Commentaire de document : » La malnutrition en Afrique est un «problème structurel» »

LE FIGARO. – La faim dans le monde a reculé au cours des vingt dernières années, selon un rapport du FAO sur l’insécurité alimentaire publié le 9 octobre 2012. La situation de l’Afrique subsaharienne, qui a vu sa population malnutrie augmenter de 64 millions, est toutefois «préoccupante», a déclaré Jomo Sundaram, le directeur général adjoint de la FAO. Pourquoi ce continent reste-t-il autant touché par l’insécurité alimentaire?

Pierre JACQUEMOT. – Trois phénomènes peuvent expliquer cette situation. Tout d’abord, l’Afrique a connu une croissance urbaine spectaculaire, la plus rapide dans l’histoire de l’humanité. Une partie de la population a quitté les campagnes pour aller chercher du travail dans les villes, ce qui explique aujourd’hui le problème de manque de main-d’œuvre qu’on observe sur les terres agricoles. Ensuite, les politiques agricoles ont largement échoué. Ainsi, l’agriculture africaine reste peu efficace: d’une part, son rendement est très faible et sa modernisation reste très limitée. Seules 3 à 4% des terres sont irriguées par exemple.

Comment expliquez-vous ce faible rendement agricole?

Il n’y a aucune politique agricole de la part des États. Tous ont toujours préféré s’occuper de l’industrie, des services et de l’administration. On observe la même chose chez les bailleurs de fonds, telle que la Banque mondiale. C’est seulement depuis cinq ans qu’ils se rendent compte que l’Afrique a un potentiel agricole.

Les conflits ethniques et l’instabilité politique sont également des facteurs aggravants…

Bien entendu, les événements extérieurs accentuent cette insécurité alimentaire et fragilisent la population car elles n’a plus accès à l’eau potable ni aux champs. Dans les zones de conflits, lors de crises humanitaires ou de catastrophes naturelles, on assiste aussi à des déplacements de populations qui se rendent dans des camps de réfugiés. Après de tels événements, il y a rarement un retour vers l’agriculture.

Le réchauffement climatique est également en cause?

L’impact du réchauffement climatique est en grande partie négatif puisqu’il provoque une désertification des territoires. Alors que le Sahara gagne du terrain, les territoires réservés à l’agriculture diminuent par exemple. Il faut aussi prendre en considération l’augmentation du niveau de la mer, qui peut être une menace pour l’agriculture si l’eau salée s’infiltre en grande quantité dans les nappes phréatiques.

L’augmentation du nombre de personnes malnutries en Afrique subsaharienne peut-elle être reliée à la crise économique mondiale?

Cela n’a rien à voir avec la crise économique. Seuls l’Afrique du Sud et le Kenya, deux pays très économiquement ouverts, ont ressenti cette crise. Les autres ont été beaucoup moins sensibles aux fluctuations du marché. En Afrique subsaharienne, l’insécurité alimentaire est avant tout un problème structurel et chronique. En revanche, une dizaine de pays, tels que le Sénégal, le Mali ou encore la Mauritanie, peuvent craindre l’augmentation du prix des produits énergétiques, comme le pétrole et tous ses dérivés car cela peut, en conséquence, faire augmenter le prix de leurs produits agricoles.

Quelles pourraient être les solutions envisagées pour lutter contre cette malnutrition chronique?

L’agriculture urbaine est une des réponses possibles. Depuis quelque temps, on constate le développement d’une activité agricole à l’intérieur des villes. Sur les trottoirs, dans les arrière-cours, les jeunes et les femmes tiennent des potagers, produisent des biens alimentaires et bénéficient d’un circuit court, puisque la clientèle est sur place. Par ailleurs, on assiste aujourd’hui au développement de l’agriculture agro écologique, une agriculture verte adaptée au milieu et appropriée aux compétences de l’agriculteur. Il s’agit, par exemple, de remplacer des engrais chimiques par des engrais écologiques ou de diversifier les productions. Enfin, une des solutions adaptées à l’Afrique et défendue par les institutions internationales est l’agriculture familiale. Elle permet aux agriculteurs de satisfaire une autoconsommation tout en vendant une partie de leur production. Beaucoup d’ONG et de centres de recherche agronomique se mobilisent sur ces questions, mais ce qui est fait n’est jamais suffisant.

Interview dePierre Jacquemot, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), spécialiste des questions économiques et politiques africaines, Le Figaro, 10/10/2012.

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2/ D’après Pierre Jacquemot, quels sont  les facteurs de la persistance de la malnutrition en Afrique subsaharienne?

3/ Quelles solutions peuvent être envisagées pour améliorer cette situation ?

4/ Commente caractériseriez-vous ces pays dans le cadre de la mondialisation ?

 

 1/ Ce texte est la retranscription d’une interview accordée par Pierre Jacquemot au journal quotidien « Le Figaro » du 10 octobre 2012. Ce spécialiste des questions économiques et financières de l’Afrique  à l’IRIS, expose les facteurs de l’insécurité alimentaire en Afrique subsaharienne et propose quelques solutions au moment où le dernier rapport  de la FAO singularise la situation « préoccupante » de  la région dont  le nombre de malnutris a augmenté de 64 millions depuis 20 ans alors que, dans le même temps, la faim recule dans le monde.

2/ Selon Pierre Jaquemot quatre facteurs  principaux  expliquent  l’insécurité alimentaire persistante de l’Afrique subsaharienne : La « croissance urbaine spectaculaire » qui entraîne un fort exode rural et donc la raréfaction de la main d’œuvre rurale; l’absence d’une véritable politique agricole publique, une « Révolution verte »,  qui explique les faibles rendements; les conflits, les évènements climatiques qui chassent les populations des terres agricoles sans perspectives de retour et enfin la désertification des territoires et la salinisation des nappes phréatiques qui favorisent la stérilisation des terres. Secondairement, l’augmentation des prix des produits énergétiques peut aussi avoir un impact mais sur une dizaine de pays seulement car le problème est avant tout structurel.

3/ P.Jaquemot évoque trois pistes pour lutter contre la malnutrition. Tout d’abord le développement d’une agriculture urbaine vivrière réduisant les coûts de transport et donc les coûts de production. Puis la mise en place d’une agriculture « agro-biologique », polyculture sans engrais chimiques importés mais utilisant des engrais locaux et écologiques. Enfin, le développement d’une agriculture vivrière familiale satisfaisant aux besoins des producteurs qui pourraient vendre leurs surplus.

4/ L’Afrique subsaharienne concentre les PMA (Pays les Moins Avancés): sur 48, 34 y sont localisés. Ces pays se caractérisent notamment par une faible intégration dans la mondialisation. P. Jaquemot écrit notamment qu' »à part l’Afrique du Sud et le Kenya, deux pays très économiquement ouverts, les autres ont été beaucoup moins ouverts aux fluctuations du marché » montrant ainsi l’isolement relatif de l’Afrique subsaharienne. L’enclavement de certains Etats, l’insécurité politique, le faible développement des infrastructures de transport et des secteurs industriels, malgré quelques efforts, mettent en marge de la mondialisation la plupart des pays d’Afrique subsaharienne.

Category(s): 4.ECD GÉOGRAPHIE, G4.L'Afrique,les défis du développement

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