Lorenzaccio, corrigé du DST (terminales L2)

Corrigé du DST

Question 1:

Pourquoi, selon vous, une pièce réputée injouable en 1834 est-elle devenue l’une des plus souvent choisies par les metteurs en scène de tous les pays aux XXe et XXIe siècles ? »

Introduction:

Evoquer le refus de Musset relatif à la représentation de ses oeuvres, depuis l’échec de la Nuit vénitienne en 1831. D’où une grande  liberté  quant aux contraintes scéniques.

Rappeler les propos de Zola en 1877:

« Le malheur est qu’on n’a pas encore osé mettre à la scène la pièce la plus complète et la plus profonde de Musset : Lorenzaccio. On a reculé jusqu’ici devant l’audace de certaines situations et devant des difficultés matérielles de mise en scène. Mais il est évident qu’un jour, l’aventure sera tentée

I Les difficultés matérielles de mise en scène

A partir du moment où la mise en scène est conçue comme devant représenter la réalité des lieux de l’action, les difficultés posées par Lorenzaccio sont nombreuses: multiplication des décors (lieux historiques connus: l’église de San Miniato, les différents palais de Florence, les bords de l’Arno; Venise et les abords du Rialto), succession très rapide des différents lieux, en particulier l’alternance intérieur/extérieur, scènes de foule difficiles à organiser (la foire de Montolivet, l’arrestation de Pierre et Thomas Strozzi, l’affrontement des étudiants et de l’armée, l’avènement de Côme I), longueur du spectacle).

fabre5

Mise en scène d’Emile Fabre, 1927

La résolution de ces difficultés est allée de pair avec l’évolution de la notion de mise en scène. De la conception d’une mise en scène qui se doit d’être « fidèle » (représentation de Florence, respect de l’époque historique) à une mise en scène qui se revendique comme une interprétation: par exemple, la mise en scène de Michel Belletante en 2013, qui transpose la Florence du XVI ème siècle, dans un univers maffieux contemporain.

Lorenzaccio_vincent

Mise en scène Jean Pierre Vincent en 2000, cour du Palais des Papes, Avignon

En ce qui concerne concrètement les décors, passée la virtuosité technique d’une mise en scène historique comme l’a présentée Zeffirelli à la Comédie-Française en 1976, l’épure et le symbolisme se sont largement imposés: mise en scène de G. Lavaudant en 1989, mise en scène de J.P Vincent en 2000 dans la cour du palais des papes.

En ce qui concerne la temporalité, s’impose de plus en plus l’idée que la représentation doit réfléchir aux trois temporalités mises en jeu par l’oeuvre:

  • La temporalité de l’action (le XVI ème siècle à Florence)
  • La temporalité de l’écriture (1834 en France)
  • La temporalité de la représentation (XXI ème siècle).

II Un contenu subversif (politique et moral)

  • Lorenzaccio, pièce qui met en scène l’assassinat d’un tyran: sujet politique, propre à être censuré dans un état autoritaire:

Rapport du comité de censure du 23 juillet 1864 à Charles de La Rounat, directeur du théâtre de l’Odéon

LORENZACCIO
Drame en cinq actes.
23 juillet 1864.

Ce n’est pas la première fois qu’il est question de représenter cet ouvrage, qu’Alfred de Musset n’avait pas composé pour la scène. Le Théâtre-Français, qui y avait songé, a reculé devant des difficultés qui lui parurent insurmontables.

Dans la version que le directeur de l’Odéon soumet à la censure, on a cherché à adapter l’ouvrage à la scène par des suppressions nombreuses et des soudures ayant pour objet de rapprocher les différentes péripéties que les digressions, toutes naturelles dans un drame écrit pour être lu et non pour être joué, isolaient les unes des autres.

Nous ne croyons pas que cette œuvre, arrangée telle qu’elle est, rentre dans les conditions du théâtre. Les débauches et les cruautés du jeune duc de Florence, Alexandre de Médicis, la discussion du droit d’assassiner un souverain dont les crimes et les iniquités crient vengeance, le meurtre même du prince par un de ses parents, type de dégradation et d’abrutissement, nous paraissent un spectacle dangereux à présenter au public.

En conséquence, nous ne croyons pas qu’il y ait lieu d’autoriser la pièce de Lorenzaccio.

(source: http://www.lettresvolees.fr/musset/obstacles_representation.html)

Penser à la mise en scène de la pièce en 1969 par Otomar Krejca, à Prague, après l’écrasement du printemps de Prague par les chars russes en 1968.

  • Lorenzaccio, qui met en scène un débauché (le duc) et son cousin, personnages dont les relations sont elles mêmes ambigües (question de « l’immoralité » de la pièce).

Penser à la première tirade de Lorenzo, éloge de la corruption:

« Quoi de plus curieux pour le connaisseur que la débauche à la mamelle ? Voir dans un enfant de quinze ans la rouée à venir ; étudier, ensemencer, infiltrer paternellement le filon mystérieux du vice dans un conseil d’ami, dans une caresse au menton ; – tout dire et ne rien dire, selon le caractère des parents ; – habituer doucement l’imagination qui se développe à donner des corps à ses fantômes, à toucher ce qui l’effraie, à mépriser ce qui la protège ! Cela va plus vite qu’on ne pense ; le vrai mérite est de frapper juste. Et quel trésor que celle-ci ! tout ce qui peut faire passer une nuit délicieuse à Votre Altesse ! Tant de pudeur ! Une jeune chatte qui veut bien des confitures, mais qui ne veut pas se salir la patte« .

Noter aussi que jusqu’en 1952, le personnage de Lorenzo est interprété par une femme, ce qui permet d’atténuer sensiblement la portée homosexuelle de la pièce (le meurtre du duc, comme « jour des noces » de Lorenzo). Représenter à la scène cette dimension n’a pu se faire que très progressivement, au fur et à mesure des évolutions sociétales.

Meurtre-nocesMise en scène Georges Lavaudant, 1989

Cette double portée de la pièce (politique et psychologique) apparaît comme une richesse, et tout ce qui semblait une difficulté devient dès lors intérêt supplémentaire. Certains metteurs en scène vont privilégier la dimension politique (importance des scènes de foules, choix opérés dans l’acte V, question de la scène 6 de l’acte V) tandis que d’autres mettront l’accent sur l’individuel et l’intime (penser par exemple à la mise en scène de G. Lavaudant qui supprime toutes les scènes collectives).

Conclusion:

Si l’on admet que le choix initial de l’écriture dans un fauteuil est bien un défi de Musset comme l’affirme Claudia Stavisky:  » À travers Lorenzaccio, Musset nous dit ainsi que la représentation théâtrale ne peut pas rivaliser avec le pouvoir de projection et d’imagination d’un lecteur« , il faut envisager chaque mise en scène comme la réalisation d’une lecture possible.

 Question 2

Cette affiche (mise en scène de Claudia Stavisky en 2010) vous semble-t-elle rendre compte de la complexité du personnage de Lorenzo?

Lorenzaccio_Stavisky

Introduction:

Evoquer la première représentation de Lorenzaccio, en 1896 avec Sarah Bernhardt dans le rôle titre et la célèbre affiche de Mucha (Alfons Maria Mucha, 1860- 1939, peintre techèque qui a réalisé de nombreuses affiches et publicités, représentant de l’art nouveau).

Lorenzaccio_Mucha

Affiche: représentation du personnage principal, mais dans le cas de Mucha avec une insistance marquée sur l’incarnation par la comédienne, amors que l’affiche choisie par Claudia Stavisky se concentre sur le personnage et non sur le comédien qui l’interprète.

 Les éléments de l’affiche:

1) le masque, la marionnette

A relier à la thématique du masque qui parcourt toute la pièce: Lorenzo joue le rôle de Lorenzaccio (la référence à Brutus jouant le fou auprès de Tarquin le Superbe). Il prend le masque du vice:

« Quand j’ai commencé à jouer mon rôle de Brutus moderne, je marchais dans mes habits neufs de la grande confrérie du vice comme un enfant de dix ans dans l’armure d’un géant de la fable. je croyais que la corruption était un stigmate, et que les monstres seuls le portaient au front. J’avais commencé à dire tout haut que mes vingt années de vertu étaient un masque étouffant ; à Philippe ! j’entrai alors dans la vie, et je vis qu’à mon approche tout le monde en faisait autant que moi ; tous les masques tombaient devant mon regard ; l’humanité souleva sa robe et me montra, comme à un adepte digne d’elle, sa monstrueuse nudité. j’ai vu les hommes tels qu’ils sont« .

« Non, je ne rougis point ; les masques de plâtre n’ont point de rougeur au service de la honte. j’ai fait ce que j’ai fait ».

Le choix des couleurs (gris, bleu), l’absence de sourire renvoient à la description physique du personnage: tristesse,incapacité de rire:

« je suis rongé d’une tristesse auprès de laquelle la nuit la plus sombre est une lumière éblouissante » (Acte III, scène 3)

« Regardez-moi ce petit corps maigre, ce lendemain d’orgie ambulant. Regardez-moi ces yeux plombés, ces mains fluettes et maladives, à peine assez fermes pour soutenir un éventail ; ce visage morne, qui sourit quelquefois, mais qui n’a pas la force de rire » (Acte I, scène 4).

Certains ont noté que l’épée qui faisait office de nez sur l’affiche pouvait avec se grande longueur rappeler le personnage de Pinocchio, dont le nez s’allongeait démesurément lorsqu’il se mettait à mentir. La référence est possible, d’autant plus que Carlo Collodi, l’auteur de Pinocchio (1826-1890) est toscan et que la figure de la marionnette est associée à la ville de Florence.

 800px-Firenze-burattini-0849

La seule couleur qui sur l’affiche témoignerait d’une certaine vitalité serait la couleur de la main, celle qui tient l’épée, comme si le meurtre était en fait la seule possibilité laissée à Lorenzo d’exprimer son humanité perdue. De fait l’assassinat du duc apparaît bien comme le seul témoignage de sa pureté perdue:

« Songes-tu que ce meurtre, c’est tout ce qui me reste de ma vertu ? Songes-tu que je glisse depuis deux ans sur un mur taillé à pic, et que ce meurtre est le seul brin d’herbe où j’aie pu cramponner mes ongles ? » (Acte III, scène 3).

2) Le masque tranché

Mais si  l’affiche montre Lorenzo tranchant son masque, elle révèle aussi l’absence du visage derrière le masque, et fait du meurtre une sorte de suicide. Lorenzo évoque à de nombreuses reprises le fait que le masque qu’il s’est imposé pour tuer Alexandre est devenu sa réalité:

« Le vice a été pour moi un vêtement ; maintenant il est collé à ma peau. Je suis vraiment un ruffian, et quand je plaisante sur mes pareils, je me sens sérieux comme la mort au milieu de la gaieté. Brutus a fait le fou pour tuer Tarquin, et ce qui m’étonne en lui, c’est qu’il n’y ait pas laissé sa raison« .(Acte III, scène 3)

« Par le Ciel ! quel homme de cire suis-je donc ! Le vice, comme la robe de Déjanire, s’est-il si profondément incorporé à mes fibres, que je ne puisse plus répondre de ma langue, et que l’air qui sort de mes lèvres se lasse ruffian malgré moi ? j’allais corrompre Catherine  » (acte Iv, scène 5).

La mort d’Alexandre apparaît donc finalement comme un acte inutile car il n’y a pas de retour en arrière possible. Le duc une fois mort, Lorenzo n’a plus de raison de vivre,étant donné le désespoir qui est le sien d’être devenu ce qu’il est.

« PHILIPPE. A notre gaieté est triste comme la nuit ; vous n’êtes pas changé, Lorenzo.

LORENZ0. Non, en vérité ; je porte les mêmes habits, je marche toujours sur mes jambes, et je bâille avec ma bouche ; il n’y a de changé en moi qu’une misère : c’est que je suis plus creux et plus vide qu’une statue de fer blanc« . (Acte V, scène 7).

« Je ne puis que vous répéter mes propres paroles. Philippe, j’ai été honnête. Peut-être le redeviendrais-je sans l’ennui qui me prend. J’aime encore le vin et les femmes ; c’est assez, il est vrai, pour faire de moi un débauché, mais ce n’est pas assez pour me donner envie de l’être« . (acte V, scène 7).

Tuer le duc, c’est donc aussi signer sa propre mort. N’oublions pas que Musset a modifié la vérité historique. Le véritable Lorenzo de Médicis  est en fait mort assassiné en 1548, soit 11 ans après le meurtre d’Alexandre.

Conclusion:

Rôle de l’affiche: à décrypter comme interprétation et lecture de la pièce elle-même et non plus seulement comme illustration ou préfiguration du spectacle à venir.

Affiche-de-ladaptation-de-Michel-Belletante.-2013

Comments are closed.

buy windows 11 pro test ediyorum