J’avais déjà évoqué dans trois chroniques ici, ici et ici le concept de « variable pédagogique ». Ou comment notre sacrosainte séance peut être anéantie par une donnée, un aléa, un risque incontrôlé et incontrôlable. Donc quand on m’a parlé de régionalisation, il est apparu clair que le lien devait être fait. Enseignant à Marseille, on y fait cours comme nulle part ailleurs, putaing.

LE VOCABULAIRE

Non mais on va pas s’engatser, je sais que bon nombre de fadas, de parigots croient que regarder Plus belle la vie, c’est pénétrer dans la cité phocéenne. Eh bien non ça ne suffit pas ! Loin de moi l’envie de m’enboucanner avec des blonds, mais pour être prof à Marseille, on doit pas être dégun. On doit adopter un lexique adapté devant les minots, histoire d’être grave dégaine, et pas le réné du coin. Aix en Provence c’est déjà le sud de Paris pour nous, alors méfi les tchoutchous !

L’ACTUALITÉ LOCALE

Car que vous le vouliez ou non, l’école est rythmée par notre région, surtout notre ville et ses particularismes locaux. Quelques exemples. Vous devez faire une évaluation sommative ? Impossible de la placer le lendemain d’un match de championnat ou de coupe d’Europe. Quel que soit le résultat. Si l’équipe a gagné, l’euphorie sera de mise et chaque seconde de la partie sera rejouée, en général avec votre feuille d’évaluation en guise de ballon et dans les travées du stad… pardon de votre classe. «  Msieur on les a ***** ces **** ». Si l’équipe a perdu, une morosité va rapidement se répandre et freiner toute ardeur au travail. Laissant pour lettre morte votre séance : «  Msieur on s’est bien fait ***** » . Dans tous les cas répondez « oui, oui » comme si vous étiez au courant. Et prenez un ton adapté, y compris en parlant mal de l’arbitre. Ce constat sportif marche également avec chaque reportage de BFLEMME TV parlant de la ville et de ses quartiers. Il faut toujours rebondir sur l’actu. OUI MÊME SUR LE DERNIER ALBUM DE JUL !

LA MÉTÉO

Je l’avais déjà évoqué précédemment mais pour les retardataires je vais reprendre ce point important. Chez nous l’année scolaire dure 8 mois. Oui car dans le sud les cours s’arrêtent mi-mai et reprennent début octobre. Normish entre temps les salles de classe sont des succursales de hammam ou autre sauna pédagogique. Le déo pas cher en sus. Dès que le baromètre frise l’apoplexie c’est le début de plusieurs mutations.

Géographique d’abord. Les élèves ne sont plus là tout simplement. Ben oui, il commence à faire chaud il y a la plage à dix minutes en métro, donc à quoi bon venir s’étouffer en classe à écouter un enseignant souffreteux alors qu’on peut se la couler douce avec un bon Capri sun et deux chichis frégis.

La deuxième est physiologique : l’apprenant agonise, doit amener sa Cristalline, doit se lever toute les demi-heures pour remplir CETTE cristalline, et il râle. Il râle beaucoup : «  Msieur il fait chaud, Msieur VOUS AVEZ PAS CHAUD ? » Ben non Dylan c’est bien connu j’ai une insensibilité congénitale à l’élévation de température. Je suis dans mon jus là je savoure pleinement.

La troisième est une conséquence directe de la deuxième, car augmentation de la température = diminution de la surface vestimentaire. Ou comment votre séquence sur les tranchées de 14 se transforme en défilé collection été chaud été show. Du crop top en veux-tu en voilà, du short à fleurs car Enzo est prêt à sauter façon Corniche Kennedy. De la jupe très courte, du poil luisant, ou du pec’ tendu dans son marcel. Entre l’entrée du Touchatou et l’entraînement de Marines décomplexés. Et devant cette foule bigarrée et souvent disparate. Vous. Suffocant.

LE CHAUVINISME

Là encore on se rend compte que l’adaptation du programme à la région est inéluctable. Quitte à sortir un peu du cadre. Prenons la séquence sur les 7 merveilles du monde. Une fois énoncé on entend le souffle chaud de la contestation «  Oh Msieur et les calanques ? ; c’est qui ces gens qui ont voté ? Les jardins suspendus de Babylone de quoi ? Y a même pas UNE cigale dans ce jardin suis certain. ». Même chose lorsqu’il s’agit de définir les villes mondiales. En France il y a Paris. «  Et Marseille ? » Et là bien entendu vous POUVEZ dire non, que Marseille n’a pas le statut, qu’elle doit encore progresser économiquement et géographiquement. Comme vous pouvez combattre un feu de forêt avec un brumisateur Evian. OU vous pouvez aussi contester de manière complètement fallacieuse ce classement lénifiant qui n’a que peu d’intérêt finalement. Ok l’aéroport mondialisé tout ça tout ça. Mais quid de la bouillabaisse que diantre ! Ils ont la Défense…on a la Canebière ! Et peu importe si quand vous demandez de présenter un personnage historique important du XXIe siècle, vous en avez 8 sur 10 qui prennent le Professeur Raoult. L’Histoire dira qu’ils avaient raison.

« C’est pas la capitale. C’est Marseille bébé »

 

Une chronique de Frédéric Lapraz

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