Le plurilinguisme

J’enseigne dans une école privée à Brooklyn qui propose un programme d’immersion, au choix, en français ou en espagnol, de la maternelle jusqu’au Collège. Nous sommes en présence d’un milieu où les pratiques langagières et les connaissances culturelles des élèves sont soutenues par l’école et par la famille. Dans un tel contexte, tout est mis en œuvre par l’équipe pédagogique (qui comprend une psychologue) pour palier aux difficultés de l’élève monolingue. Nous travaillons en étroite collaboration avec les familles et leur proposons régulièrement des ressources afin d’accompagner leur enfant dans l’apprentissage du français, de l’espagnol ou de l’anglais. A partir de la Grande Section, l’école propose un soutien en langue aux élèves en difficulté.
Cette année, dans ma classe de moyenne section, j’ai majoritairement des élèves bilingues, quelques enfants monolingues anglais, un enfant monolingue français et un enfant plurilingue. Comme cela a été expliqué dans le post précédent, nous travaillons beaucoup sur les routines et le respect de l’autre (nous utilisons le programme américain Second Step pour la gestions des émotions, nous avons adapté ce programme en français et en espagnol), nous intégrons beaucoup de périodes de jeux et des activités qui favorisent les échanges entre enfants. Nous faisons régulièrement face à des situations de frustration ou de manque d’attention de la part de certains élèves, chose plutôt normale dans un tel contexte d’apprentissage. Nous gérons ces situations en collaboration avec la psychologue de l’école et nous nous réunissons régulièrement entre enseignants pour parler de ces situations et échanger des conseils.

J’aimerai vous parler de mon expérience en tant que parent dont les enfants font l’expérience d’un autre système, celui des programmes « dual language immersion » dans les écoles publiques dont la volonté et l’histoire sont un peu différentes de celles des écoles privées.
Le désir de mettre en place des enseignements de langue dans des zones sensibles en vue de remédier à l’échec scolaire remonte aux années 80 ; de ce point de vue, les Etats-Unis sont en avance par rapport à la France. Les programmes de « dual language immersion » ont bien évolué depuis et ils ont de plus en plus la côte. L’état de NY compte a lui seul plus de 300 programmes de ce type qui ont fait leur preuve en Espagnol et plus récemment en Français. Il est important de savoir que même les écoles qui ne proposent pas un programme plurilingue offrent systématiquement et gratuitement un soutien en anglais aux élèves étrangers qui arrivent à New York( English as Second Language, l’équivalent du FLE). Les parents non-anglophones ont également la possibilité de recevoir les communications de l’école dans la langue de leur choix et d’avoir recours à un interprète lors de réunions ou de rencontres avec les enseignants.
De tels programmes sont à la fois implantés dans des zones dites « à risque », l’équivalent des zones EP, mais également dans des zones où le taux de réussite scolaire est très élevé. A New York, les programmes plurilingues, plus spécifiquement ceux en français (que je connais le mieux car mes propres enfants les fréquentent) se sont établis soit dans les quartiers à forte concentration francophone (une population qui a immigré par choix), ou bien dans des zones « gentrifiées » dans lesquelles cohabitent différentes minorités et dont la volonté est de donner une image plus reluisante de l’école et du quartier, en ouvrant ses portes à un DLP, attirant ainsi un autre type de population. Certaines écoles publiques qui se voient peu à peu désertées à cause de mouvements de population, voient dans le DLP une manière de rester en vie.
Les DLP français sont devenus des programmes de plus en plus élitistes, très compétitifs. Selon les quartiers dans lesquels ils sont implantés, les enfants doivent habiter dans la « zone » (ce qui crée une augmentation considérable des loyers et inévitablement un déplacement de population). Ces programmes sont ouverts à des familles francophones (sur entretien) mais aussi à des familles non francophones (par loterie) désireuses que leur enfant apprenne une langue étrangère.
Aujourd’hui, à New York, le bilinguisme rime avec réussite scolaire, un passeport garanti pour l’entrée dans les meilleurs collèges, puis les meilleurs lycées et plus tard sans doute, les meilleures universités. Il est statistiquement prouvé que les élèves ayant suivi une éducation plurilingue ont de meilleurs résultats scolaires et s’en sortent bien mieux lors des tests annuels imposés par l’Etat à partir du CE2.
Le plurilinguisme ainsi valorisé par la famille, par l’école et validé par l’institution devient un atout. Mais les « DLP » ne sont pas faits pour tout le monde et certains élèves sont fragilisés par ces programmes qui demandent une grande capacité d’adaptation de la part des enfants et également des enseignants !

2 réflexions sur « Le plurilinguisme »

  1. Votre témoignage est très riche du fait de votre double casquette enseignant-parent. Il est surprenant depuis la France de découvrir que le plurilinguisme est à ce point valorisé voire déterminant dans le cursus des élèves. Et faire une place aussi importante aux langues dès la maternelle semble innovant depuis le vieux continent ! J’ai aussi été assez sensible à l’effort fait pour communiquer avec les parents d’élèves dans leur langue. Tout cela montre à quel point le multiculturalisme est constitutif de la société américaine…cela reste assez éloignée de l’histoire politique et culturelle de la France. J’ai cependant une dernière question. Nous avons évoqué ce jour en atelier la hiérarchisation des langues dans le système scolaire. Vous avez évoqué le français, l’espagnol, qu’en est-il des autres langues de migrations (arabe, russe voire langues d’Afrique) ?

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