Contre la réforme de l’orthographe !

Je vous invite à lire ce bel article aussi pétillant qu’ironique de Jean-Paul Brighelli qui fustige dans Le Point du 4/02/2016 cette réforme affligeante imposée par la Ministre de l’Education Nationale…

La bonne ortograf du ministère de l’Éducation

L’accent circonflexe vit ses derniers jours et les enfants n’auront plus une « maîtresse » mais une « maitresse » – c’est moins chic –, « nénuphar » s’orthographiera désormais « nénufar » et « oignon » sera « ognon ». Sans tenir compte que le « i » devant « gn » n’est pas étymologique, mais marque la mouillure du « gn » pour le différencier de celui d’« agnostique », par exemple. Que les enfants finiront par prononcer « agniostique » – par contamination. Et « pognard » à la place de « poignard » – parce que parfois la prononciation a suivi l’orthographe, au mépris de l’étymologie. Sans doute allons-nous rectifier le nom dePhilippe de Champaigne – champagne pour tout le monde !

Le poids  du  ministere

Les propositions remontent en fait à 1990. L’Académie française avait donné cette année-là quelques conseils qui n’avaient pas forcément valeur de contrainte – ainsi, « événement »  (deux accents aigus en français traditionnel) peut désormais s’écrire, conformément à la prononciation, « évènement ».

La nouveauté, c’est le diktat du ministère sur les éditeurs, qui pourront à la rentrée prochaine orner leurs manuels d’un joli logo « Conforme à la nouvelle orthographe » sur des manuels dont le contenu sera, lui aussi, rénové. Dans un monde où le fromage et la crème fraîche (pardon : fraiche) sont allégés, le reste doit suivre.

Qu’une instance administrative donne ainsi son certificat de conformité est étrange – à moins de supposer qu’en transformant la langue Mme Vallaud-Belkacem espère changer aussi les êtres. AU Vème siècle, un tyran de Syracuse avait interdit l’usage du mot « démocratie », espérant qu’en supprimant le mot il supprimerait l’idée. Un peuple qui parle ou écrit de façon minimaliste pensera aussi minimaliste – et revotera Hollande, allez savoir…
En 1905, le gouvernement envisagea de supprimer l’accord du participe passé avec le COD antéposé – une règle inventée de toutes pièces par Marot au XVIe siècle. Il y eut une volée de boucliers : les Français sont attachés à leur langue, même à ses aberrations.

« Insupportable élitisme ! » s’écrie sans doute la Rue de Grenelle, qui envisage probablement sereinement de valider un de ces jours le langage SMS…

L’invention de l’eau tiède

Les premières réformes d’envergure proposées remontent à Jacques Peletier du Mans, dans son Dialogue de l’orthografe e Prononciacion francaese – en 1555. Nous sortions à peine des guerres d’Italie, nous leur avions piqué l’habillement, la tomate et le baiser avec langue en bouche (si !), pourquoi ne pas leur emprunter leur orthographe conforme à la prononciation ? « Je vien meintenant au second point que j’avoé antrepris a soudre, qui ét l’Etimologie », écrit le grand humaniste.

Ça n’a pas pris. Certes, la langue n’a cessé de se modifier, mais nous sommes un pays centralisé où l’on a vite parlé « la langue du roy », et aucune autre : « Le bon usage, dit Vaugelas, est la façon de parler de la meilleure partie de la cour, conformément à la façon d’écrire de la meilleure partie des auteurs du temps. » Et de statuer qu’amour, délice et orgue seront masculins au singulier et féminins au pluriel. Une aberration – mais notre langue se nourrit d’aberrations et d’exceptions.

C’est ce centralisme que condamne aujourd’hui le ministère, qui ne désespère pas de faire parler (et écrire) à toute la France la langue de la banlieue – faute de faire écrire et parler la banlieue en bon français.

On peut opérer des réformes de détail – ainsi, « rhythme » (orthographe conforme à l’étymologie) a été simplifié en « rythme » au XIXe siècle. Mais lorsque l’Académie a voulu passer de « paon » à « pan », arguant qu’on ne saurait confondre l’animal avec un pan de mur, Leconte de Lisle s’est écrié « si vous supprimez le o du mot paon, je ne le verrai plus jamais faire la roue » – et on en resta là.

D’autant que cette réforme est encore une demi-mesure. On supprime l’accent circonflexe sur u, i, o, mais pas sur le e. Bonne chance aux futurs apprenants !

On peut voguer avec son temps, décider que le h de « haricot » est désormais muet – je ne suis pas puriste à ce point. Mais vouloir changer plusieurs milliers de mots à la fois pour complaire aux néo-pédagogues qui eux-mêmes ne connaissent pas forcément bien la langue, c’est un coup de force inédit et qui fera long feu.

Du reste, il en est de ces consignes absurdes comme des nouveaux programmes du nouveau collège : les enseignants les appliqueront s’il leur plaît – et j’ai déjà dans l’idée qu’il ne leur plaît pas. Avec un circonflexe !

 A consulter aussi, l’avis cinglant de l’Académicien Jean D’Ormesson sur cette nouvelle initiative malencontreuse ! C’est édifiant !

cf http://www.rtl.fr/actu/societe-faits-divers/reforme-de-l-orthographe-je-me-demande-si-on-ne-se-fout-pas-de-nous-regrette-jean-d-ormesson-7781708326

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