Premières: corrigé de la dissertation

Sujet:

Les aspects comiques d’une pièce de théâtre ne servent-ils qu’à faire rire?

I Le rire libérateur

1) Apparition simultanée dans l’histoire du théâtre de la comédie et de la tragédie: la comédie est issue du ????? (kômos), une fête en l’honneur de Dionysos, un cortège au cours duquel les participants échangeaient des plaisanteries et des moqueries. Le rire apparaît ainsi comme le moyen d’évacuer les tensions et les soucis du quotidien.

2) Le comique de gestes, plus particulièrement, semble relever de cette libération: les grimaces des clowns, les gifles, les coups de bâton, les chutes sont de puissants ressorts comiques (ce qui selon la formule d’H. Bergson, dans le rire, manifeste du « mécanique plaqué sur du vivant« ). Molière dans Le médecin malgré lui ou dans les Fourberies de Scapin a souvent utilisé ce type de comique.  Dans un registre plus récent, on on peut évoquer les spectacles de Jérôme Deschamps, et Macha Makeïeff.

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La Cour des Grands
envoyé par Roger_Faligot. – Gag, sketch et parodie humouristique en video.[/dailymotion]

3) Les jeux sur le langage, le comique de répétition possèdent aussi ce pouvoir de libération: la multiplication des commentaires de Géronte (« Mais que diable allait-il faire dans cette galère? ») dans les Fourberies de Scapin, ou des affirmations péremptoires de Toinette déguisée en médecin (« Le poumon! »), dans le Malade imaginaire suscitent le même type de rire, un rire franc qui semble bien dénué de toute arrière pensée…

Et pourtant…Parlant du travail qu’elle effectue avec Jérôme Deschamps depuis des années, Macha Makeïeff en précise l’orientation: « Notre inclination à dire le fiasco, tous les ratages, les élans dans le vide, le déséquilibre, la glissade, l’épopée sans but, la bataille dans le vague, les efforts sans suite, l’énergie du désespoir, parce que, mal ajustés à cette vie nous sommes tous à côté de nos rêves » (Poétique du Désastre, actes sud, p.12).

Derrière le rire, il apparaît donc que d’autres motivations sont à l’oeuvre, motivations, qui toutes, cherchent à dire quelque chose sur la société ou le monde qui nous entoure.

II Le rire dénonciateur

1) La mise en jeu des réalités triviales: dénoncer le monde sérieux

Les premiers temps de la comédie, la comédie dite ancienne,  se sont souvent orientés vers un rire trivial, que l’on a parfois confondu avec de la vulgarité. Mais cette mise en avant des réalités corporelles (ce type de comique s’orientant la plupart du temps vers la scatologie ou l’obscénité) est avant tout le moyen de critiquer les normes admises, la recherche d’un monde parfaitement policé.

Derrière les plaisanteries d’Aristophane, dans Lysistrata ou dans La Paix, se dessine la critique d’une cité livrée aux démagogues, qui encouragent la guerre pour asseoir leur propre pouvoir.

2) Dénoncer les puissants

Le comique joue dans cette dénonciation un rôle essentiel: il met les spectateurs du côté de celui qui fait rire, et désamorce toute tentative de répression de la part de celui qui est ridiculisé, car bien sûr tout ceci n’est que « pour de rire », selon la formule enfantine consacrée.

Ainsi les personnages de valet dans la comédie, qu’il s’agisse de Scapin, de Sganarelle, d’Arlequin ou de Figaro permettent une critique acerbe des maîtres, des puissants, de ceux qui ont le pouvoir. Les bouffons, chez Shakespeare (Le roi Lear, La nuit des rois) jouent le même rôle.

Ionesco, de son côté, utilise le comique pour révéler les abus de pouvoir du professeur.

Ainsi le rire apparaît bien comme une arme, dirigée contre  tous ceux qui représentent une instance dirigeante dans une société donnée.

3) Castigat ridendo mores (elle corrige les moeurs par le rire)

Avec cette devise, la comédie se donne un rôle moral et pédagogique. Elle élargit son champ d’action: au delà d’une époque donnée, elle met en cause des types qui se retrouvent à travers le temps: le parvenu avec le Bourgeois gentilhomme,  l’avare avec Harpagon, l’hypocondriaque avec Argan. La représentation de ces pièces doit à chaque fois réfléchir sur l’actualisation de ses personnages, et le rire du spectateur gagne en subtilité.

Les mises en scène de Tartuffe sont à cet égard extrêmement instructives: alors qu’Ariane Mnouchkine, dans sa mise en scène de 1995, situe l’action dans un pays ouvertement méditerranéen, avec un Tartuffe clairement intégriste, décidé à utiliser la religion pour obtenir le pouvoir sur chacun, Stéphane Braunschweig fait d’Orgon un personnage contemporain, un homme d’aujourd’hui, à la recherche d’une certaine forme de spiritualité. Le rire du spectateur est ainsi différent, sollicité à chaque fois par des arrières-plans différents

Tartuffe, m.e.s Stéphane Braunschweig, Odéon 2008, acte I, scène I

Photos du spectacle de Mnouchkine à voir sur le site du Théâtre du Soleil

III Le rire iconoclaste: rire de tout?

1) Le rire tragique

Au delà de la dénonciation des défauts humaines ou des travers de la société, le rire peut aussi chercher à désamorcer l’angoisse inhérente à la condition humaine: les grands représentants du théâtre de l’absurde, Beckett et Ionesco nous proposent des pièces, dont le comique cache le désespoir: Dans En attendant Godot, les deux clochards, Vladimir et Estragon se traînent misérablement, et si leurs clowneries nous font rire, il n’en reste pas moins que l’image qu’il nous renvoie de la condition humaine, ici réduite à attendre un certain Godot (God en anglais signifiant Dieu), qui naturellement n’arrive jamais, est proprement tragique. Que dire également de Oh les Beaux jours, pièce qui se réduit au seul monologue de Winnie (to win: gagner), une femme d’un certain âge qui peu à peu s’enfonce dans la terre?

Oh les beaux jours, m.e.s Bob Wilson, Athénée-Théâtre Louis Jouvet, septembre 2010

On peut aussi évoquer Le roi se meurt de Ionesco, pièce dont la durée doit coïncider avec la mort même du personnage principal, ce roi dont le royaume se délabre sans cesse un peu plus chaque jour, et qui nous renvoie en miroir  orgueil dérisoire et terrifiante vulnérabilité.

2) L’humour noir

A cet égard, la comédie joue avec les réalités qui nous font peur, la maladie, ma misère, la mort, et on peut parler d’humour noir. Ainsi, dans un registre très contemporain,  les sketches de l’oeuvre de L. Calaferte, Un riche, troi pauvres présentent une succession de scènes qui évoquent à chaque fois sur un mode férocement comique la violence et la lâcheté humaine, la soumission aux puissants, l’impossibilité même de tout changement.

Conclusion

Le comique au théâtre, s’il a bien sûr avant tout la fonction de nous faire rire, obéit cependant à bien d’autres motivations, et on s’aperçoit qu’elles mettent en cause des ressorts très profonds chez l’homme: alléger le quotidien, critiquer les vices des sociétés et des hommes, se moquer de nos peurs et de notre impuissance. »Le rire est la seule réponse libre et humaine au désastre…On rit parce qu’on s’abîme, et ce rire-là nous sauve et nous rassemble » (Poétique du désastre, Macha Makeïeff, actes sud,  p. 29 et 30)

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