels et cérémoniels : cimetière, îles voisines, lieux de prières). Les activités économiques y sont principalement représentées par le secteur primaire (pêche et transformation artisanale du poisson …..> problème de l’aménagement des quais de pêche) et le secteur tertiaire (tourisme et concentration hôtelière sur le littoral). Les infrastructures sont apparues comme un facteur perturbateur de l’environnement avec les « grands travaux de l’Etat » ouverts à l’occasion du Sommet de l’OCI et du FESMAN III.

 

Dans le chapitre sur les impacts, l’accent doit être porté sur les impacts les plus prégnants : les menaces sur la stabilité de la presqu’île (exploitation des carrières de basalte arrêtée dans les 1970’s par décision du Président Senghor ; mais poursuite de l’exploitation clandestine de sablières)….> érosion littorale perceptible à travers le recul du trait de côte sur le littoral nord sablonneux, sur la corniche ouest par éboulement de blocs de roches volcaniques et de marnes, notamment derrière le monument de la Porte du Millénaire et derrière le Palais de la Présidence de la République. Il s’y ajoute le recul de la biodiversité autant sur la terre ferme qu’en mer. Un signe révélateur de ce phénomène est l’augmentation du rayon des sorties quotidiennes de la pêche artisanale pour atteindre les zones de capture en mer. Dans le même ordre d’idée, doit être évoquée la défiguration des paysages littoraux par le bétonnage sur la bande littorale formant le domaine public maritime : ancien immeuble du Musée dynamique devenu Cour constitutionnel, le parc d’attraction Magic Land, l’adjonction au restaurant Terrou Bi d’un complexe hôtelier, le bloc formé par la Place du Souvenir – Seaplaza – Radusson Hotel, la muraille de béton de Fenêtre Mermoz…En évoquant les pollutions, il faudra faire observer que la plupart des canaux collectant les eaux usées utilisent la mer comme déversoir. Une partie des déchets liquides ne subit aucun traitement (la station d’épuration de la plage de l’Université fait exception…et encore ses odeurs !). A l’origine, ces collecteurs devaient évacuer restrictivement des eaux de pluie ; mais par le développement de l’habitat dans la ville, leur fonction première a été détournée.

 

Un dernier chapitre peut être consacré aux perspectives d’aménagement. L’interrogation est justifiée à un double titre. En a-t-on la volonté au niveau des pouvoirs publics ? Dans l’affirmative, en quoi cet aménagement pourrait-il consister ?

 

En tout cas la question mérite d’être posée en raison de la multiplicité des enjeux en cause :

 

–          enjeux fonciers : on observe des confiscations de surfaces de plus en plus importantes par l’Etat dans le cadre de la réalisation de ses « grands travaux » d’infrastructure, et, par des privés soit pour l’édification de logements « les pieds dans l’eau » soit pour l’exploitation indue ou autorisée d’une activité économique. Cette anarchie est favorisée par la dispersion des instruments de gestion du domaine maritime où interviennent concurremment le ministère chargé de l’urbanisme, celui chargé de l’environnement, celui chargé du tourisme, les services déconcentrés et les collectivités locales ;

–          enjeux environnementaux : la sanctuarisation des îles voisines (Gorée érigée en patrimoine culturel mondial et îles de la Madeleine en parc naturel) seule suffit-elle ? N’y a-t-il pas une urgence à limiter le déversement des polluants divers en mer ? De l’Etat et des collectivités, quel est l’acteur à qui il est plus logique d’imputer la responsabilité des opérations de réhabilitation de l’environnement à entreprendre ? La privatisation de certains secteurs littoraux ne constitue-t-elle pas une rupture d’équité quant l’accès de tous aux biens publics communs ? Comment doit être définie la capacité de charge des sites à vocation touristique ou autre ?

–          enjeux économiques : insister sur l’exemple de l’extension de l’espace portuaire pour positionner Dakar comme port d’éclatement de trafic maritime en Afrique de l’ouest.

 

Ce qui précède fait ressortir l’urgence de l’établissement d’une loi sur le domaine littoral unifiant les divers codes existants (code de l’urbanisme, code de l’environnement, loi sur le domaine public maritime…) pour mettre fin à l’imbroglio juridique actuel, ou, à tout le moins corriger les incompatibilités entre les projets d’aménagement et les dispositions juridiques en vigueur.

 

Enfin on peut poser la question de la redéfinition de la procédure de gestion du domaine littoral dans une perspective qui vise une plus grande responsabilisation des collectivités locales (communes d’arrondissement de Cambérène, Yoff, Ngor-Almadies, Ouakam-Mermoz, Médina, Fass-Gueule Tapée-Colobane, Plateau, Hann) ainsi que la concertation avec les organisations représentant la société civile.

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