lien théorie -pratique

Laplantine estime que l’homme (en l’occurrence l’observateur), par un mouvement de décentration de soi, doit s’extraire de ses conceptions normatives pour ne pas compromettre son rapport avec l’Autre. Réfléchir et déconstruire ses propres préjugés et stéréotypes, semblent deux étapes essentielles pour envisager la relation avec une personne différente et ce,de lamanière la plus «neutre» possible (dans le sens de la neutralité axiologique). Dans ce sens, «cet état initial de détachement» constitue «un avantage pour se rapprocher de sociétés différentes»4, affirme Lévi Strauss. Loin de prôner, de manière un peu naïve, une neutralité absolue (difficilement concevable et réalisable), ce dernier estime que c’est un objectif vers lequel tendre. Ainsi, «[d]’une certaine manière,  certes [l’ethnologue]se livre à la société qu’il étudie, et y fait «allégeance» (p.143). Mais cela ne s’entend que de manière relative et d’ailleurs limitée dans le temps: par définition, il restera spectateur de cette société, tandis qu’il était et demeurera, même de manière infinitésimale et discontinue un agent de transformation de la sienne(p.144)»5. Laplantine définit un double intérêt à la décentration : découvrir et donner du sens aux structures fondatrices d’une autre société mais également s’interroger sur notre propre fonctionnement sociétal. Parce que l’on prend généralement pour acquis ce que l’on vit, prendre du recul et se confronter à la différence, redessine cet état de fait pour devenir un Dans cette continuité, Christine Delory-Momberger et Béatrice Mabilon-Bonfils affirment que «le déplacement et le dépassement de soi qu’implique l’ouverture à l’autre mettent véritablement à l’épreuve la centration de chacun sur soi-même et sur ses propres habitus culturels ; bousculant les assises et les réflexes culturels d’origine –qui constituent notre armature dans l’existence. »Loin de vivre cette expérience de décentration de façon solitaire, les auteures penchent plutôt pour un «projet collectif», impliquant toute la classe. Véritable défi qui se pose devant lui, l’enseignant est amené à créer un réel «monde commun à construire ensemble», monde dans lequel chacun a sa place et où la diversité est valorisée comme source d’apprentissages (et non comme source de déstabilisation).

Ces premières réflexions sur la différence et la décentration nous invitent à réfléchir sur notre propre quotidien. Professionnel, tout d’abord. Comment, en tant qu’enseignante, puis-je proposer à mes élèves un cadre dans lequel mes élèves vont pouvoir découvrir, appréhender et vivre la différence au quotidien? Comment les amener à se décentrer et à accéder à la diversité culturelle qui les entoure? Personnel, dans un second temps. Quels éléments biographiques peuvent-ils éclairer ma pratique enseignante d’aujourd’hui? Pour quelles raisons, suis-je en train de m’interroger sur l’altérité? Ces deux pans de mon quotidien communiquent, s’alimentent et s’enrichissent.

 

Questionnement professionnel: ma classe de maternelle face à l’altérité

La confrontation à l’altérité va être déterminante dans la construction de la personnalité de mes élèves et de leur rapport avec autrui. Afin qu’ils puissent profiter au maximum de cette rencontre avec l’Autre, je souhaiterais leur proposer de véritables situations propices aux échanges et aux interactions sociales. Comment mettre en place cette «dynamique»6? Comment analyser et évaluer ces situations de communication? Rappelons que, compte tenu de l’âge de mes élèves (entre trois et quatre ans), leurs capacités de décentration ne sont pas encore mises en place, ils restent très égocentrés. Pour une partie de mes élèves (PS), c’est la première fois qu’ils sont confrontés à l’altérité et ce «nouvel univers culturel» que représente l’institution scolaire.