Marie-Céline Ohresser Les « pompiers »

Marie-Céline Ohresser Les « pompiers »

Intro :

Depuis la Renaissance, les peintres français se sont beaucoup tournés vers l’art antique, que ce soit par l’imitation ou la réinvention. A tel point que l’on divise en général les mouvements picturaux en deux groupes : ceux qui ont tendance à observer la nature et à l’utiliser pour leurs rendus, et ceux qui privilégient l’héritage antique grec et romain, parce qu’on le voit comme un modèle d’expression.

Cela a mené à des affrontements entre tenant des deux camps, à partir de la Querelle entre Anciens et Modernes. Mais c’est au XIXe siècle que cet affrontement est devenu particulièrement vif, d’abord entre académistes et réalistes puis entre pompiers et impressionnistes. Par après, on a attribué une valeur à ces deux camps : il y aurait d’un côté les Anciens (pompiers notamment), qui imitent avec un art sclérosé, et de l’autre les Modernes (particulièrement les impressionnistes), qui créent grâce à un art novateur et sincère. Cela a contribué à forger la réputation des peintres pompiers : des artistes vulgaires, qui ne font qu’imiter, et dont au fond on a fini par se demander s’ils étaient vraiment des artistes.

Cette conception a longtemps prévalu, mais aujourd’hui on s’en dégage un peu. Certes, les pompiers ont repris les thèmes et les techniques des Anciens et dans l’art classique, mais ils n’ont pas été des imitateurs serviles. Leur art présente même une diversité étonnante : dans l’art pompier, tout a été traité. Pas un sujet qui ait échappé aux pinceaux des pompiers. Le sujet est donc vaste et très riche. Nous ne verrons ici que la partie qui concerne le modèle antique, mais il existe aussi, dans ce courant où la peinture d’histoire est très importante, des portraits, des paysages, des natures mortes, des scènes de genre, et même des sortes de « sous-groupes » avec les peintures militaires et de décoration. Et l’art pompier ne se limite pas qu’à la peinture, puisque Jean-Léon Gérôme, un de ses plus célèbres représentants actuellement remis au goût du jour (voir exposition à Orsay et critique de l’exposition sur le site de la Tribune de l’Art), a également crée une importante collection de sculpture.

Le diaporama de l’exposé :

 

Quelle vision de l’Antiquité présente l’art pompier ?

I/L’art pompier, une notion à la fois floue et vaste

A. Tentative de définition du terme « pompier »

Le terme « pompier » est assez flou : prenez dix personnes, elles n’en donneront pas toutes la même définition. La raison en est que le terme est très complexe : il regroupe toute une série de paramètres et, comme le dit Jacques Thuilier, il s’est opéré à la fin de son existence un glissement, qui a fait du terme non plus une conception de l’art (comme c’est le cas par exemple avec le terme « impressionnisme ») mais une période de l’histoire de l’art. Cela ne facilite pas la définition… Quoi qu’il en soit, le terme de « pompier » est toujours péjoratif. Cela commence à changer doucement, mais il reste très lié à une image de peinture démodée, grandiloquente, kitsch, moralisatrice et étatique. Il y a du vrai là-dedans, mais c’est une vision beaucoup trop réductrice, forgée a posteriori par le goût des époques qui l’ont suivi. La première chose que l’on peut dire, c’est que l’art pompier se situe dans la deuxième moitié du XIXe siècle, avec pour extrême limite 1914.

L’art pompier, c’est avant tout un goût très marqué de l’anecdote. Les sujets représentés en peinture reprennent la plupart du temps des histoires ou des anecdotes. Presque tous les tableaux sont traités en scène de genre, comme des instantanés. Cela piège le spectateur en lui donnant l’impression d’être un voyeur involontaire. Ex. : les Romains de la décadence.

Thomas Couture les Romains de la décadence 1847 huile toile 775 × 466 cm Musée d’Orsay.

On arrive vraisemblablement au beau milieu d’une orgie, donc quelque chose de très anecdotique, puisqu’elle n’est le lieu d’aucun événement historique ou mythologique. Les personnages sont tout à leurs agapes et seuls trois d’entre eux regardent le spectateurs, comme si c’était quelqu’un qui vient d’entrer dans la pièce. Ce goût de l’anecdote induit un goût du détail, qui est souvent très poussé : dans l’Intérieur grec (ou le « Gynécée »)de Gérôme, les carreaux au sol présentent chacun un motif différent.

Jean-Léon Gérôme, Intérieur grec ou le Gynécée 1850 64,5x89cm New York coll particulière.

De plus, cet intérêt pour le détail, l’anecdotique, entraîne une recherche du sensationnel, c’est-à-dire les petites histoires de l’Histoire.

L’art pompier a en effet un penchant assez marqué pour le spectaculaire, le sensationnel. Il présente donc des œuvres où l’érotisme ou le sang tiennent une place importante : dans La rentrée des félins de Gérôme, par exemple, les mares de sang qui sont répandues sur le sol de l’arène proviennent du massacre par les fauves de chrétiens, dont on voit les corps déchiquetés à terre (mention spéciale pour le cadavre d’une femme éventrée… Âmes sensibles s’abstenir !).

Pour représenter au mieux l’érotisme ou les massacres, les peintres pompiers utilisent ce qu’on leur a appris aux Beaux-Arts : le dessin, l’étude du nu et de l’anatomie humaine leur ont donné une bonne connaissance du corps humain, que l’on retrouve par exemple dans Pygmaglion et Galatée de Gérôme, où l’on voit la statue Galatée prendre vie et couleur humaines. Galatée se penche vers Pygmaglion et tous les muscles de son dos sont rendus dans cet effort : le dos d’une véritable femme qui se pencherait ne ressemblerait pas à autre chose.

Et justement, le réalisme est une autre facette de l’art pompier. Suivant les préceptes de l’école des Beaux-Arts, il tend vers le plus de réalisme possible, comme tous les autres courants picturaux avant lui, qui ont cherché à retranscrire la nature dans leurs œuvres. En cela, les peintres pompiers ont beaucoup utilisé la photo, qui commençait à apparaître. L’hyperréalisme qui caractérise l’art pompier en fait un art de trompe-l’œil ; ainsi, les artistes donnent souvent l’impression de l’espace grâce à la composition de leur tableau. Par exemple, La dernière prière des martyrs chrétiens présente une arène de cirque antique dont on mesure la profondeur par l’alignements de croix où brûlent des suppliciés. Ce réalisme poussé fait de l’art pompier un art ambigu, qui présente tout à la fois la grandeur et la misère de l’homme. En effet, comment sinon trouver un autre point commun entre Diogène de Gérôme et La Vierge avec des anges, de Bouguereau ?

Les peintres pompiers ont aussi beaucoup utilisé les contrastes, que ce soit dans la compositions, la lumière et les tons de leurs œuvres ou dans les sujets. En effet, l’art pompier a un côté manichéen, et il joue sur la morale en opposant ombre et lumière. Le meilleur exemple en est la Résurrection de Lazare, par Bonnat : le tableau montre Lazar sortant des griffes de la mort être entre ombre (son tombeau et le mal) et lumière (sa résurrection et le bien, donc le Christ). Ces contrastes sont aussi possibles grâce à l’éclectisme dont fait preuve la peinture des pompiers : elle a repris le dessin harmonieux du néo-classicisme, la couleur et le baroque du romantisme, l’aspect charnel du réalisme et l’hyperréalisme de la photo naissante.

Du point de vue des idées, l’art pompier est souvent vu comme patriote et moralisateur, à la solde du pouvoir. S’il est vrai qu’il a été très utilisé par les différents régimes en place en France et qu’il a pu faire preuve de patriotisme, l’art pompier n’en a pas moins été en contact très étroit avec les idées de son temps. Il a tiré de la littérature, de l’histoire, de la politique, de la religion même de la matière pour ses œuvres. Cela se voit mieux avec des tableaux traitant de la misère paysanne ou ouvrière, mais on en retrouve aussi trace dans les tableaux traitant de l’antiquité : la coiffure de la suivante dans La mort de Messaline de Biennoury le montre. Les artistes se sont tenus au fait des dernière découvertes en matière d’histoire antique et ils ont utilisés ces éléments pour leurs œuvres.

L’art pompier est donc un art de l’extrême, par sa recherche de l’hyperréalisme, par son goût pour les détails, qui se multiplient pour concurrencer cette réalité. Extrême aussi par la taille de ses tableaux : des toiles de 2 mètres sur 3 ne sont pas rares. Et la mise en scène théâtral dont il fait l’objet renforce encore son côté extrême. Ex. : La mort de Moïse, Cabanel. Tout cela peut nous paraître kitsch et pompeux aujourd’hui mais cela correspondait au style et au goût d’une époque.

D’une façon un peu plus matérielle, l’art pompier provient directement de l’académisme. Mais il s’en différencie : académisme n’est pas pompiérisme, d’abord parce que ce second terme désigne tant un mouvement qu’une période, ensuite parce que l’art pompier pourrait être qualifié d’académisme poussé à l’extrême. Il en reprend les enseignements mais il les utilise de la façon la plus poussée qui soit, cherchant à aller toujours plus loin. Cependant, des liens sont conservés entre académisme et pompiérisme, tout simplement parce que ce dernier repose sur le double système de l’école des Beaux-Arts et des Salons. Les Salons ont été au cœur de l’art pompier parce qu’ils provoquaient une émulation entre les jeunes artistes, et de là vient la tendance certain du pompiérisme à l’anecdote et au sensationnel : quand on sait que sous la IIIe République, la moyenne des œuvres présentées a été de 3 000, il fallait bien trouver quelque chose pour se démarquer des autres…

B. La technique des pompiers

Les pompiers peignaient dans l’idée du trompe-l’œil. S’ils utilisaient la photographie récemment apparue, ils ne le recopiaient pas : ils cherchaient la profondeur, pas la platitude. En général, leurs œuvres se divisent en deux : d’un côté le ciel infini (¼ du tableau), de l’autre, la terre avec les personnages et les architectures (¾ du tableau). Le ciel est d’un bleu assez cru, la terre utilise surtout des teintes marron-roux et grises, càd les couleurs les plus présentes dans la nature. Le bleu du ciel suffit pour colorer l’ensemble par sa complémentarité avec le marron. Ces deux grands ensembles de teintes et leur complémentarité lient les masses entre elles et donnent une cohésion au tableau. Les peintres commencent par réaliser les seconds plans, qu’un équilibre de couleurs (les couleurs claires et sombres se compensent) rend neutres. (ici, The Bather : bleu sombre qui se rapproche du brun). Puis ils font le premier plan, mis en avant par des couleurs plus vives. En général, on ajoute également une masse brune sur le devant, pour servir de repoussoir vers le sujet principal, plus clair (ex. : Phèdre, Cabanel)

Les épidermes des personnages sont lisses, parce qu’on y voyait la preuve d’une main sûr et bien formée. Il en a résulté qu’on a attribué aux pompiérisme le qualificatif de « léché », alors que les pompiers n’ont jamais cherché à effacer totalement leurs coups de pinceaux. Le rendu des chairs est obtenu par des touches « fondues et griffées » (dixit le QSJ ? L’art pompier), et pas par un usage du blaireau, cet instrument qui permet d’effacer les coups de pinceau. Il est cependant vrai que les couches se superposent, ce qui donne du corps, du poids aux différents éléments du tableau.

Vers 1860, il y a eu quelques changements dans ces techniques : puisque le pompiérisme s’est tourné vers plus de mélodrame, le style et donc la technique ont changé. Désormais, on privilégie les rendus et les effets théâtraux. Cela entraîne des nouveautés en ce qui concerne les arrières-plans. A partir de là, les fonds à la céruse sont chargés d’une matière « balayée et griffée » (dixit le QSJ ? L’art pompier), leur donnant du relief            . Les tableaux y acquièrent un aspect tourmenté (ex. : Andromaque de Rochegrosse). En revanche, les règles de composition sont conservées.

La grande caractéristique de l’art pompier, c’est que les éléments peints sont aussi finis qu’accumulés. (C’est d’ailleurs l’exact inverse des œuvres modernes qui viendront par après, et où tout n’est que suggestions). Le rendu des éléments rend le réel crédible, tout en mettant en valeur le système du tableau, qui s’appuie sur la force des éléments du tableau. L’univers crée par le tableau devient autonome.

C. Les limites du style pompier, qui ont contribué à sa fin

Le style pompier a finit par atteindre ses limites, tant sur le plan artistique que sur le plan du goût de l’époque. Ses méthodes et ses idées artistiques ont un jour été dépassés par une nouvelle génération d’artistes, qui, comme toujours, a réagit à ses aînés pour se forger son style propre.

La première des limites qu’a atteint l’art pompier fut celle de ses méthodes : à trop pousser les règles de l’académisme, à force d’être dans l’extrême dans tous les domaines, le pompiérisme s’est essoufflé, sur le plan artistique. Après un demi-siècle de création foisonnante, tous les sujets, tous les styles ont été traités par les artistes. L’art pompier a donc commencé à tourner en rond, il n’intéressait plus le public. De plus, à force de n’appliquer scrupuleusement que les règles de l’académisme, la technique des peintres pompiers s’était quelque peu sclérosée.

Car les pompiers portaient toute leur attention au sujet, et assez peu à la technique, qui était vue comme une sorte de média de transmission que l’on devait exécuter correctement mais sans y mettre trop de recherche. La nouvelle génération de peintres qui suivit celle des pompiers, la génération des impressionnistes ou plus généralement celle des tenants des avant-garde, s’est donc construite en opposition avec ce modèle, en se concentrant principalement sur les techniques de peinture. De plus, les peintres pompiers ont en quelque sorte atteint le but recherché par les artistes  depuis l’Antiquité : ils sont arrivés à donner l’illusion du réel, à le recréer. La nouvelle génération a donc exploré une nouvelle voie : celle du sentiment, du ressentit. Il ne s’est plus tant agit de représenter la réalité objective que la réalité subjective de l’artiste.

Un autre phénomène a montré les limites de l’art pompier : la création d’un marché de l’art. En effet, l’art pompier était totalement attaché au système des Beaux-Arts et du Salon. Ce système a longtemps été la seule source de formation et de présentation des œuvres. Si l’on n’était pas exposé au Salon, on ne recevait pas de commande, donc on n’existait pas. Quand on sait qu’en 1863, 5 000 œuvres ont été proposées et seulement 2 000 ont été acceptées, on peut mesurer l’importance qu’avait un refus dans la carrière d’un artiste. C’est d’ailleurs à cause de cela que d’autres salons parallèles se sont crées : en 1863, Napoléon III a autorisé la tenue d’un Salon des refusés pour contenter la masse des artistes mécontents que leurs œuvres n’aient pas été acceptées. D’autres Salons parallèles sont apparus par après, et cela a miné l’importance du Salon. De plus, on a vu en même temps émerger les marchands d’art. Là où, avant, la création s’effectuait sur commande ou afin d’être exposée au Salon, désormais les artistes peuvent confier leurs œuvres à ces marchands, qui les revendent. L’art pompier n’a pas su s’adapter à l’apparition de cet intermédiaire. Comment transporter et stocker des toiles de 2 mètres sur 3, quand auparavant elles passaient de l’atelier du peintre à leur lieu d’exposition ? Et à quoi bon mettre du temps et de l’argent dans des œuvres dont on ne sait pas si elles se vendront ? Lorsque les artistes pompiers travaillaient sur commande, ils savaient combien et quand ils seraient payés, ce qui n’est plus le cas dans ce système.

L’art pompier n’a donc pas résisté aux temps qui changeaient et il a laissé la place à l’impressionnisme et aux avant-gardes, après avoir quelque temps bataillé contre eux.

II/Les peintres pompiers, artistes maudits par les générations suivantes.

A. Un concept à l’histoire mouvementée

On n’est pas sûr de l’origine du mot « pompier ». On ne sait pas qui l’a crée ni quand il a été utilisé pour la première fois. Jacques Thuilier suppose qu’il s’agissait d’un terme d’atelier qui a fini par se démocratiser. On ne sait pas non plus pourquoi « pompier ». Plusieurs explications sont avancées, trois sont considérées comme plausibles. La plus couramment reçue est qu’elle vient du fait que les casques que peignaient les néo-grecs sur la tête de leurs Romains et leurs Grecs ressemblaient à ceux des pompiers de l’époque. Mais il est aussi possible que le terme vienne d’une contraction du terme « pompéien », du nom d’un courant que Jean-Léon Gérôme a formé dans les années 1840 avec d’autres néo-grecs. Enfin, le terme est proche du terme « pompeux », et l’on a souvent dit de l’art pompier qu’il est très grandiloquent. Il y a peut-être un peu des trois dans l’origine du terme : comme le terme a beaucoup voyagé dans les ateliers, il est possible qu’il doive un peu au trois origines possibles.

Mais en tous cas, une chose est sûr : c’est un terme négatif, voire injurieux. Dès le départ, parler d’art pompier a été péjoratif, et c’est en partie toujours le cas aujourd’hui. Les contemporains de l’art pompier ont commencé à parler de « pompier » à partir du moment où ils l’ont vu comme un art à part, c’est-à-dire à partir du moment où d’autres arts ont commencé à émerger. On peut situer cette rupture à 1863. Cette année est en effet celle où, devant l’afflux de toiles au Salon et les protestations des nombreux artistes qui n’ont pas été retenus, Napoléon III a permis qu’on ouvre un Salon des Refusés. A partir de là, on a pu découvrir les prémices des avant-gardes et notamment des impressionnistes, parce qu’ils étaient exposés pour la première fois. La haine à l’encontre de l’art pompier a augmenté progressivement ensuite jusqu’aux années 1900, où l’art pompier a totalement cessé d’exister. L’impressionnisme et avec lui les avant-gardes se sont imposés.

Les détracteurs des pompiers, et notamment Zola, qui a été très virulent, voyaient leur art comme une hypocrisie de la bourgeoisie du IInd Empire, un art qui cachait de l’érotisme, du sanglant et du spectaculaire derrière une façade moralisatrice et un prétexte antique. Cela a fait qu’on a longtemps vu l’art pompier comme quelque chose qui n’avait aucune valeur parce qu’il était « populaire », qu’il flattait les plus bas instincts des spectateurs sans présenter de recherche au niveau du style ou des idées des œuvres. Les peintres pompiers ont également été accusés d’être à la botte du pouvoir, de faire une peinture officielle, étatique. Selon Jacques Thuilier, cette conception de l’art pompier s’est perpétuée à cause d’une lecture marxisante de l’opposition qu’il y a eu entre art pompier et avant-gardes : on a vu le premier comme une expression du capitalisme et de la bourgeoisie (parce qu’il renvoie aux institutions officielle) et le second comme un représentant du prolétariat (parce qu’il fait la révolution face aux institutions officielles).

A propos de cette image noire du pompiérisme, Thuilier a parlé de propagande qui aurait terni l’image des pompiers. C’est peut-être un peu exagéré, quand même. Il est vrai qu’il y a pu y avoir des jalousies de la part de ceux qui n’étaient pas exposés pour ceux qui bénéficiaient des commandes publiques et avaient leurs entrées au Salon, mais ce n’est pas ce qui a terni l’image de l’art pompier. Tout simplement, l’art pompier a été oublié parce que la

génération qui a suivit celle de l’impressionnisme (Picasso notamment) s’est beaucoup plus intéressé à des artistes avant-gardistes qu’au mouvement qui a précédé les avant-gardes. Comme celles-ci ont été foisonnantes, il n’y a pas eu besoin de chercher plus loin dans le temps pour trouver des modèles. Résultat : personne n’est allé faire de recherches sur les peintres pompiers et personne n’a contredit Zola. On s’est contenté de retenir les périodes de misères de Monet, sans parler de l’argent que sont art a pu lui faire gagner par après.

Et le résultat, dans les années 1980 et encore aujourd’hui, a été que les toiles des pompiers sont très difficiles à trouver. Une des plus fameuses toiles de Cormon, Caïn, a ainsi longtemps été portée disparue. On ne savait tout simplement pas où elle était ! Certains disaient qu’elle aurait été découpée… On l’a heureusement retrouvée en un seul morceau, mais dans un état qui a nécessité une lourde restauration. Mais nombre de toiles pompiers ont tout simplement été brûlées…

B. Un art qui bénéficie d’un regain d’intérêt

Ceux qui ont permis à l’art pompier d’effectuer un « retour », ce sont d’abord les surréalistes. En effet, Dès 1960, André Breton a fait l’éloge de Gustave Moreau, rangé sous le terme de « pompier », parce que Moreau alliait le primat du sujet à une technique traditionnelle. Avec quelques enjeux rhétoriques et une bonne présentation, on a fait de Moreau un « peintre d’avant-garde solitaire ». Dali lui aussi a pris part à la réhabilitation des avant-gardes. Ces initiatives surréalistes annonçaient et encourageaient un retour vers le sujet, qui a réhabilité le symbolisme, que l’on rattachait alors aux pompiers.

Par-dessus cela s’est greffé la remise en cause des avant-gardes. Parce qu’elle s’enchaînaient de plus en plus vite, cherchant plus la nouveauté que vraiment l’art, on a fini par se demander si on avait pas jeté le bébé avec l’eau du bain, l’art avec le réalisme et l’académisme. Les artistes plus jeunes ont refusé d’entrer dans cette course à l’innovation, et sont revenus à des modèles plus traditionnels : tableau avec châssis, sujet médité, esquisses de préparation,… Une des expressions de ce mouvement est l’hyperréalisme : il est « revenu » à l’art pompier à travers son réalisme, ce qui a entraîné une lecture moins sévère des peintres pompiers.

L’érudition a aussi joué, puisqu’elle a étudié les courants du XIXe siècle, et que ces études ont permis de mieux connaître et donc de réhabiliter certains artistes (d’abord les néo-classiques comme Ingres ou Millet puis leurs élèves, qui avaient été classés trop vite comme « pompiers ».

Résultat : la notion de « pompier » a commencé à être grignotée de toutes parts. Des artistes qui y étaient rattachés ont pris vie de leur côté. On s’est aperçu que c’était un dossier gigantesque et très vaste, très complexe : une condamnation générale ne suffisait plus, il fallait étudier chaque cas séparément. Et l’étude des sources à ce propos est très intéressante : entre la conférence de Jacques Thuilier Peut-on parler d’un art pompier ? et le Que sais-je ? sur l’art pompier, il y a une petite vingtaine d’années. Or un fossé sépare ces textes : le premier esquisse des idées nouvelles, le second les présente fouillées et détaillées. Thuilier parle du mot « pompier » comme un terme mal défini et « nouveau » dans la critique d’art et d’Histoire de l’art. Le Que sais-je le présente comme parfaitement défini et enraciné dans la critique.

III/Une typologie du modèle antique dans l’art pompier

A. Les scènes tirées de l’Histoire antique, de la Bible ou de la mythologie

Mort de Moïse, Cabanel

La Résurrection de Lazare, Bonnat

Le martyr de Saint-Denis, Bonnat

La naissance de Vénus, Cabanel

Amour et Psyché, Picot

Phryné devant l’Aéropage, Gérôme

Mort de Messaline, Biennoury

Pygmaglion et Galatée,  Gérôme

La mort de César, Gérôme

L’antiquité est reprise parce qu’elle est source de sujets, d’histoires, que l’on doit reconnaître facilement. Et parce qu’on les connaît, qu’on les reconnaît, ces histoires sont souvent l’occasion de montrer du sang ou des femmes nues, donc susceptible de plaire. On recherche le sensationnel, ici. Et cela crée une nouvelle norme : on peut mettre de la violence, jusque là peu utilisée, voire interdite (rappel des normes du théâtre classique : pas de meurtre sur scène !) Là, on n’hésite plus à faire presque du « gore » avec notamment le tableau de Bonnat, le martyr de Saint Denis, où les deux compagnons de l’Aéropagite ont été décapités et dont on voit les artères du coup, tranchées. C’est un emprunt au drame romantique. L’érotisme se fait également une place dans l’art pompier : toujours du sensationnel… Par exemple : la naissance de Vénus de Cabanel, où une jeune femme nue et parée des critères de beauté de l’époque est allongée, alanguie.

Parce qu’on veut faire du sensationnel, on utilise beaucoup le mouvement, un mouvement brutal : un assassinat, un enlacement, une dénudation, une résurrection,… Cela attirer l’œil du spectateur et le fait regarder de toutes parts, afin d’identifier les mouvements et donc l’histoire qu’ils racontent (ex. de la mort de Moïse de Cabanel : Dieu se détache du fond bleu, on le regarde. Son bras tendu fait aller vers Moïse, dont les bras tendus font regarder les anges : en trois regards, on a vu que Dieu désigne Moïse pour qu’il le rejoigne, que celui-ci exulte sa joie et que les anges le préparent pour le porter jusqu’aux cieux. Et, pour renforcer cet effet de réel, la peinture des pompiers, qui est un art du trompe-l’œil, se sert d’un multitude de détail : la touffe d’herbe aux pieds du Christ dans La ressurection de Lazare par ex.)

Il y a aussi théâtralisation des compositions : tout est organisé de façon très minutieuse, les gestes et les expressions sont théâtrales. Ex. : la mort de César (que des meurtres, je vous dis !) est un exemple brillant de composition soigneuse : Gérôme y fait « parler d’espace » comme dans un « plateau de théâtre » (dixit Stéphane Guégan). Le vide est en effet la première composante de l’œuvre. Il sépare et réunit les trois groupes principaux de personnages : César, mort, les conjurés et le sénateur resté seul. L’action est finie mais il reste une tension, qui est due à cet trajet oculaire fait par le spectateur pour comprendre ce qui s’est passé. Et lorsqu’il a remis les différentes pièces du puzzle en place, il reste une tension parce qu’on voit le meurtre qui s’est produit, on comprend l’hésitation du sénateur qui reste et ne sait pas s’il doit se joindre aux conjurés ou lutter contre eux (comme les sénateurs qui ont fui). Et nous nous imaginons bien, à voir les conjurés brandir leur armes, que le sang n’a pas fini de couler… Pour ce qui est des gestes, nous pouvons prendre l’ex. du dénuement de Phryné dans Phryné devant l’aéropage ; le geste de son avocat est emprunt de théâtralité, tout comme la réaction de certains sages de la cité, notamment celui qui est debout. Quant aux expressions du visage, la mort de Messaline de Biennoury montre un panel de sentiments : colère, rage, terreur, détermination.

à histoires reconnaissables (mettre un ex. !)

à sensationnel : donc du sang et du sexe.

à mouvement brutal, vivant

à théâtralisation des compositions et des gestes, des expressions.

B. Les scènes de genre

Combat de coqs, Gérôme

Pollice verso, Gérôme

Les Romains de la décadence, Couture

La rentrée des félins, Gérôme

Cave canem, Gérôme

Dernière prière des martyrs chrétiens, Gérôme

The bather, Bouguereau

Phèdre, Cabanel (modèle semble être une des sœurs des Pereire !)

La violence est ici atténuée. Il en reste toujours quelques traces, mais c’est plus des scènes de vie que de mort (rapport au martyr de Saint Denis ou à mort de Messaline). Il y a aussi parfois un certain humour : Cave canem ou le combat de coqs. L’inscription et le sursaut du coq ont quelque chose de drôle, qui fait cependant plus sourire que rire pcq il y a toujours un contraste entre sordide et humour (les chaînes tout comme le titre « combat de coqs » rappellent que l’horreur et la mort ne sont pas loin). Même dans les tableaux présentant des scènes terribles, il y a qq notes de douceur, qui atténuent cette violence (la rentrée des félins par ex : les félins ressemblent à de gros chats, pas à des monstres sanguinaires. Ça permet de relativiser les mares de sang au sol…)

La tension dramatique est en revanche mise en avant, et la composition s’en ressent : elle est extrêmement rigoureuse, afin d’avoir un rendu théâtrale. Par ex. : la dernière prière des martyrs chrétiens, on se place dans l’arène, donc on est près des condamnés à mort, on s’identifie à eux. On entre vraiment dans le tableau grâce à l’angle de vue. L’espace est particulièrement bien rendu grâce aux croix des chrétiens qui doivent être brûlés comme incendiaires : elles dédoublent le pourtour de l’arène et, comme certaines sont déjà enflammées, elles se détachent de ce qui pourrait être une « toile de fond », à savoir le mur de l’arène, et donnent à cette arène une profondeur. De plus, afin de rendre la notion de temps, Gérôme a représentés les crucifiés à différents moments de leur supplice : certains brûlent déjà, d’autres commencent à brûler, le bourreau allume le bûcher d’un supplicié et trois attendent la mort. On a l’impression d’être face à une scène de théâtre, et ici l’homme en blanc semble déclamer un texte.

Les peintres tendent vers le réalisme : ils se sont documentés. (Phèdre : lampe du fond, casque au mur, décors muraux sont tirés de l’anticomanie et des études de l’Antiquité grecque des XVIIIe et XIXe siècles. Pollice Verso : les protections, armes et armures des gladiateurs, la coutume du pollice verso et surtout du jugement final, laissé à l’empereur, qui sont les éléments sur quoi repose tout le tableau). On utilise les découvertes les plus récentes, même si parfois il y a des confusions ou des raccourcis (Gérôme savait que sa rentrée des félins se déroulaient, dans l’Antiquité, au Cirque Maxime, mais il a  préféré la mettre au Colisée, qui présente un aspect dramatique plus intéressant (dixit Laurence des Cars, catalogue expo Gérôme.) Il a fait de même dans Dernière prière des martyrs chrétiens : vu le mont Palatin de l’arrière-plan, la scène devrait se passer au Cirque Maxime, or elle est au Colisée.) Et, parfois, un modèle antique resurgit, comme dans The bather, de Bouguereau, où l’on retrouve le Spinario, avec cependant qq modifications qui l’ont adapté à l’époque du peintre : c’est une jeune femme et elle revient du bain, ce qui explique qu’elle soit nue. On construit une histoire et l’on montre une femme nue, qui normalement devrait être habillée (dans l’antiquité grecque, qu’un jeune garçon soit nu n’était pas quelque chose de rare). On invente peut-être même une histoire pour justifier le modèle nu : c’est propre aux peintres académiques.

à violence atténuée par rapport aux scènes d’Histoire, avec même parfois de l’humour, malgré une tension certaine qui reste.

à tension dramatique servie par la composition

à utilisation des découvertes récentes et de l’anticomanie pour aboutir à du réalisme.

METTRE A LA FIN DU DIAPO LES ROMAINS DE LA DECADENCE QUI RESUMENT LE TOUT.

C. Les représentations de personnages bibliques ou mythologiques et les allégories.

La fille de Jephta, Cabanel

La Vierge avec des anges, Bouguereau

Le chant des anges, Bouguereau

La Madone aux roses, Bouguereau

Diogène, Gérôme

Qui que tu sois, voici ton maître, Gérôme

La République, Gérôme

Cette catégorie d’œuvres laisse de côté le spectaculaire présent dans les autres peintures des pompiers. On revient vers plus d’harmonie et de simplicité, plus de calme aussi, comme dans les œuvres antiques et académiques. Cela est dû aux sujets : on ne raconte pas des histoires, ici, mais on montre des personnages, donc la violence présente ailleurs n’est pas requise. Par exemple, dans la fille de Jephta, on voit Jephta alors qu’elle vient d’aller au devant de son père, et par là de se condamner. Mais la tension dramatique n’est pas particulièrement présente : seules les femmes qui se tiennent à l’arrière-plan pourrait indiquer le tragique de la situation. Mais mis à part celle du 2e plan qui se tient la tête entre les mains, elles ne sont pas particulièrement tristes. De plus, un certains nombre de sujets sont des Vierges à l’Enfant, donc des œuvres où la violence n’a pas sa place. Les règles académiques de la composition sont donc plus conservées dans ces œuvres : on recherche avant tout l’harmonie et la simplicité, donc les composition sont souvent symétriques ou se font autour d’une ligne centrale (Vierge avec des anges, Madonne aux roses, La République).

On retrouve en revanche un des grands traits du pompiérisme : le souci du réel. Les œuvres qui se situent dans l’antiquité utilisent les dernières découvertes réalisées sur l’Antiquité. Le tonneau de Diogène est transformé en une espèce de jarre, dont la forme a probablement été retrouvée dans les fouilles. De même, les boutiques sous des arcades, au fond, proviennent certainement des découvertes archéologiques de Pompéi ou Herculanum.

Ces œuvres présentent aussi parfois un côté « trop », excessif : ça paraît surjoué, comme si les pompiers ne pouvaient pas s’empêcher d’exercer une certains exagération, qu’ils emploient déjà dans leurs autres œuvres. On le voit notamment dans Qui que tu sois de Gérôme : la scène du dieu Eros qui fait se rouler à terre les fauves et semble les tenir en respect par son pouvoir de faire tomber amoureux est aux limites du kitsch, que lequel l’art pompier a beaucoup approché, sans toutefois jamais vraiment tomber dedans. Ce côté kitsch se retrouve sous une autre forme dans les tableaux religieux : ils se rapprochent du style saint-sulpicien. L’art saint-sulpicien doit son nom à l’Eglise du Saint-Sulpice, à Paris, autour de laquelle on vendait beaucoup de « bondieuseries », des images, des statues, etc. où le Christ, la Vierge, les saints présentent des visages très expressifs et très blancs, où le sang est très rouge,… Ces œuvres servaient à exalter la fois en versant dans l’excessif. Et lorsqu’on voit la Vierge avec des anges, ces anges rappellent ce style saint-sulpicien, avec leurs poses maniérées, leurs expressions exagérées.

D’ailleurs, on retrouve ici les diverses influences des pompiers : outre le style saint-sulpicien, l’antiquité est présente avec des dessins purs et net (la Madone aux roses ressemble à une icône byzantine et les colonnes, à l’arrière-plan, ainsi que la porte dorée, fond penser à des icônes). L’hyperréalisme se voit grâce à la magnifique représentation du tigre, dans Qui que tu sois. Quant au romantisme, il se retrouve dans Le chant des anges, où la nature de l’arrière-plan est toute romantique. Et les anges font même penser à certaines œuvres de William Blake, le préraphaélite anglais.

pas de spectaculaire : œuvres plus sereines, plus calmes.

plus d’harmonie aussi dans la composition, qui suit des règles antiques.

souci de réalisme

côté un peu excessif, « trop »

diversité des influences et source d’inspiration de l’art pompier.

IV/Les grands artistes de l’art pompier

A. Cabanel

B. Meissonnier

C. Bouguereau

D. Gérôme

Petite bio, présenter leurs plus grandes œuvres (notamment celles qui auraient pu leur faire gagner le Grand prix de Rome), montrer leurs spécificitées.

Finalement, les pompiers reprennent le modèle antique pour mettre en pratique leurs idées sur l’art et leurs techniques en art : spectaculaire, respect des règles de l’aca (donc bcp scène histoire, des corps parfaitement réalisés, réalisme, références classiques), exubérance dans le mouvement qui est très représenté, expressivité.

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