La Curée, chapitre 3

Fiche de lecture

I Organisation générale du chapitre

II L’or et la chair

I Le chapitre 3 continue le rappel des événements passés de 1854 à 1862, même si les repères chronologiques sont un peu flous.

Le chapitre commence en 1854 avec l’arrivée de Maxime à Paris (jusque là il était resté en province, à Plassans). A cette occasion, Zola précise que Maxime a 13 ans (il serait donc né en 1841), et que Renée en a 21(elle serait née en 1833).

Tout le chapitre s’organise autour de la « famille » constituée par les trois personnages: on a donc:

*La jeunesse dorée de Maxime, jeune homme superficiel, exclusivement préoccupé de sa toilette et de ses plaisirs.

*Les affaires de Saccard, de plus en plus florissantes et de plus en plus malhonnêtes (il sert de prête-nom pour l’achat d’immeubles, il organise le Crédit viticole avec Toutin-Laroche, il s’associe avec deux entrepreneurs Mignon et Charrier pour construire des portions de rues et lotir les terrains en bordure).

*Les amours de Renée, avec la liste de ses amants successifs: le duc de Rozan, M. Simpson, attaché à l’ambassade américaine, le comte de Chibray, M. de Mussy, Georges.

Les relations entre les trois personnages évoquées ensuite témoignent d’une complicité souvent malsaine: complicité de Maxime et de Renée, dès qu’il est question des « filles » (Blanche Muller, l’Ecrevisse, Sylvia). Renée semble ainsi raffoler de détails et d’histoires plus ou moins scabreuses. Complicité tout aussi malsaine du père et du fils qui se rencontrent dans les mêmes lieux:

« Maxime et lui partageaient les mêmes épaules ; leurs mains se rencontraient autour des mêmes tailles, ils s’appelaient sur les divans, se racontaient tout haut les confidences que les femmes leur faisaient à l’oreille. Et ils poussaient l’intimité jusqu’à conspirer ensemble pour enlever à la société la blonde ou la brune que l’un d’eux avait choisie ».

L’aboutissement de cette complicité malsaine se voit dans l’histoire du bracelet de Sylvia, que Renée demande à Maxime de dérober afin qu’elle puisse l’examiner (elle va jusqu’à l’essayer, ce qui montre encore la confusion qui s’établit entre les mondes). Saccard reconnaît aussitôt le bracelet de Sylvia dans les mains de sa femme, et ne s’en émeut guère.

« Cependant la jeune femme s’était approchée de la fenêtre. Elle avait mis le bracelet. Elle tenait son poignet un peu levé, le tournant lentement, ravie, répétant :

– Oh ! très joli, très joli… Il n’y a que les émeraudes qui ne me plaisent pas beaucoup.

À ce moment, Saccard entra, et, comme elle avait toujours le poignet levé, dans la clarté blanche de la fenêtre :

– Tiens, s’écria-t-il avec étonnement, le bracelet de Sylvia !

– Vous connaissez ce bijou ? dit-elle plus gênée que lui, ne sachant plus que faire de son bras.

Il s’était remis ; il menaça son fils du doigt, en murmurant :

– Ce polisson a toujours du fruit défendu dans les poches !… Un de ces jours il nous apportera le bras de la dame avec le bracelet.

– Eh ! ce n’est pas moi, répondit Maxime avec une lâcheté sournoise. C’est Renée qui a voulu le voir.

– Ah ! se contenta de dire le mari.

Et il regarda à son tour le bijou, répétant comme sa femme :

– Il est très joli, très joli.

Puis il s’en alla tranquillement, et Renée gronda Maxime de l’avoir ainsi vendue. Mais il affirma que son père se moquait bien de ça ! Alors elle lui rendit le bracelet en ajoutant :

– Tu passeras chez le bijoutier, tu m’en commanderas un tout pareil ! seulement, tu feras remplacer les émeraudes par des saphirs« .

La fin du chapitre revient vers le présent de l’action: il est question du mariage de Maxime avec Louise de Mareuil (mariage voulu par Saccard), de l’installation dans l’hôtel particulier au parc Monceau. Cette installation est présentée  comme le triomphe de Saccard, mais aussi comme celle de l’empire, le moment même où la curée se déchaîne. Le chapitre s’achève logiquement avec la visite de Renée au palais des Tuileries où elle est présentée à l’empereur qui voit en elle « une fleur à cueillir, un mystérieux œillet panaché blanc et noir. »

II L’or et la chair

Le chapitre 3 entrelace constamment ces deux motifs: Saccard représente bien sûr l’or, et Zola met en place la référence au Veau d’or, idole adorée de manière sacrilège:

« L’hôtel, occupé par les bureaux, avec sa cour pleine d’équipages, ses grillages sévères, son large perron et son escalier monumental, ses enfilades de cabinets luxueux, son monde d’employés et de laquais en livrée, semblait être le temple grave et digne de l’argent ; et rien ne frappait le public d’une émotion plus religieuse que le sanctuaire, que la Caisse, où conduisait un corridor d’une nudité sacrée, et où l’on apercevait le coffre-fort, le dieu, accroupi, scellé au mur, trapu et dormant, avec ses trois serrures,ses flancs épais, son air de brute divine.

Poussin_veau d'or

Nicolas Poussin, l’adoration du Veau d’or (1633)

Renée et Maxime, quant à eux, relèvent bien plutôt de la « chair ». Il y a une confusion constante entre la « bonne société » et le monde des filles entretenues. On a déjà mentionné la curiosité équivoque de Renée, on peut aussi parler du  personnage de Mme de Lauwerens qui n’est rien d’autre qu’une maquerelle, représentant « l’école moderne » contre « l’école classique » (Sidonie Rougon).

« Cette dernière, belle femme de vingt-six ans, faisait métier de lancer les nouvelles venues. Elle appartenait à une très ancienne famille, était mariée à un homme de la haute finance, qui avait le tort de refuser le paiement des mémoires de modiste et de tailleur. La dame, personne fort intelligente, battait monnaie, s’entretenait elle-même. Elle avait horreur des hommes, disait-elle ; mais elle en fournissait à toutes ses amies ; il y en avait toujours un achalandage complet dans l’appartement qu’elle occupait rue de Provence, au dessus des bureaux de son mari. On y faisait de petits goûters. On s’y rencontrait d’une façon imprévue et charmante. Il n’y avait aucun mal à une jeune fille d’aller voir sa chère Mme de Lauwerens, et tant pis si le hasard amenait là des hommes, très respectueux d’ailleurs, et du meilleur monde« .

La dégénérescence de la société se marque dans les descendants même: Maxime, d’emblée, est présenté comme perverti:

« il était un produit défectueux, où les défauts des parents se complétaient et s’empiraient« . Pour Zola, cela se traduit par son caractère féminin, visible  dans son physique (« hermaphrodite étrange venu à son heure dans une société qui pourrissait » ) et dans ses goûts (par exemple, son intérêt pour la mode et les séances chez le couturier Worms. Là encore, on est dans le sacrilège absolu:

« Mais sa grande partie était d’accompagner Renée chez l’illustre Worms, le tailleur de génie, devant lequel les reines du Second Empire se tenaient à genoux. Le salon du grand homme était vaste, carré, garni de larges divans. Il y entrait avec une émotion religieuse. Les toilettes ont certainement une odeur propre ; la soie, le satin, le velours, les dentelles avaient marié leurs arômes légers à ceux des chevelures et des épaules ambrées ; et l’air du salon gardait cette tiédeur odorante, cet encens de la chair et du luxe qui changeait la pièce en une chapelle consacrée à quelque secrète divinité« ).

Louise de Mareuil est aussi considérée comme marquée par la dégénérescence de sa famille:

« On disait qu’Hélène de Mareuil était morte dans les débordements les plus honteux. Les plaisirs l’avaient rongée comme un ulcère, sans que son mari s’aperçût de la folie lucide de sa femme qu’il aurait dû faire enfermer dans une maison de santé. Portée dans ces flancs malades, Louise en était sortie le sang pauvre, les membres déviés, le cerveau attaqué, la mémoire déjà pleine d’une vie sale« .

Il y a donc dès le chapitre 3 une très forte condamnation morale de la part de Zola: le Second Empire, c’est bien le déchaînement de la cupidité et de tous les autres vices, déchaînement qui porte en lui-même sa punition, l’appauvrissement du sang, la pourriture de la race. Les seuls Rougon « survivants » seront ceux qui se sont tenus à l’écart (Pascal et Clotilde), même si l’avenir de leur enfant reste incertain.

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