– Ce texte fait partie d’une série sur les imaginaires technocapitalistes –

A.P  (doctorante) : – J’aurai voulu revenir avec vous sur les critiques qui peuvent être faites à l’aternativisme et aux réponses que vous pouviez formuler au sujet de ces critiques.

Il y a une critique que l’on pourrait faire à l’alternativisme, c’est que la multitude d’alternatives qui sont développées resterait pour l’essentiel cantonnée à un petit groupe, aurait du mal à se diffuser et en réalité resterait partagée par un petit groupe appartenant qu’on pourrait qualifié des « créatifs culturels ».

On a même vu se développer des « éco-zones franches ». Ces zones, qui sont constituées par des alternatives, ont une double caractéristique. Elles sont acceptées au sein du technocapitalisme parce que les élites économiques et technocratiques se disent que peuvent toujours s’y développer des innovations qui peuvent être intéressantes sur le plan capitaliste. Mais ces zones bénéficient aussi d’exemptions. Elles ne sont pas soumises au même contrôle que le reste des zones par l’IA de gouvernance. Il y a juste un contrôle global, mais pas individuel sur les personnes dans ces zones. Leurs habitants sont moins soumis que les autres à des technologies de surveillance intrusives. Ils ont le luxe d’avoir une intimité plus grande concernant leur vie privée et leurs modes de vie. Ils sont en très grande partie autonomes des technologies technocapitalistes.

Et à l’inverse, on pourrait aussi dire de l’alternativisme que quand parfois il parvient à s’étendre au-delà de la minorité des « créatifs culturels » qu’il l’a promeut, les alternatives sont récupérées par le technocapitalisme industriel, et qu’elles se trouvent alors dévoyées par le changement d’échelle. On peut prendre un exemple déjà assez ancien qui est celui de l’agriculture biologique quand elle s’est retrouvée vendue dans les supermarchés.

A (membre d’un réseau des Alternatives au technocapitalisme) : – Il y a plusieurs critiques dans ce que vous formulez. La première critique, c’est que l’alternativisme serait limité à une petite élite de « créatifs culturels ».

Il me semble que les alternatives que nous prônons font appel à des « low tech » et qu’on retrouve beaucoup d’alternatives « low tech » dans les pays du Sud Global.

Donc, oui, les alternatives, c’est minoritaire, mais dans le Nord Global où les technologies qui dominent sont celles développées par les technocapitalistes. En effet, les technocapitalistes, avec leur pouvoir économique, ont la capacité de faire adopter largement leur imaginaire et leurs innovations à la très grande majorité de la population.

De notre côté, nous avons du mal à promouvoir à une large échelle nos innovations sociales.

Mais, si vous regardez, la crise écologique a entraîné une partition mondiale. Les pays technocapialistes, qu’ils soient libéraux ou autoritaires, ont adopté une orientation de leur économie et de la lutte contre l’impact écologique qui est d’orientation écomoderniste.

Les pays du Sud Global ont adopté, de manière contrainte d’ailleurs, une orientation basée sur les low tech.

A.P : – Mais l’orientation que vous décrivez, elle plaide plutôt pour la vision des rupturistes qui s’appuient sur la perspective de subsistance plutôt que pour les alternativistes qui pensent qu’il est possible de réformer le système technocapitaliste ou de le remettre en question en faisant tâche d’huile.

Le Rupturistes pensent de leur côté qu’il faut se tourner directement vers une économie de subsistance pour être prêt à faire face à l’effondrement du système technocapitaliste.

Eux sont actuellement très en lien avec les communautés du Sud global et on peut même dire qu’iels font partie du Sud Global. Ils font partie des « Sud épistémologiques » dont parlait le sociologue Boaventura de Sousa Santos.

Mais on pourrait aussi critiquer l’alternativisme, pas seulement comparativement au rupturistes, mais également comparativement à l’orientation de la coalition Anti-Oppression. Je sais que des alternativistes sont également membres de cette coalition.

Mais, la coalition Anti-Oppression agit comme une instance de contre-pouvoir. Elle revendique des gardes-fous contre les biais discriminatoires, contre le creusement des inégalités sociales (en demandant une limitation des inégalités de richesse) et contre la surveillance des personnes par les IA de gouvernance et de modifications comportementales par les Consortium.

Elle adopte deux stratégies pour cela : une stratégie légaliste par des recours auprès du Comité international d’éthique, mais également une stratégie d’action collective dans des mouvements sociaux : manifestation, actions directes de résistance civile…

Même si on peut considérer que le contre-pouvoir exercé par la Coalition Anti-Oppression est insuffisante, elle a réussi à bloquer au moins pour un temps certains projets de Techno-Futur.

De leur côté, les actions illégales des Hackeurses ont un coût pour le technocapitalisme.

A : – Comme vous l’avez rappelé, il n’est pas contradictoire de faire partie de la Coalition Anti-Oppression et d’être dans un réseau d’Alternatives.

En outre, la Coalition Anti-Oppression se concentre sur une activité de contre-pouvoir, mais elle ne propose pas d’alternatives aux solutions technocapitalistes.

Nous nous souhaitons créer et proposer des alternatives qui puissent apparaître désirables à la population qui peut les adopter pour gagner de l’autonomie par rapport au technocapitalisme.

AP : – Cela dit comme nous l’avons vu, pour l’instant, il semble que votre point faible, tient au fait que les alternatives que vous proposez ont du mal à s’imposer comme des alternatives valables pour la majorité de la population, et que quand elles s’étendent plus largement elles semblent même changer de nature.