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MAIL DE SALVATORE A ANGELO

 

De : salvatore.piracci@gmail.com

A : angelo.edicola@gmail.com

Objet : Lettre d’adieu

Date : …

 

Mon cher Angelo,

Il n’y a pas de mer que l’homme ne puisse traverser. En effet, je t’écris de Ghardaïa, une petite ville d’Algérie. Je suis en vie. Mais, je ne peux te dire que je vais bien. Je ne sais depuis quand j’ai commencé mon périple pour conquérir ma terre promise. J’ai perdu toute notion du temps. Les saisons ne sont que pluvieuses et sombres. Chaque nuit se ressemble en se mêlant à la fois au cauchemar d’un passé sans âmes et aux rêves d’un nouveau monde. Chaque seconde n’est qu’une minute de passée. Chaque minute n’est qu’une heure de passée. Chaque heure n’est qu’une partie d’une journée interminable et pesante. Comme tu as pu le comprendre, le temps est devenu un vieil ami que j’ai arrêté de côtoyer.

J’espère que tu ne m’en veux pas d’être parti de Catane, cette ville qui a vu plus de morts que de naissances. C’est ici que je suis né, que j’ai fait mes premiers pas, que j’ai grandi et appris. Mais, c’est aussi ici que je me suis perdu dans une tornade de fumée noire irrespirable et étouffante. Je lui dois tout. Néanmoins, je n’avais pas le choix de fuir. Je ne voulais pas lui laisser l’opportunité d’ajouter un décès de plus dans sa liste d’âme perdus.

Mes vingt années en tant que commandant m’ont révélé la cruelle vérité des migrations. J’ai pu croiser le visage de milliers d’homme, de femmes et d’enfants qui n’ont pas pu échapper à leurs sorts tragiques.  Mais, tous ces visages peureux, fatigués et mort parfois sont tous restés ancrés dans ma mémoire sans pourtant comprendre leur histoire. Je n’avais pas une seconde où ces images atroces ne reviennent en boucle dans ma tête. Mon déclic a été cette femme : de prime abord froide et vide. Mais, à l’intérieur, forte et courageuse. Devant cette femme, j’ai laissé la compassion et l’humanité l’emporter sur mes certitudes de commandant. Je repensais, à ce soir, où elle a confié à un inconnue son passé, son histoire et son identité. Elle s’était mise à nu, sans défense, laissant seulement son cœur parler. La mort tragique de son enfant m’a bouleversé. Je n’étais rien face à cette grande femme. Je n’avais pas les mots pour exprimer mon dégoût. Contrairement à cette femme qui est morte dès que son enfant est tombé à l’eau, moi je me suis laissé mourir à petit feu.

Depuis cette rencontre tout me pesait davantage. Je n’étais plus le Commandant Piracci, mais un enfant qui souhaitait seulement retrouver le bonheur, le calme et l’apaisement. J’étais malheureux et cette dernière intervention sur ma frégate m’a poussé à partit loin, loin de ce cimetière vivant. Les nuits étaient devenues un enfer. Les mêmes cauchemars tournaient en boucle : les trois barques englouties au cœur de la mort, mon refus de cacher un homme innocent, les coups martelés à un pauvre Libyen. Cela m’empêchait de vivre. J’étais vulnérable, lâche, épuisé et dégouté. J’étais obligé de sortir de cette prison hantée où mon esprit n’était pas libre mais esclave d’Hadès.

 Il y a vingt ans, j’avais allumé cette bougie qui me donna chaleur, protection et bonheur. Cependant, cette bougie s’est consumée. Les quelques lueurs d’espoirs qu’il y avait dans ces flammes se sont éteintes dès que j’ai rencontré l’histoire de cette femme et que j’ai scellé l’avenir d’un homme en le privant d’un rêve, d’une vie. La cire restante ancrait une trace de mon identité, mon histoire, ma vie dans cette ville qui n’en laissait aucune. Cette cire est mon passé. Il était alors nécessaire que j’en rallume une autre ailleurs pour continuer de vivre.

Dès lors que je suis monté dans cette barque, j’étais autre. Salvatore Piracci avait disparu. Il était mort en même temps que tous ces migrants. J’étais devenu une de ces silhouettes qui n’avait ni nom, ni famille, ni histoire. Ma barque tanguait dans cette immensité profonde. Seule cette nouvelle bougie scintillant dans la nuit noire me donnait l’espoir d’un autre horizon : celui de l’Edorado. Une terre promise, un paradis qui n’existait nulle part ailleurs. Un paradis qui apporterait bonheur et humilité. Un paradis qui m’apporterait toute la richesse du monde. Je devais le trouver. Je devais m’accaparer de ce rêve. Et, pour cela, je devais partir à sa recherche.

Ma barque débarqua en Lybie. Me voilà sur la terre de ceux que je méprise, ceux qui n’ont pas hésité à envoyer des innocents à la morgue, ceux que je considère comme des meurtriers. Ce n’était pas une simple coïncidence. Arriver sur une terre de départs en provenance de ce que je venais de quitter. Moi, je faisais le chemin inverse à eux.

Néanmoins, j’ai vite été arrêté par les policiers libyens qui m’enfermèrent dans une cellule de la ville d’Al-Zuwara. Ils ne comprenaient pas pourquoi j’étais ici. Un Européen venant en Afrique. Un privilégié cherchant la pauvreté. C’était étrange. Après m’avoir interrogé pendant de nombreuses minutes, ils m’emmenèrent dans un endroit superficiel, austère et sans charme. Une femme disgracieuse m’attendait. C’était la reine d’Al-Zuwara, une femme qui faisait du commerce en dépouillant les miséreux. Elle trouvait sa richesse là-dedans, en envoyant à la mort des hommes, des femmes et des enfants. L’argent valait plus que la vie. Elle n’avait aucune pitié. Elle me proposa alors de passer du côté des lâches en échange de ma liberté et d’une survie assurée. J’accepta et reparti avec l’argent sale tout en sachant que mon aide ne lui sera guère utile puisque je fuyais la ville en bus direction Ghardaïa.

Dans ce bus, l’atmosphère était étrange. En effet, les hommes avaient l’air autant sympathiques que naïfs. Un homme, intrigué sûrement par mon physique, me demanda mon origine. Je lui répondis « Sicile ». Celui-ci surpris, tout comme les autres hommes qui écoutèrent notre conversation, me posèrent plusieurs questions concernant l’Europe, cette terre où tout est possible. N’ayant pas envie de leur faire de faux espoirs, je leur disais toute la vérité : la surveillance des frontières, le renvoi dans leur pays, l’absence de travail, l’exclusion à l’intérieur du pays, le jugement, la pauvreté… L’Europe n’est pas un rêve comme certains le pensent. Je ne voulais pas leur mentir.  Certes, c’est une vérité dure à entendre, néanmoins c’est une réalité. Ainsi, après ces aveux déchirants, un silence pesant se dispersa. Les regards étaient toujours braqués sur moi, comme si j’étais coupable d’un meurtre que j’avais commis. J’avais brisé leurs rêves pour éviter qu’ils ne se rendent compte par eux-mêmes que c’était seulement illusoire. Je me sentais seul et cela ne s’était pas arrangé lorsqu’on m’a forcé à quitter le bus au milieu de nulle part à cause d’un « manque d’argent ».

Après cette mésaventure, je ne savais où j’étais et j’étais encore plus perdu qu’avant mon départ. Moi, qui pensais que ma quête de l’Eldorado m’aurait aidé à me sentir mieux. Ce n’était que mensonge. J’aperçus au loin une station à essence où scintillait un feu. Je me hissai avec les hommes qui était autour de cette source de chaleur. J’écoutai attentivement un homme qui racontait une sorte d’histoire. L’histoire de « Massambalo », le dieu des immigrés. Selon cette allégorie, si un homme aperçoit « les ombres de Massambalo », cela signifierait que son périple pour l’Europe se passerait bien. Suite à cette histoire, au lieu de me sentir épaté et émerveillé comme un enfant, j’étais seulement horrifié et dégoûté puisque je savais que cela ne pouvait être vrai. Je ne pouvais guère partager avec ces hommes leur enthousiasme. En effet, ils étaient tellement crédules et moi tellement vide que j’ai ressenti de l’exaspération. J’aurais aimé y croire mais mon passé m’avait complétement usé. Je ne pouvais plus croire, rêver et espérer. J’étais seulement privé de bonheur et d’espoir.

Je décidai alors d’en finir. A quoi sert de se battre quand on est déjà mort ? Je n’avais qu’une seule idée en tête, rejoindre ces hommes que je n’avais pas pu sauver. Alors, j’aspergeais d’essence l’ensemble de mon corps en rêvant de m’enflammer telles que le feu qui était à quelques mètres de moi. Cependant, des hommes ont décidé de me sauver. Je ne comprenais pas pourquoi. Qu’ont-ils vu en moi pour me laisser en vie ? J’étais vide, enfin je le pensais.

Après que ces hommes m’aient déposé à Ghardaïa, je décidai de rester sur le marché. Baigné par la foule, j’espérais seulement être un être invisible. Néanmoins, le destin l’a décidé autrement. En effet, un jeune s’approcha vers moi et me chuchota « Massambalo ». J’étais stupéfait. Comment peut-on me comparer à un dieu ? Je n’avais rien et là, en un mot, je reçois un pouvoir immense. Celui de donner de l’espoir à un être en détresse ou de décourager un être qui souhaite mettre sa vie en danger. Une décision à prendre : acquiescer ou refuser. J’étais le seul à pouvoir choisir. Son destin était entre mes mains. Hésitant, face à cette requête inattendue, je fis le vide autour de moi. Et, à ma plus grande surprise, ma tête fit un mouvement vertical. En un geste, j’avais donné du courage à cet homme, nommé Soleiman. Pour me remercier, il m’offrit un collier de perles vertes. 

Aujourd’hui, moi aussi, j’aurais voulu le remercier. Car, pour la première fois depuis longtemps, je me suis senti bien. Je ne sais pas ce qu’il est devenu mais moi je suis devenu autre grâce à Soleiman. J’avais enfin trouvé l’Eldorado. Et, cette rencontre m’a fait comprendre que je ne cherchais pas un monde meilleur mais un état d’esprit meilleur. Le lieu ne pouvait pas me rendre heureux, seuls mes actions le pouvaient. J’étais l’unique acteur qui pouvait me rendre riche. Maintenant, je continue ma route vers l’ailleurs. Où vais-je atterrir ?  Combien de temps vais-je tenir ?

Ces questions sont sans réponses et je vais vivre chaque jour comme si c’était le dernier. Et, c’est comme un homme apaisé que je veux que tu te souviennes de moi, Angelo. Je veux que tu te souviennes de ce dernier soir où la fragrance du vin doux et la saveur de ces délicieux Arancini nous accompagnaient. Je veux que tu prennes soin de cette citadelle où l’odeur des poissons du marché devenait nauséabonde.

Je tenais à te remercier d’avoir été comme un frère pour moi depuis des années. J’emporte avec moi nos moments d’amitié. Je suis allé à mon destin grâce à toi. Je ne sais ce que demain me réservera. C’est pour cela que je fais de toi, Angelo, mon témoin de voyage. Cela sera mes derniers mots que tu recevras de ma part. Je ne veux, ni pour toi et ni pour moi, ressasser le passé.

 

Souviens toi de moi.

 

Ton Vieil ami.

 

 

PS : Angelo, j’ai une dernière requête à te demander. S’il te plaît, rejoins le cimetière de Lampedusa et recueille toi auprès de la pierre tombale (voir pièce jointe). En t‘appuyant également sur la première phrase du début de la lettre, tu comprendras mieux ce que nourrit l’El Dorado : la détermination.

 

Pièce jointe :

(Image libre de droit)

1 commentaire pour “MAIL DE SALVATORE A ANGELO”

  1. J’ai beaucoup apprécié lire ce mail de Salvatore à son ami Angelo. Cet article est très bien écrit et qui nous permet de se mettre à la place du personnage. Il retrace les moments forts de Salvatore avec beaucoup d’émotions. C’est très claire et explicite. Ce mail est donc très agréable à découvrir.

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