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VOYAGE DANS L’ENTRE DEUX

Soie, 

Dans tes premiers chapitres, je me suis demandé où tout cela allait mener : un homme, Hervé, qui devait devenir soldat, mais qui se retrouve à aller chercher des œufs de vers à soie à l’autre bout de la Terre pour tout le village. Il semblerait que ce soit une histoire plutôt plate (si tu m’en permet l’expression). Cet homme est marié, il n’a pas d’enfants, il vit dans un petit village classique de la fin du XIXe siècle. Les premières pages m’ont poussée à me demander où j’allais et pourquoi j’irais. Ma foi, c’est une réussite. J’ai immédiatement voulu en savoir plus. J’ai d’ailleurs parcouru tes pages d’une traite, avec comme seules pauses le temps que je m’accordais pour prendre quelques notes et assimiler les événements à venir.

Mais n’allons pas trop vite, je parlais des premiers chapitres. La mise en contexte de la vie d’Hervé est bien amenée, au début je me demandais comment il se retrouve à changer de plan de carrière aussi radicalement puis est introduit un de mes personnages préférés, que dis-je ! Mon personnage préféré de cette histoire : Baldabiou. L’instigateur du commerce de soie à Villedieu. Sans lui, il n’y aurait pas d’histoire : la soie ne serait pas la spécialité de Villedieu et Hervé n’aurait éventuellement jamais quitté l’Europe autrement que pour la guerre. Mais outre des voyages à travers la Méditerranée, c’est Baldabiou qui introduit Hervé à l’idée d’aller jusqu’au Japon pour éviter les épidémies qui anéantissent les cultures de vers à soie en Égypte et en Syrie. Sans Baldabiou il n’y aurait aucune histoire à raconter, autre que celle d’un simple soldat. Bref assez parlé de Baldabiou (je ne peux promettre de parler à nouveau de lui plus loin dans cette lettre). 

Hervé part enfin au Japon et là, c’est la surprise : une liste d’endroits non détaillés, juste ça. Pas d’informations sur les rencontres faites ni même d’indications temporelles pour savoir combien de temps ce voyage jusqu’au Japon dure. Tout se passe si vite qu’il est difficile d’assimiler la distance parcourue et l’ampleur de ce voyage. « Pourquoi ? » voilà ce que j’ai pris en note à ce moment. Parce que c’est une réelle question à laquelle tu n’apportes pas de réponse. Tu ne m’en voudras pas si j’en suis venu à ma propre conclusion : l’important dans cette histoire n’est pas la distance parcouru, mais là où nous mène ce voyage

C’est ici que tout commence réellement, lorsque que Hara Kei fait venir Hervé chez lui, en plus de l’amitié que tissent les deux hommes aux cultures si différentes, il y a cette femme. Cette fille allongée sur les genoux du chef et qui a des yeux qui n’ont pas une forme orientale. Je ne sais pas l’expliquer, mais ce que j’ai ressenti lorsque cette femme pose les yeux sur Hervé doit être proche de ce que lui même a ressenti : je ne respirais plus, tout ce que j’arrivais à me dire c’est « Pourquoi est-ce que je suis persuadée qu’elle est l’histoire, c’est elle le point important du livre. ». Mais un même temps il y a un sentiment d’agacement envers Hervé : il ne réagit pas du tout. Il la regarde ouvrir les yeux, le fixer, même s’approcher et boire dans sa tasse de manière si particulière et il ne bouge pas le petit doigt. Une immense frustration s’est emparée de moi à ce moment. C’est peut-être bien à ce moment-là que j’ai décidé que cette soirée là je ne dormirais pas sans être allée au bout de l’histoire : il fallait que je sache. Que je sache quoi ? Je ne sais pas vraiment… Peut-être savoir qui elle est ? Pourquoi elle est là ? Pourquoi elle est si importante dans l’histoire ?

Puis il y a son retour au village, sa nouvelle richesse, rien de spécial au final. Ce n’est pas vraiment la partie de l’histoire qui m’intéresse, non pas que ce ne soit pas important. C’est juste que le Japon reste dans ma tête. Je me souviens d’avoir une lecture plutôt molle à ce moment, mes yeux ne parcouraient pas les mots aussi vite qu’avant. Puis arrive le chapitre 19 : Hervé retourne enfin au Japon. L’excitation revient, je lis la liste d’endroits parcourus à une vitesse folle, l’Europe en train, le passage de l’Oural, le lac Baïkal, le fleuve Amour et enfin le Japon. Puis il retrouve Hara Kei. Lorsqu’Hervé laisse tomber son gant sur la robe que la fille a abandonné je me suis demandé quelles en seraient les conséquences, ce que tout ça signifierait dans son histoire avec Hélène et même son rapport avec Hara Kei. Parce qu’évidemment cette femme n’est pas tout le temps près du chef japonais sans raison. 

Le besoin de savoir qui est cette jeune femme revient quand Hervé croise un Anglais dans le village japonnais et que ce dernier dit ne jamais avoir vu de femme européenne et blanche dans tout le Japon. Dans le chapitre qui suit, le chapitre 21, Hervé ose demander à Hara Kei quand il lui dira qui elle est. Un mélange de joie et de frustration s’est emparé de moi : de la joie, car Hervé en arrive enfin au stade où il ose demander cette information là où à sa place j’aurais posé la question dès le premier jour du retour au Japon. Mais de la frustration, car au final je ne sais pas si Hara Kei n’a juste pas entendu la question ou s’il l’esquive volontairement. Je m’attendais à avoir au moins un indice, mais rien. 

L’espoir d’une once de réponse arrive au même moment que le petit mot glissé dans la main d’Hervé la veille de son départ. D’ailleurs avec du recul, on n’a aucun moyen de savoir si c’est bien elle qui lui remet. N’aurait-elle pas pu envoyer n’importe quelle autre jeune femme du village ?

Une des choses qui m’impressionne le plus dans ce livre est la patience d’Hervé. Est-ce à cause de notre société où l’on peut connaître tout rapidement ou juste parce que je suis curieuse de nature ? Mystère… Mais Hervé à une patience à toute épreuve. Entre le fait d’attendre pour savoir qui elle est et attendre quarante-et-un jours pour enfin partir à la recherche de quelqu’un pouvant lui traduire les idéogrammes à l’encre noire, il m’impressionne vraiment. Puis vient enfin la traduction faite par madame Blanche : « Revenez ou je mourrai. ». Ni plus ni moins, une façon de tout dire et de ne rien dire à la fois. Après la traduction du mot, j’ai eu besoin d’un plus longue pause que d’habitude pour prendre mes notes. Je me suis demandé quelle était l’ampleur de ce mot : est-ce juste un mot d’une femme à un homme ou est-ce un appel au secours ? Je ne sais pas pourquoi, mais dans ma tête ces deux possibilités cohabitaient. 

 Après ça, Hervé réitère, il fait comme s’il n’avait pas lu ce mot ou comme s’il n’avait aucune importance. Je pense vraiment que le sentiment que j’ai le plus ressenti à travers tes pages est la frustration. Au lieu de chercher qui est cette femme qui visiblement ne le laisse pas indifférent, il emmène sa femme en vacances et ils décident du prénom de leur futur fils… Y a-t-il quelque chose de plus frustrant que cette situation lorsqu’on pense à son amour pour la femme du Japon ?

Je me suis posé pas mal de questions sur cette fameuse phrase que dit Hervé à Hélène à la fin du chapitre 29 : « Je t’aimerai toujours. ». Est-ce un aveu de son amour naissant pour une autre, ou pense-t-il réellement aimer Hélène toute sa vie. Quelques pages plus loin Baldabiou dit à Hervé qu’il doit choisir s’il veut retourner au Japon, rien ne l’y oblige, car une guerre civile menace et Baldabiou ne veut forcer Hervé à prendre de risques. Bien évidemment, ce dernier décide d’y retourner, c’est là que je me suis dit que Hervé avait un mental d’acier, il est capable de faire comme si de rien n’était alors que tout ce qu’il veut c’est revoir cette inconnue. 

Lors de son troisième voyage plusieurs choses m’ont marquée comme la volière que la fille ouvre à son arrivée. Lorsqu’on lit ce passage, on ne sait pas la raison de cet acte et c’est resté flou dans mon esprit jusqu’à ce qu’Hervé explique à Baldabiou que quand quelqu’un fait ça c’est qu’un événement très joyeux s’est produit dans sa vie. Durant cette explication j’ai moi-même ressenti une grande joie, j’ai trouvé beau ce geste très symbolique

Puis arrive le dernier voyage, celui de tous les dangers. Hervé retourne au Japon, c’est à ce moment que l’on comprend qu‘il est totalement piqué. Même s’il sait qu’il y a la guerre, il se met en danger pour la revoir. C’est un acte plutôt désespéré mais aussi tellement beau. En sachant que la fin du livre arrivait à grands pas je me doutais bien que quelque chose allait se passer. Mais pas de là à imaginer ce qui allait arriver. Quand il retrouve le camp d’Hara Kei après avoir fait le chemin avec le petit garçon, je me suis dit que l’accueil était vraiment différent des autres voyages, il était glacial.

Après tous les moments passés avec le chef, cela m’a vraiment interpelée. Mais la raison est bien vite révélée… Ce petit messager qui a perdu la vie pour avoir propagé l’amour. J’ai eu beaucoup de mal à me remettre de ce passage. Je suis restée quelques secondes, voire minutes, à me demander si j’allais continuer ma lecture ce soir-là. À mes yeux, plus rien ne pouvait arriver : Hervé était retourné au Japon juste pour la voir et tout ce qu’il a vu c’était une chaise à porteurs et la Mort.

À partir de ce moment, il ne reste plus qu’une trentaine de pages à lire. Alors je me suis accrochée, pas sûre de retrouver le courage de reprendre ma lecture un autre jour après ces pages. 

Lorsque j’ai lu le retour d’Hervé, j’ai tout de suite compris que tout avait changé. Ce n’était plus juste une liste d’endroits, c’était une liste de malheurs qui s’enchaînaient. Le reste de ma lecture est molle et sans entrain, tout comme la vie d’Hervé au final. Même quand la fameuse lettre de sept pages arrive ce n’est plus pareil, la tournure est différente, indiquant à quel point rien n’est pareil. Lorsqu’il se décide enfin à aller voir Madame Blanche, j’ai été déçue, et je pèse mes mots… Je m’attendais à un bout d’histoire, une explication, une présentation … Tout, mais pas ça. 

Puis Hélène décède, en fait, je le savais déjà. Chaque lecteur à une mauvaise habitude : certains cassent le dos du livre, d’autres plient les coins pour faire marque-pages… Moi mon mauvais reflex est de toujours lire la dernière page avant même de commencer le roman. Ici, la dernière page parle d’Hervé qui rend visite à Hélène au cimetière : plutôt explicite comme fin, tu ne trouves pas ?

Ensuite il y a LA révélation, la surprise, le choc (je te laisse le choix du nom de ce passage) : la lettre est en fait écrite par Hélène. Après plusieurs minutes à réfléchir (même plusieurs jours désormais) cela paraît tout à fait logique. Pourquoi écrire en japonais si la femme était européenne ? Comment aurait-elle pu savoir l’adresse d’Hervé ? Et puis voilà le livre se termine comme ça. 

Cela fait presque trois semaines que j’ai fini ta lecture et je ne sais toujours pas si je peux te classer dans les livres que j’ai aimés ou ceux qui ne m’ont pas plu. C’est un curieux sentiment d’être bloqué au milieu. En fermant le livre le seul sentiment qui me restait été la déception : ai-je réellement lu le livre pour ça ? Pour une histoire d’amour qui ne débute jamais vraiment, mais qui se finit de façon si dramatique ? Puis est venue l’idée de la beauté de cet amour interdit entre un homme marié et la maîtresse du chef japonais. Donc, voilà où j’en suis… Tiraillée entre la beauté de ton contenu, mais en même temps le sentiment de vide que tu m’as laissé. Je ne pense pas pouvoir trancher entre les deux. Alors je te souhaite la bienvenue dans une nouvelle catégorie : celle de l’entre-deux

Peut-être qu’un jour en re-voyageant à travers tes pages au détour d’une librairie, j’arriverai à trancher. Mais en attendant, je crois que je t’ai tout dit. 

On se voit à la fin du monde,

Marine

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