L’interculturalité renvoie au sentiment de peur.

Okilélé. Claude Ponti

Pour ma part, travailler sur l’interculturalité renvoie en premier lieu à s’interroger sur le sentiment de peur que ressentent les individus lorsqu’ils sont confrontés à de l’inconnu. Je me suis permise de reprendre des éléments sur lesquelles j’ai travaillé lors de ma licence 3 en Sciences de l’éducation. A travers ce travail il était question de définir « la peur de l’autre au regard d’un support visuel et/ ou auditif). Pour ce travail j’ai fait le choix de travailler sur la chanson et le clip de Jean-Jacques Goldman : Peurs.

Avant de définir le sujet je commencerai par introduire le sentiment de peur qui fait lien pour moi avec les concepts d’altérité et d’interculturalité que je définirai ensuite. «  J’ai peur de l’autre que je ne connais pas ».

Tout d’abord un bébé ne naît pas avec des peurs. Les peurs vont se construire au sein d’un environnement ( notamment celui de sa famille). Françoise Dolto émet l’idée que « c’est la vérité qui constitue les enfants, les gens n’y pensent pas : ils n’ont qu’a dire la vérité ». Françoise Dolto accorde une grande importance à la parole dans la construction des individus. Elle évoque la notion « de parler vrai »1. Il faut donc essayer de ne pas mentir à un enfant car « on ne peut pas mentir à l’inconscient, il connaît toujours la vérité. Dans La difficulté de vivre, elle explique comment répondre à un enfant qui pose des questions autour de sa naissance. Le « parler vrai » paraît essentiel afin de pouvoir expliquer, de pouvoir éviter certaines peurs. De plus, en Sciences de l’éducation, la peur est définie comme quelque chose de légitime, mais la peur a tendance à entraîner de la méconnaissance. Il est proposé d’apprendre à se connaître et à connaître pour éviter les maladresses, les conflits. Par exemple, laisser place à l’imaginaire chez les enfants permet d’apprendre des valeurs et de faire un choix entre ce qui est acceptable ou non. Dans « La tempête » de Claude Ponti, l’immersion de rituels comme le doudou témoigne de la sécurité que ces rituels peuvent apporter à l’enfant face à des peurs ou des événements marquants. De plus, la peur est un sentiment qui se construit et qui va dans la plupart des cas entraîner de la méconnaissance et par la suite du jugement. La peur est un sentiment vécu et connu par tous.

L’effet « outsiders » dans le clip : montre la différence entre un groupe montré comme supérieur face à un individu seul, en l’occurrence l’autre qui est étranger au groupe, l’autre montré comme intrus voir « inférieur ». Idem dans la chanson avec l’emploi du pronom « on » qui nomme une pensée générale, une manière de penser émanant d’un groupe d’individus. Aussi la phrase  « On dit de source sûre qu’elle » à travers le clip montre que l’on peut apercevoir le sentiment de supériorité qui repose sur des croyances. Peu importe que les croyances soient véritables ou non.

Il apparaît dans le clip et dans les paroles une société ethnocentrique privée de toute communication. Les individus se regroupent par couleur de peau, ou à travers une croyance religieuse ou encore à travers les catégories socioprofessionnelles.

La peur est une émotion connue de tous, elle rassemble et en même temps sépare les individus. La peur de l’autre, de ce qui est étranger nous renvoie à nos façons de vivre et à nos positionnements.

Tous les groupes d’individus ont des craintes et des réactions communes. On peut le percevoir dans le clip à travers le groupe d’hommes de couleur noire qui observe l’homme de couleur blanche entrer dans l’ascenseur. L’observation peut à la fois montrer la méconnaissance mais aussi la peur de l’autre qui ne nous ressemble pas. De plus, le rire peut montrer un signe de supériorité mais pas seulement. Le rire peut être facteur de gène. Un groupe pour ne pas perdre la face va montrer des signes extérieurs comme le rire afin de s’attribuer une allure supérieure. Aussi dans le texte de Ferdinand Deligny, Les Vagabonds efficaces et autres récits, l’altérité est marquée par une bon nombre de rituels.2 Il évoque le passage d’un statut à un autre en l’occurrence. Dans cet extrait, est également évoqué l’entrée d’un nouveau venu dans un groupe déjà formé. L’entrée du nouveau venu passe d’un statut à un autre par une mise à l’épreuve commandée par le groupe qui domine. L’autre dérange, et par conséquent chaque groupe va tenter de légitimer ses craintes puis ses comportements. Le silence dérange dans l’ascenseur, un lieu qui habituellement est silencieux. Les groupes d’individus pour éviter de se confronter à l’authenticité de l’autre qui est étranger comblent pour la majorité d’entre eux par des regards complices, des rires. Mais on peut quand même souligner qu’ils sont dérangés et gênés.

Afin de mieux appréhender les peurs, il s’agirait peut être de développer la connaissance de l’autre, la connaissance des cultures. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut arriver à s’en oublier soi.

La peur se construit chez l’individu, elle n’est pas innée en lui. Les peurs naissent en lien avec les interactions que l’individu côtoie. Mais la peur de l’autre parce qu’il est différend crée des groupes d’individus qui s’observent. se regardent, émettent des croyances les uns sur les autres sans se connaître.

Avant de s’interroger sur l’objet d’étude de cet écrit, il s’agit de définir les termes d’altérité et d’interculturalité :

Un consensus semble se dessiner autour de la définition de l’interculturalité. Elle se caractérise comme étant l’interaction, l’échange et la communication entre les cultures où une personne reconnaît et accepte la réciprocité d’autrui.

La reconnaissance de chaque culture isolément ne suffit pas à créer une vraie cohésion sociale. L’interculturalité suppose l’interaction c’est-à-dire la reconnaissance et la réciprocité de la culture d’autrui. Au-delà de la coexistence, c’est apprendre à se connaître en premier lieu. L’approche interculturelle fait valoir que la diversité culturelle ne menace pas le tissu social d’une société mais l’enrichit. De plus, Laplantine nous sous-entend l’idée que l’interculturalité est le résultat d’une rencontre entre deux cultures.3 L’interculturalité se définit donc d’abord par la prise en compte de différentes cultures. ( Rappelons que nous entendons par culture « un tout complexe qui inclut les connaissances, les croyances, l’art, la morale, les lois, les coutumes et toutes autres dispositions et habitudes acquises par l’homme en tant que membre d’une société »). Elle a pour principe fondamental la réciprocité, le dialogue, c’est à dire que les cultures (ou les êtres porteurs de cultures) font partie d’un échange, elles sont à la fois émetteurs et récepteurs de messages et ne jouent pas seulement un de ces rôles. Les différentes cultures apprennent donc les unes des autres. Cette rencontre de l’autre amène à s’interroger sur nos différences et nos ressemblances, à faire disparaître les stéréotypes et les idées reçues que l’on peut avoir. C’est un travail de réflexion en profondeur, « de décentration et de méta-connaissance de sa propre culture et du rôle qu’elle joue dans la construction de chacun »4 selon Jennifer Kerzil. Par conséquent la notion d’altérité peut s’en suivre.

L’altérité quant à elle renvoie à ce qui est autre. Se questionner sur l’altérité demande de s’interroger sur ce qui est différent de nous, les relations avec l’autre et les moyens de communication à mettre en place pour le connaître. Quand on évoque la tolérance, il ne s’agit pas d’altérité car on ne prend pas et on ne comprend pas l’autre dans son ensemble.

Mais les individus appartiennent pour la plupart à un groupe culturel avec des normes et des règles propres à leur mode de vie. L’autre et sa différence culturelle sont définis à travers le groupe culturel qui construit des représentations de l’autre à partir de sa propre culture. De ce fait, il peut s’observer une distance qui pose le problème d’une rencontre avec l’autre.

Afin de mieux appréhender les peurs, il s’agirait peut être de développer la connaissance de l’Autre, la connaissance des cultures.

Dans ce cas comment mettre en place dans le champ de l’éducation et à travers quel(s) outil(s) un travail sur l’interculturalité telle qu’elle est définie dans cet écrit. Comment tendre vers une connaissance plus fine de soi permettant une réelle approche de l’autre ? La peur est-il un sentiment qui peut-être abordé afin de mieux le comprendre et de le maîtriser ?

La littérature de jeunesse peut-elle amener les élèves à se positionner face à des histoires qui sont le miroir de ce qui se passe dans la société ? Peut-elle sensibiliser les élèves à la curiosité plutôt qu’à la méconnaissance et à la méfiance. Pour Bachelard « Imaginer c’est s’absenter et se lancer dans une vie nouvelle»5. Le lecteur va interpréter de différentes manières les images et le sens des textes. Il va interpréter en fonction de son vécu et des pensées qui l’entourent. Et c’est justement ce que l’on peut qualifier de va et vient entre les images et la réalité qui va permettre de travailler sur les écarts de ce qui est acceptable ou non.

En d’autres termes, la littérature de jeunesse ne pourrait-elle pas avoir une place particulière dans une construction de soi et de l’autre et par conséquent permettre l’interculturalité ? Autrement dit, comment l’imaginaire peut-il être un moyen de tendre vers la connaissance de l’autre et l’interculturalité ?

  1. 1. Françoise Dolto, la difficulté de vivre, Articles et conférences IV. Galimard, 1995. p. 2-
  2. 2. Les vagabonds efficaces, Éd. Victor Michon, Rééd, Maspéro, Coll. Textes à l’appui/pédagogie, Paris,
  3. 3. François Laplantine, L’Anthropologie, Paris, Payot, 1995
  4. 4. Jenifer Kerzil. (2002). L’éducation interculturelle en France : un ensemble de pratiques évolutives au service d’enjeux complexes. Carrefours de l’éducation, 2,p, 17-23.
  5. 5. Gaston Bachelard, L’air et les songes : essai sur l’imagination du mouvement, LIBRAIRIE JOSE CORTI, 1943, 9.