Les Provinces-Unies au temps de Rembrandt

Les Provinces-Unies au temps de Rembrandt

Bref historique.

Les Pays-Bas (Belgique et Hollande) formaient les Flandres, propriété du duc de Bourgogne avant de passer sous domination des Habsbourg d’Autriche à la fin du XVe siècle, puis d’Espagne au XVie siècle. Entre l’embouchure du Rhin (Rijn) et les digues du Zuyderzee (la mer intérieure), les Provinces-Unies sont une plaine qui descend sous le niveau de la mer. D’un pays à vocation agricole et manufacturière (draps de laine) au Moyen Age, les Pays-Bas deviennent au XVIIe siècle la plaque tournante du commerce entre l’Europe du Sud, les colonies (Compagnie hollandaise des Indes orientales) et  l’Europe du Nord (jusqu’à la Moscovie). Une flotte marchande puissante transportant des produits du monde entier (bois, fourrures, épices, miniatures persanes et bientôt le sucre), des structures financières solides, un système économique « libéral » permettent de mettre en valeur la position de carrefour du pays. De grands ports de transbordement sont aménagés : Amsterdam, Rotterdam, Middelbourg qui profitent des crises politico-religieuses pour gagnr « des parts de marché ».

Au XVIe siècle, l’Europe est agitée par les guerres de religion que provoque le conflit entre réformés et Etats ou principautés restés fidèles au catholicisme. Dans ce contexte, les Pays-Bas deviennent le pays d’un calvinisme par endroits majoritaire, ce qui rend la domination espagnole de plus en plus insupportable.

Les Provinces-Unies naissent  en 1579, quand, par le traité d’Utrecht, sept provinces du nord des Pays-Bas espagnols à majorité calviniste, menées par Guillaume d’Orange dit « le Taciturne » (1533-1584), se révoltent contre la domination espagnole et font sécession : Zélande, Hollande, Utrechet, Overijsel, Frise et Gueldre auxquelles s’ajoutera Groningue. Cet acte provoque une guerre très dure avec l’Espagne de Philippe II qui envoie une armée sous le commandement d’Alexandre Farnèse, duc de Parme. Ce dernier reconquiert le plus grand port de la région Anvers en 1585 mais ne réussit pas à reprendre les provinces du Nord dans lesquelles se réfugient des milliers de calvinistes. Ils contribueront au développement technique, économique et financier que connaîtront les Provinces-Unies au XVIIe siècle, appelé aussi « siècle d’or ». Une trêve est signée en 1609 avant que le Traité de Münster n’entérine l’indépendance de la République dans le contexte des négociations du Traité de Westphalie (1648).

L’évolution historique du territoire belge sur le site d’Alain Houot :

http://pagesperso-orange.fr/houot.alain/Hist/Z_Diacchronie/Belgique/belg_0.htm

Un article sur la civilisation des Pays-Bas au siècle d’Or par Christophe de Voogd (Maître de conf. IEP de Paris).

la_civilisation_du_siecle_dor_aux_pays-bas

Le système politique

Les sept provinces forment une sorte de fédération (mais chaque province garde une large part d’autonomie. Le pouvoir politique s’exerce à plusieurs niveaux : local avec les conseils municipaux, provincial avec les Etats réunissant des nobles et des représentants des villes et fédéral avec les Etats généraux. A chaque niveau les institutions combinent assemblées (2000 membres ou « régents » au total dans tout le pays) et pouvoir personnel confié à un haut fonctionnaire. Ce régime républicain (sorte d’oligarchie bourgeoise) est un cas exceptionnel en Europe où prédomine la monarchie absolue. La tolérance relative dont bénéficient ces minorités est sans équivalent en Europe au XVIIe siècle. Elle a largement contribué à la prospérité économique qu’ont connue les Provinces-Unies, pourtant très modestes sur le plan militaire

L’institution majeure est celle des Etats-Généraux composés de 40 personnalités (dont 19 de Hollande) représentant les provinces et se réunissant pratiquement tous les ans à La Haye pendant au moins 200 jours. Avant d’être appliquées, leurs décisions doivent préalablement être ratifiées par les Etats provinciaux. L’Union possède également à sa tête un chef de commandement militaire aux allures de prince, le « stathouder » ou stathouter », sorte de « gouverneur » du mot houdeur = teneur et de « stat/stad » = lieu (l’ensemble signifiant « lieutenant ») choisi principalement dans les familles d’Orange – Nassau, ce qui dénote d’une certaine ambiguïté quant à la nature « monarchique » ou républicaine du régime. En principe le titre est transmis par voie héréditaire sauf une exception. Quand le stathouder Guillaume II (marié Marie Stuart) meurt sans successeur, un « pensionnaire général » est nommé entre 1650 et 1672, Johan de Witt. Après quoi avec la naissance de Guillaume III la fonction revient à nouveau à la famille d’Orange. Ce dernier devient même roi d’Angleterre et d’Irlande appelé par le parti protestant hostile à Jacques II partisan d’une liberté religieuse.

La question religieuse

L’afflux de réfugiés fuyant la Contre-réforme accentue le caractère protestant provoquant une expansion démographique et économique spectaculaire. La qualité de « terre d’asile » des persécutés est un des traits fondamentaux de la jeune république.  Les immigrants joueront un rôle essentiel en renforçant la mainmise calviniste sans qu’il y ait cependant véritable persécution des autres confessions, en particulier les juifs chassés de la peninsule ibérique (environ un millier environ à Amsterdam) et les catholiques (surtout à Amsterdam) ainsi que des minorités protestantes (luthériens, mennonites)..
La société réformée est agitée par des controverses théologiques et autour de la question de la tolérance vis à vis de la minorité catholique. D’un côté le parti « libéral » des partisans du prédicateur Jacob Arminus (1560-1609) (« arminiens ») qui prônent la liberté religieuse, le refus de la prédestination et le libre-arbitre de l’homme. Ils tentent d’imposer leurs idées par un texte présenté aux Etats de Hollande et de Frise occidentale,  la « Remontrance » de 1610, d’où leur surnom « remontrants ». Ce sont essentiellement des marchands soucieux de la paix civile qui garantit la bonne marche des affaires.
De l’autre côté les intransigeants, calvinistes appelés aussi « gomaristes » du nom du prédicateur Franciscus Gomarus (1558-1617) ou « contre-remontrants » pour avoir répliqué au texte de leurs adversaires. Le stathouder Maurice (1584-1625) soutenait les contre-remontrants et s’est montré plutôt violent vis à vis des remontrants, alors que son successeur Fréderic-Henri (1627-1647), le commanditaire du Cycle de la Passion à Rembrandt s’est montré plus libéral. Sur le plan théologique, les arminiens considèrent que le salut et la grâce dépendent certes de la foi mais aussi des « œuvres », des bonnes actions. Les gomaristes en revanche pensent que seule la prédestination détermine le salut.
En 1618-19, un synode se réunit à Dordrecht pour départager les deux camps. Les gomaristes sont majoritaires. Mais les municipalités ont toute latitude d’appliquer de façon plus ou moins rigoriste leur politique religieuse. Leyde est tenue par les contre-remontrants, majoritaires tant au niveau du peuple qu’au niveau du patriciat, qui contrôlent l’Université.

Une brève histoire des Pays-Bas :

http://www.convivialiteenflandre.org/index.php?option=com_content&task=view&id=72&Itemid=76

Rembrandt et la Hollande : de Leyde à Amsterdam.

Leyde est la ville natale de Rembrandt où où  son père Harmen Gerritszoon Van Rijn (1568-1630) a sa maison et son moulin (cercle rouge). Il épouse en 1589 Cornelia Willemsdochter dite Neeltgen (1568-1640), fille de boulanger catholique. Jeune enfant, ses parents inscrivent Rembrandt à l’Ecole latine (cercle  bleu) entre 1613 et 1620. En 1620 il s’inscrit à l’Université (cercle jeune) qu’il quitte au bout de quelques mois.

Leyde est une cité située au cœur d’une riche région, de taille relativement modeste (moins de 50 000 hab.) mais très active. Alors que la ville était un centre agricole et drapier jusqu’en 1574, date du dur siège pendant lequel  la ville résista héroïquement, elle attire à partir de 1579 de nombreux réfugiés calvinistes. La population augmente, l’université (qui accueillera Descartes) est fondée mais cette société dominée par des calvinistes n’est pas propice à la carrière du jeune peintre.

Dans cette cité, peu d’amateurs de luxe qui pourraient constituer une clientèle riche pour un jeune artiste, la municipalité tenue par des gomaristes étant peu favorable à la peinture. On peut souligner également l’absence de grands maîtres, le dernier grand peintre local Lucas de Leyde, que Rembrandt admirait beaucoup, datait du XVIe siècle. L’activité de Rembrandt reste donc assez modeste à Leyde, jusqu’à son départ pour la cosmopolite et riche Amsterdam.

Amsterdam connaît son essor à partir du XIIIe siècle grâce à  son réseau de communications sur l’eau, un des plus denses d’Europe. Bâtie sur pilotis, la ville devient le plus grand port de la Zuiderzee au XVIe siècle avant de devenir le plus grand port d’Europe du Nord dans la deuxième moitié du XVIIe siècle quand les Hollandais obtiennent par le traité de 1648 la fermeture de l’Escaut, mettant fin à l’hégémonie du port d’Anvers.

bleu : Maison de Rembrandt, Sint Anthonisbreestrat

jaune: nouvel Hôtel de Ville de style palladien conçu par Jacob Van Campen érigé sur 13 659 pilotis. (l’ancien)

rouge : Maison des milices (Kloveniersdoelen) où fut accrochée la Ronde de nuit.

Simon Schama (Les yeux de Rembrandt) fait une « anatomie » d’Amsterdam, « ville des cinq sens », (p.355-367) toute en images, en bruits, en goûts et…en odeurs. Les navires (dont certains transportent les excréments vers les campagnes comme fumier pour les cultures maraîchères), l’odeur du bois de Norvège pour la construction navale, l’odeur des cadavres qui attendaient d’être enterrés les années de peste (1624, 1635), bref l’humidité, l’odeur de moule et de poisson et de restes que mangeaient les chats… (passage assez étrange)
Ailleurs, ce sont plutôt les parfums qui dominent : herbes (romarin, cerfeuil) qu’on attachait par petits sachets pour éviter la contagion. Les riches s’aspergeaient d’eau de rose, prêt des entrepôts de la Cie des Indes Orientales on sentait les épices : cannelle, girofle, noix de muscade.
Mais la moisissure, l’humidité étaient très difficiles à vaincre (lire passage savoureux p. 357). Pour respirer un air mieux parfumé, au printemps, il fallait s’éloigner de la ville, se poser là où le vent apportait des près les odeurs de tilleul, de foin, là où on pouvait voir les primevères au pied des arbres. En hiver, la fumée relevée par des épices voire des narcotiques envahissait l’atmosphère.
Quand aux bruits : celui du mécanisme des pendules dans les maisons, celui du clapotis des eaux contre les ponts, du craquement des mâts, « le trottinement des pattes des rats, un cri, le racolage d’une fille devant le cabaret (1000 dans la ville !!!) , un juron de marin. À 22h le roulement de tambour et le pas lent de la garde civile.
Amsterdam est a ville la plus tolérante des Provinces-Unies. Y cohabitent des calvinistes, des catholiques, des mennonites, des juifs (parmi lesquels le grand philosophe d’origine marrane Baruch Spinoza (1632- 1677).  A partir du stathoudérat de Frédéric-Henri (1627-1647) le parti de la tolérance, dont Rembrandt  se sent certainement proche (sa mère était issue d’une famille catholique), l’emporte. De fait, cette mentalité plus ouverte dans la société bourgeoise très cosmopolite (des marchands de toute l’Europe s’y côtoient) favorise le goût pour les objets d’art. Amsterdam au XVIIe siècle est certainement le plus grand marché d’art du monde. Rembrandt qui était lui-même un grand collectionneur sera un des témoins de cette société urbaine à travers à la fois les portraits individuels de marchands et d’intellectuels chrétiens ou juifs, mais aussi de groupe en particulier ceux des compagnies ou des guildes. Dans la ville règne une sorte de laïcité, toutes les confessions sont tolérées à condition qu’elles soient discrètes. Quand Rembrandt arrive à Amsterdam il y a une maison de prière pour les juifs (communauté importante car il y avait beaucoup de marchands juifs), des lieux de culte catholiques (privés) ainsi que luthériens et mennonites.
Le marchand Uylenburgh chez qui il s’installe comme peintre au début de sa carrière à Amsterdam était lui même mennonite. Rembrandt s’installe chez lui en 1631 (après un premier séjour en 1624-25 chez le peintre « romaniste » Pieter Lastman.

En effet, la ville attire des artistes comme le graveur Hercule Seghers, mennonite (né en 1590 à Haarlem, Pays-Bas; mort en 1638 à Amsterdam) que Rembrandt admire.

(voir aussi : http://members.tripod.com/~seghers/ )

Peintre et surtout graveur extraordinaire, d’une grande originalité, il affectionne les paysages qu’il représente comme des lieux fantastiques, désolés sans âme qui vive.

Rembrandt et la minorité juive.

L’exposition, Rembrandt et la Nouvelle Jérusalem. Juifs et chrétiens à Amsterdam au Siècle d’Or.
Paris, Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme (28 mars – 1er juillet 2007)

a réuni plus de 190 pièces (peintures, dessins, estampes, objets d’art, manuscrits et documents rares), confronte un ensemble significatif d’oeuvres du maître et de ses contemporains, à un événement culturel et religieux d’une portée considérable : l’installation à Amsterdam, au XVIIe siècle, dans un climat unique de tolérance, des communautés juives réfugiées de la péninsule Ibérique et d’Europe centrale. Les hollandais eux mêmes se voyaient comme le nouveau peuple élu (persécuté par les papistes) d’où le rapprochement avec les juifs qui obtiennent une grande synagogue à Amsterdam dans les années 1680.

http://www.evene.fr/arts/actualite/exposition-rembrandt-nouvelle-jerusalem-musee-judaisme-814.php

http://www.latribunedelart.com/Expositions/Expositions_2007/Rembrandt_Jerusalem_594.htm
http://expositions.bnf.fr/rembrandt/grand/028_2.htm

Chassés par l’inquisition espagnole, ils sont accueillis par les Provinces-Unies par haine des Espagnols. Fin des années 1630, Rembrandt vit dans un quartier où ils sont nombreux, il les fréquente et possède dans sa modeste bibliothèque un exemplaire de La Guerre des Juifs de l’historien du 1er siècle ap. JC Flavius Joseph. Il rencontre le marchand d’armes Alphonso Lopez amateur d’art qui s’offre le Baldassare Castiglione de Raphaël vendu par son propriétaire, le collectionneur Van Uffelen en 1639 dans une vente publique. Rembrandt y assiste et croque le tableau avec des annotations (dont le prix impressionnant de 3500 florins). -> Vienne Musée des Arts Graphiques Albertina).


On a reproché à Rembrandt de ne pas avoir fait le voyage en Italie mais on oublie qu’il possédait des gravures d’œuvres de Titien et de Raphaël. Il peint même un autoportrait qui s’inspire de ces deux tableaux, l’Autoportrait à l’âge de 34 ans, 1640, 93×80 cm, huile sur toile à la National Gallery de Londres.


Il peint également le petit portrait d’Ephraïm Bueno qu’il fréquente et dont il réalise aussi deux gravures. CI-dessous :  Portrait d’Ephraïm Bueno dit Bonus. Eau-forte, pointe sèche et burin – 28,4 x 17,4 cm Paris, Musée du Louvre, collection Edmond de Rothschild.


A la même collection du Louvre appartiennent les quatre gravures exceptionnelles pour Manasse Ben Israël, un rabbin érudit adepte du messiannisme. Pour lui Rembrandt grave ces quatre estampes en 1655 représentant l’histoire de la piedra gloriosa une pierre miraculeuse symbolisant le Messie.

http://expositions.bnf.fr/rembrandt/grand/028_2.htm

En 1654 un litige l’oppose à un client juif, Diego d’Andrade au sujet du portrait de sa fille qu’il juge non ressemblant.
Enfin Rembrandt a peint plusieurs scènes de l’Ancien Testament et de l’histoire des hébreux.
Même sur ses rapports au judaïsme Rembrandt a fait débat. Au XIXe on voyait dans chaque portrait d’un homme âgé barbu l’image d’un rabbin ou d’un juif. Ce n’était bien sûr pas toujours le cas. On a affirmé qu’il était ami des juifs, mais aussi le contraire. On pense qu’il prenait des juifs comme modèles à l’atelier pour les scènes religieuses et même pour le Christ comme celui de Berlin.


Rembrandt Harmensz. van Rijn (1606-1669) ? Christ en buste Huile sur panneau – 35 x 21,5 cm Berlin, Staatliche Museen, Gemäldegalerie.

Bibliographie

Nadeije Laneyrie-Dagen : Lire la peinture de Rembrandt, Larousse.

Articles de l’encyclopédie Universalis sur les Provinces-Unies et Amsterdam

Simon Schama : Les Yeux de Rembrandt

Jean Foucart, Tout l’oeuvre peint de Rembrandt. Flammarion.

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