Introduction : la question des attributions.

Introduction : la question des attributions.

Après avoir introduit les deux questions du programme (voir page sur les bibiographies) nous nous  intéressons à une des particularités de Rembrandt c’est à dire la question très controversée des attributions.

Sur cette question, des universitaires hollandais, spécialistes de Rembrandt, ont construit un formidable site catalogue qui recense toutes les oeuvres attribuées par les différents catalogues (Bredius, Gerson, Schwartz, Tümpel, Rembrandt Research Project…) à un moment ou à un autre au maître de Leyde (742 au total). Chaque oeuvre est accompagnée d’une notice rappelant l’historique de ses attributions. La présentation est faite en combinant une entrée chronologique à gauche et trois entrées par page : oeuvres actuellement attribuées, oeuvres incertaines, oeuvres définitivement (?) rejetées.

En effet, Rembrandt est admiré pour son universalité, une admiration sans limites, dès son vivant mais surtout au XIXe siècle, ce qui explique le nombre inconsidéré d’œuvres qu’on lui a attribuées à certains moments (jusqu’à 1000 !). Cela dénote aussi de l’influence qu’a exercée Rembrandt sur des générations de peintres et ce malgré les critiques virulentes de certains détracteurs (comme Gérard de Lairesses) mais aussi de l’activité intense de son atelier, véritable entreprise de production. Rembrandt était un chef d’atelier tout autant qu’un grand peintre. Des dizaines d’élèves ont travaillé pour lui sur des tableaux, lui même se contentant parfois de superviser et de signer les oeuvres. Sa pratique même de revenir sur le même tableau pendant des années renforce la difficulté d’attribution. Des peuvres entrent et sortent dans les, catalogues successifs (on est passé de 714 en 1923 à 250 en 1989 par le RRP, avant de remonter à 315 en 1992). Gary Schwartz appelle de ses voeux un travail de constitution d’un ensemble de tous les tableaux qui ont été reconnus par des spécialistes comme étant des oeuvres de Rembrandt. La question de l’authenticité est donc essentielle quand on étudie Rembrandt. Les méthodes scientifiques les plus poussées ont été utilisées avec comme résultat de lui attribuer des œuvres secondaires et de lui retirer de véritables chefs d’œuvre. Simon Schama, dans une note en fin d’ouvrage des « Yeux de Rembrandt » p. 791, évoque cette question.
Alors que ce peintre a passé toute sa vie à affiner (et à affirmer) sa singularité, des centaines d’œuvres d’atelier, d’artistes contemporains qui l’ont imité, lui ont été attribuées à tort sous prétexte d’utilisation du clair-obscur, d’un style pictural large et peu châtié. Pour Svetlana Alpers dans « L’atelier de Rembrandt » la question des attributions est finalement secondaire. En plaçant l’atelier au cœur de la démarche du peintre hollandais, elle s’interroge sur la manière de travailler de Rembrandt avec ses élèves et sur l’immense impact qu’a eu son art sur les jeunes artistes. Le maître lui même est à l’origine des incertitudes qui pèsent sur l’authentification de certaines œuvres majeures qu’elles soient des copies postérieures ou des créations d’atelier (Lire Svetlana Alpers chapitre 3, L’atelier). Il multipliait les versions dans son atelier en demandant à ses élèves de copier ses tableaux. Ces incertitudes sont renforcées par l’absence de titre, la difficulté d’identifier le sujet ou le modèle comme pour la fameuse « Fiancée juive » qui probablement n’était ni fiancée, ni juive…

Le dernier travail d’attribution en date est le « Rembrandt Research Project » (un travail gigantesque commencé en 1968). Il a exclu, grâce à de méthodes scientifiques, plusieurs pièces du Corpus.
Simon Schaama refuse de « polémiquer » dans le livre, admet la difficulté (certaines œuvres ont été attribues, désattribuées, et réattribuées à différentes périodes), mais aussi l’importance de la question de l’attribution. Selon lui les critères du Project sont souvent trop techniques et matériels et ne laissent qu’une faible part à l’interprétation, dont les arguments sont souvent discutables. Il tente de démontrer la difficulté de ce travail en réfutant, un par un, les arguments en faveur d’une désattribution de l’Autoportrait au gorgerin du Mauritshuis (Galerie Royale des Pays-Bas), voir ci-dessous.
La question est importante mais d’autant plus difficile à régler qu’un œuvre peut « voyager » plusieurs fois entre l’atelier et le maître. Autre problème : la terreur que provoque ce type de travail chez les collectionneurs et les conservateurs de musées craignant le « déclassement » d’une œuvre jusque là attribuée au maître. Exemple emblématique : « L’homme au casque d’or » du musée de Berlin (voir ci-dessous) n’est plus attribué à Rembrandt mais à un collaborateur ou élève anonyme. Mais c’est une œuvre profondément rembranesque.
Il faut savoir que tout grand maître a eu recours à un atelier afin de faire face à la demande. Ce qui accentue le problème avec Rembrandt, c’est que ses élèves et ses émules continueront à peindre comme lui pendant plusieurs années. Par ailleurs, l’engouement des collectionneurs pour la peinture du maître, qui n’avait d’égal que la critique exacerbée des tenants de l’académisme, a favorisé les attributions  détournées, les copies et les faux alors que tout collectionneur a besoin de critères précis permettant d’éviter l’erreur.

Au XIXe siècle est réalisé le premier catalogue (en 1835 par le marchand d’art John Smith) qui dénombre 272 pièces. Le chiffre atteint 1000 à la fin du XIXe siècle car toute peinture rembranesque était attribuée au « génie solitaire mal compris ». Puis à 600-630 au XXe (Bredius) pour redescendre à 420 attributions par Gerson en 1970. Le Rembrandt Research Project n’est pas achevé mais on parle d’environ 320 à 400 oeuvres. Je me suis appuyé sur une interview du directeur des Archives du Rembrandt Research Project, Michiel Franken publiée dans le n° 129 des Dossiers de l’Art consacré à « L’année Rembrandt » (2006). Le diaporama reprend l’essentiel des idées et les exemples cités par M. Franken.

introrembrandtattributions

Mais, pour être objectif, il faut lui associer les critiques formulées par plusieurs spécialistes de Rembrandt (en particulier Simon Schama) quant aux désattributions les plus spectaculaires (voir ci-dessous). Nadeije Laneyrie-Dagen est également étonnée de certaines désattributions. Elle cite un extrait de la désattribution de La Mère de Rembrandt ci-dessous.

Par Nadeije Laneyrie-Dagen, Lire la Peinture de Rembrandt, Larousse 2006.

A Corpus of Rembrandt Paintings. 1968-2006 sqq.

Depuis 1968, le Projet de recherche sur Rembrandt (Rembrandt Research Project) se donne pour mission de faire le tri dans un ensemble où se mêlent originaux, copies et variantes. L’examen technique des œuvres, lorsqu’il est mené. livre quelquefois – seulement pour le pire – des critères sûrs : la datation d’un panneau, celle d’un pigment, si elles ne correspondent pas à l’époque où Rembrandt travaille, excluent l’œuvre de son catalogue.Dans les autres cas, c’est-à-dire le plus fréquemment, l’analyse, donc l’attribution ou la désattribution demeurent subjectives. Ernst van de Weterïng, Président du projet, le reconnaît :« Par les moyens de la technologie, il est parfois possible de démontrer qu’une peinture n’est pas de Rembrandt En revanche, l’inverse n’est jamais possible. » Dans le volume 1 du Corpus of Rembrandt Paintings. le tableau connu sous le titre ta Mère de Rembrandt est ainsi rejeté de l’œuvre de Rembrandt. II l’est au terme d’une analyse contestable tant dans son appréciation de la qualité de l’œuvre que dans les tentatives de rapprochements, et alors que les rares examens effectués n’ont apporté aucun élément qui exclue une attribution à Rembrandt:

« Le traitement extrêmement désorganisé de la peinture, avec d’étranges accents colorés dans la paupière sur laquelle porte la lumière et ailleurs, combiné avec la surabondance de marques de grattage qui ne parviennent pas toujours à traduire la forme qu’elles sont censées exprimer, ne permet pas de croire que Rembrandt ou un de ses proches soit l’auteur de cette peinture. L’exécution est tellement grossière, les formes suggérées d’une façon à ce point sommaire, qu’il faut plutôt décrire cette œuvre comme un essai extrêmement superficiel pour approcher à un effet qui ressemble à du Rembrandt. On peut remarquer, de plus, que ni le fond, plat, d’un gris opaque, ni l’utilisation d’un gris noir pâle, posé en couche mince et entièrement privé de relief, ne sont imaginables chez Rembrandt ou chez ses élèves. Tout indique un travail qui tâche d’imiter la marque du style rembranesque, sans parvenir le moins du monde à comprendre ce qui fait la manière spécifique de l’artiste.

Cette conclusion peut être étayée par deux arguments. En premier lieu, la vieille femme a été peinte par-dessus une autre peinture qui, pour autant qu’on puisse le voir par l’examen radiographique, est exécutée avec une technique si inhabituelle qu’on peut la qualifier d’impensable pour la peinture du XVIIe siècle hollandais. Cette première peinture, semble-t-il incomplète, n’était pas encore entièrement sèche quand la composition actuelle fut exécutée au-dessus ; ce qui peut expliquer l’aspect des craquelures, très semblables à des fissures.

En second lieu, le portrait ne ressemble pas, quoi que les historiens de l’art aient pu quelquefois soutenir, à l’estampe de 1628 représentant une vieille femme (n° 328), mais plutôt à une autre estampe (B. 353) […] regardée comme une imitation procédant de la combinaison de deux autres gravures de Rembrandt (B. 352 et B 354) (..et qui fut attribuée à tel ou tel élève par divers auteurs). Cette estampe est avec évidence le prototype de cette peinture, qui avec une ou deux variations […] lui ressemble si étroitement que les parties grattées apparemment arbitraires sur la joue à gauche et ailleurs deviennent compréhensibles si on pense qu’elles sont inspirées par la gravure. La date de [ce tableau] ne peut pour le moment être déterminée avec certitude. La gravure B 353 procure un terminus post quem, peu après 1650.Un examen plus poussé concernant le type de bois utilisé pour le panneau, accompagné s’il est possible de mesures dendrochronologistes, pourra peut-être conduire à des informations plus précises.»

Cité dans Nadeije Laneyrie-Dagen, Lire la peinture de Rembrandt, Larousse, 2006, pp.167-168.

 

Lire : critiqueschamalaneyriedagen

La Mère de Rembrandt, 35×29 cm, Essen coll. particulière

A comparer avec les gravures de la BNF :

http://expositions.bnf.fr/rembrandt/grand/010.htm

L’Homme au casque d’or, 1650, huile sur toile, 67,5 x 50,7 cm, Staatliche Museen, Berlin

http://www.wga.hu/frames-e.html?/html/r/rembran/painting/portrai3/goldenhe.html

 

C’est un des plus beaux tableaux attribués à Rembrandt loué pendant plus d’un siècle, attribué de manière ferme par Gerson. Sa désattribution est contestée.

 

 

Sur les deux versions de l’Autoportrait au gorgerin de 1629 (La Haye Mauritsuis et Nuremberg) lire le petit article  et voir le diaporama en bas de page (également critique de Simon Schama plus loin).

Critique par Simon Schama, Les yeux de Rembrandt, Seuil 2003 (pp.791-792). (lire une critique du Times en anglais de ce livre :

http://query.nytimes.com/gst/fullpage.html?res=9F02EFDB163EF931A25751C1A96F958260&sec=&spon=&pagewanted=all

Sont-ce bien des Rembrandt ?

 » L’ouvrage « Les Yeux de Rembrandt » traite du long voyage qui a conduit le peintre à l’affirmation de sa singularité. Le livre tient pour acquis que seul Rembrandt pouvait mener à bien des œuvres de la complexité et de la virtuosité du Portrait de Jan Six ou de Jacob bénissant les enfants de Joseph tableaux qui selon moi manifestent hautement que Rembrandt avait des capacités d’invention et d’exécution d’un tout autre ordre que ses contemporains ou ses élèves. Or il n’y a pas si longtemps, on comptait des centaines de tableaux dans la manière de Rembrandt qu’on attribuait sans discussion au maître lui-même, et qu’aujourd’hui, à la lumière des critères bien plus exigeants choisis par le Rembrandt Research Project, on a exclu du Corpus du peintre. » Le recours à ces critères rigoureux trouve sa justification dans le fait qu’il est difficile de regarder cette masse de tableaux jadis systématiquement attribués à Rembrandt en vertu de leur adoption superficielle d’un style pictural large et non châtié combiné avec un clair-obscur très poussé, sans trouver surprenant que l’on ait pu un jour les prendre sérieusement pour des œuvres de sa main. J’ai évoqué cette question dans les pages du New Yorker et du Times Literary Supplément et j’ai donc délibérément décidé de ne pas encombrer mon livre de considérations sur ce problème complexe de l’authenticité » dit Simon Schama.

Note du professeur : Je n’ai pas trouvé ces articles mais on peut lire son entretien au sujet d’une exposition au Metropoiltan Museum of Art en 1996 autour de la question : « Qu’est-ce qu’un vrai ou un faux Rembrandt » ? http://www.pbs.org/newshour/bb/entertainment/december96/remb_12-16.html

Le journaliste se place au niveau économique et « moral » : a-t-on été trompés sur ces centaines d’oeuvres désattribuées ? (le « Met » est passé de 42 Rembrandt à 18 !!! est-ce normal ?) En lisant quelques réponses de S.Schama on voit qu’il insiste sur la « qualité » picturale des détails des premières œuvres pour évaluer l’authenticité. Mais cette méthode ne peut pas s’appliquer aux œuvres plus tardives (voir Autoportrait aux deux cercles de la Kenwood collection of London dans lequel la main a disparu).

L’une des raisons qui m’invitent à m’en abstenir, et non la moindre, est que, quelle que soit l’autorité dont je puisse me prévaloir pour écrire un ouvrage sur la vie et l’œuvre de Rembrandt, elle n’est certes pas celle d’un expert, mais d’un simple observateur et amateur qui a consacré une grande attention à ce peintre. Néanmoins je ne serais pas de bonne foi si, après une décennie de réflexions, d’articles et de conférences sur Rembrandt, je ne reconnaissais pas que j’ai quelques vues sur la question, d’autant plus que la notion de la main de l’auteur garde la plus haute importance dans ma façon de voir. Quelles œuvres je considère donc comme authentiques, on le déduira du choix des tableaux que j’ai discutés et reproduits dans mon livre. Sur Le Cavalier polonais, je n’ai jamais éprouvé le moindre doute, et je me suis exprimé en public à ce propos à l’époque où certains membres du Rembrandt Research Project avaient rejeté le tableau. En dépit des réserves qu’appelle peut-être la nature catégorique des jugements formulés dans les trois premiers volumes du Corpus of Rembrandt Paintings, j’ai, comme tous mes col- lègues travaillant dans ce domaine, une dette de gratitude à l’égard des membres du Rembrandt Project, lesquels ont accompli une tâche herculéenne, surtout en ce qui concerne l’analyse technique et matérielle des tableaux de Rembrandt.

Et j’attends avec un grand intérêt les prochains volumes où les éditeurs nous promettent des analyses d’un style nouveau où la part de l’interprétation sera plus explicite. Il m’arrive toutefois de rester perplexe devant certains jugements précipités et l’accueil déférent que leur réservent aussitôt les conservateurs de musées. Par exemple, pour citer un cas récent, l’Autoportrait de l’artiste au gorgerin du Mauristhuis, tableau d’une indiscutable beauté datant de 1629, a été présenté récemment comme une copie d’un original à Nuremberg (voir diaporama en bas de page et ici). L’argumentation repose sur le fait que le dessin sous-jacent découvert sur le tableau de La Haye contredit la pratique suivie habituellement par Rembrandt. Ce qui est vrai. Mais cette contradiction implique-t-elle que l’attribution est inadmissible ? A supposer que le tableau de La Haye soit de la main d’un élève, quel serait donc le prodige censé avoir eu assez de talent pour exécuter en 1629 un tableau aussi stupéfiant ? Gérard Dou, alors âgé de 14 ans, qui venait d’être mis en apprentissage auprès de Rembrandt ? A en juger par ses premières œuvres, la chose est inconcevable. Isaac Jouderville ? C’est aussi peu vraisemblable. Alors ce ne serait pas un élève, mais Lievens, dont les dons sont indiscutables ? Mais nous avons un Portrait de Rembrandt au gorgerin par Lievens 1630 huile sur bois, 57 x 44.7 cm. Amsterdam, Rijksmuseum :


qui ne présente aucun rapport, même lointain, avec le tableau du Mauristhuis. Il ne nous reste donc plus que deux options : ou bien l’auteur serait un élève inconnu dont l’étonnante prouesse technique n’a pourtant pas pu le sauver d’un oubli total, ou bien les deux tableaux seraient de la main de Rembrandt, en dépit du dessin sous-jacent.

Car il est arrivé à Rembrandt d’exécuter deux versions quasi identiques du même tableau, par exemple les tronies de son propre visage à Munich et à Amsterdam . On a aussi soutenu que le même artiste ne pouvait pas produire une version rugueuse et une version raffinée de la même tête. Mais c’est précisément à combiner ces deux manières que Rembrandt s’adonne dans sa jeunesse. Et il continuera de le faire tout au long de son existence ». (extraits de l’article de Simon Schama sur la question des attributions).

Le Cavalier polonais 1655, huile sur toile, 114,9 x 135 cm, Frick Collection, New York

 

Le diaporama ;

https://docs.google.com/present/view?id=dfpw3jc2_3521q5swvpd2

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