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MAIL DE SALVATORE AU CAPITAINE LIBYEN

De : salvatore.piracci@gmail.com
A : capitaine.libyen@gmail.com

Objet : Remerciement

Le 18/11/2006

            

Monsieur le Capitaine,                                                                                                                              

Je vous prie d’accepter ce mail et de mettre de côté nos différents, afin de comprendre au mieux la venue de ce mail si inattendu.

Je me prénomme Salvatore Piracci, commandant depuis vingt ans déjà dans la gendarmerie maritime italienne. Mon navire patrouille autour de l’ile de Lampedusa et sa station se situe à Catane en Sicile. Je viens donc au secours des émigrants clandestins en danger en mer et contrôle qu’ils soient renvoyés dans leur pays d’origine. Malgré cette description, vous ne vous souvenez probablement pas de moi.

Peut-être est-il nécessaire que j’en dise davantage sur notre rencontre pour vous éclairer ? Voici donc comment nous sommes venus à nous croiser : Cela fait maintenant quelques jours que les faits se sont déroulés lorsque vous étiez sur l’île de Lampedusa avec un groupe de Libyens sous escorte. Vous souvenez-vous de la raison pour laquelle vous étiez présent sur l’île ? Je suppose que oui, mais je pense qu’il est nécessaire de vous rafraîchir la mémoire au vu du crime que vous avez commis… Vous avez mis, sans aucun remord et humanité, des clandestins à la mer. Vous avez lâché cinq barques remplies d’émigrants en pleine mer. Vous les avez abandonnés avec conscience dans une mer sauvage dans laquelle ils n’avaient qu’un infime pourcentage de survivre. Vous avez commis une horreur et je pense malheureusement que ce n’est pas la seule que vous avez faite.

Maintenant que vous vous souvenez de cette atrocité, vous devez sûrement vous demander le rapport entre cet épisode et notre entrevue. Il faut savoir que je me trouvais également à Lampedusa lorsque vous y étiez. En effet, j’étais présent, mais pas pour les mêmes raisons que vous. J’y étais car mon navire et moi-même avons été à la recherche et tenté de secourir ces cinq barques. Cependant, comme c’est tristement souvent le cas lorsque la mer est très agitée, nous avons retrouvé seulement deux des cinq barques. Seulement, au bout d’un moment, nous avons été contraints de devoir rentrer au port à cause de la tempête, et ce même si nous n’avions pas retrouvé toutes les personnes que vous aviez jeté en mer… Ainsi, pris d’une furieuse colère mélangée à une peine énorme lorsque j’ai su que le misérable qui avait préparé cela était présent sur le port, je me suis dirigé vers lui et je l’ai frappé de toutes mes forces. Enfin, je vous ai empoigné le plus fort possible. Alors, voilà, je suis l’homme qui vous a frappé sur le port de Lampedusa.

Seulement voilà, ce n’est pas la seule raison pour laquelle je vous ai fait cela. Effectivement, j’étais furieux après vous et une colère s’est emparée de tout mon corps lorsque j’ai appris que vous aviez abandonné un groupe d’émigrés en mer. Mais comme je viens de vous le préciser, ce n’est pas le seul argument qui m’a traversé l’esprit lorsque je vous ai frappé. En effet, j’ai été aussi fortement influencé par deux de mes rencontres en particulier. L’une de mes rencontres concerne une femme libanaise, qui est une émigrante clandestine dont l’enfant est mort pendant le voyage et qui décide de venir me voir. L’autre, concerne un homme, qui justement est sauvé du naufrage que vous avez mis à la mer, qui sollicite mon aide et me touche tout particulièrement. Je vais appuyer mon propos en expliquant brièvement ces rencontres, car annoncé comme cela, cela n’a aucun sens concernant mon acte envers vous.          

Tout d’abord, cette femme libanaise. Je l’ai rencontrée il y a deux ans de cela lorsque j’ai intercepté un navire nommé le Vittoria, au large des côtes italiennes. Cette femme, je l’avais trouvée à la fin du transfert, dans un coin, et j’avais été frappé par sa tristesse noire qui lui faisait serrer la rambarde de toute se forcer. Elle était dans cet état car elle venait non seulement de voir mourir de soif entre ses bras son propre fils de onze mois, mais aussi de voir que deux hommes lui arrachèrent son fils et le jetèrent par-dessus bord. Elle venait de vivre le pire cauchemar qu’une mère puisse imaginer… Et c’est cette même femme qui s’est retrouvée devant moi, deux ans après. Elle me raconta alors son histoire et je pensai alors qu’elle était ici pour me demander de l’argent. J’ai eu tort. En effet, elle ne voulait pas de l’argent mais une arme, une arme pour se venger de tout ce qu’elle a vécu comme misère lors de ce misérable voyage vers l’Europe. Elle avait déjà eu le temps de se renseigner sur l’homme qui avait affrété le Vittoria à Beyrouth : Hussein Marouk. Elle voulait sa mort, elle voulait le tuer pour ce qu’elle a subi. J’essayai d’abord de la dissuader mais elle ne voulut rien entendre de mes propos. Elle était déterminée. Je refusai dans un premier temps de lui donner cette arme, mais je fini par accepter et par sortir mon arme de poing. Puis, elle l’emporta et s’en alla… Enfin, quelques mois plus tard, j’ai reçu une lettre de sa part qu’elle avait posté du Liban quelques jours plus tôt. De Beyrouth, elle allait rejoindre Damas pour accomplir sa mission. J’ai alors imaginé la rencontre entre cette femme et Hussein Marouk, et je ne puis réfléchir sur mon propre destin : j’ai pour mission d’être un gardien de la citadelle mais je suis fatigué de traquer les désespérés. Cet évènement provoqua en moi une remise en question, qui n’est qu’autre que d’abandonner mes fonctions car je ne supporte plus ce métier où l’on secourt des naufrages apeurés et qu’on renvoie dans leur pays d’origine là où la souffrance règne.

Ensuite, cet homme sur le naufrage que vous avez abandonné en mer. Lui, je l’ai rencontré il y a donc seulement quelques jours lorsque l’on ramenait les émigrants au port de Lampedusa. Cet homme est venu frapper à ma porte pour me demander une faveur : de ne pas le débarquer avec les autres. Il me tendit de l’argent en me disant que cela changerait sa vie si j’acceptais de faire cela. Je lui ordonnai de sortir et qu’il était hors de questions que je fasse ceci. Durant tout le trajet, je me suis alors posé mille questions : je pourrais le cacher dans ma cabine, il ne prendrait pas beaucoup de place ? Pourquoi lui et pas un autre ? Comment puis-je faire ? Toutes ces questions font que je saisis que je ne peux continuer mon travail si je n’arrive pas à arrêter de penser à sauver les émigrés.  Mais une fois arrivé à Lampedusa et qu’on ordonna aux clandestins de descendre, j’eus encore un long moment d’hésitation. Mais c’était déjà trop tard, je savais que cet homme m’en voudrait à vie et je regrettais déjà mon choix. Il me cracha alors dessus, il cracha sur l’homme qui laissait les choses aller leur cours puis, l’instant d’après, le regrettait.       Ces rencontres font que, moi, le commandant Piracci, je deviens conscient de l’engourdissement que j’ai envers mon travail. Je ressens que je ne suis alors plus attaché à mon métier, ma propre vie et je ne reconnais plus le sens de mon métier. J’aimerais être un sauveur, et ne plus être un gardien de la loi.

Alors voilà, tout cela pour vous dire merci. Oui, vous avez bien lu commandant, merci. Vous êtes l’élément déclencheur de ma décision, alors je vous remercie pour cela. Vous devez probablement me prendre pour un fou en lisant cela, mais je vais vous expliquer ma décision : Comme je vous l’ai énoncé, je fais mon travail depuis vingt ans. Je suis exténué de sauver des ruines humaines qui sont dans un état horrible et qui ont un futur incertain. Je commence à comprendre, depuis ces rencontres personnelles, le destin misérable de ces pauvres personnes. Je comprends encore plus ces émigrés depuis notre altercation. Par conséquent, à la suite de notre altercation, je pars à la recherche de mon propre Eldorado, mais pas dans le même sens que la tendance principale. En effet, je vais prendre un bateau et commencer à flotter vers la Libye. Oui, je pars à mon Eldorado, et l’endroit où je désire aller est la Libye car je veux aller regarder la vie des autres et gagner ma vie. Je sais que je ne vais pas vers la prospérité. Je pars à la recherche de ce j’ai vu dans les regards de ces personnes que j’ai arrêté. Mon Eldorado n’est donc pas un pays en or, mais l’Afrique que les émigrés fuient à cause de la famine, le chômage, la guerre ou la persécution. Vous me direz sûrement, mais qu’est-ce que l’Eldorado ? Je vous répondrai alors que l’Eldorado signifie la recherche et l’envie de changement dans la vie, et c’est ce que je compte accomplir. Enfin, je ne m’excuserai cependant pas pour vous avoir frappé car au vu des atrocités que vous faites, vous le méritez. J’espère qu’en lisant ce mail, vous prendrez vous aussi en compte l’ampleur de vos dégâts et y mettriez un terme.

Respectueusement,                                                                                                                                  

Salvatore Piracci, ancien commandant de la gendarmerie maritime italienne, de Catane

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