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MAIL DE SALVATORE PIRACCI AU CAPITAINE LIBYEN

De : salvatorepiracci@gmail.com
Cc : cap.libyen@gmail.com
Objet : Je vous remercie…
Date : Vendredi 3 Novembre, 2006

Monsieur le capitaine,

Je tiens tout d’abord à m’excuser auprès de vous. Je reconnais que ma réaction a été disproportionnée, mais je ne peux cautionner vos actes. Je suis un homme tout à fait respectable avec ses qualités et ses défauts. Je navigue sur les océans depuis de nombreuses années. La mer ne m’est pas inconnue, je connais ses limites.

Vos actes sont inhumains , comment pouvez-vous laisser des hommes, des femmes et des enfants au milieu de l’océan, abandonnés à un sort tragique. C’est un acte barbare ! N’avez vous donc aucune pitié pour ces pauvres gens qui ont quitté leur pays pour essayer de trouver une vie meilleure ? Chaque jour j’essaye de venir en aide à ces gens, je fais ce que je peux, et je sais que c’est insuffisant. Je ne les aide pas assez, mais je ne les jette pas à la mer comme vous le faites. 

Pendant vingt-ans, j’ai patrouillé les eaux de la Méditerranée pour intercepter les bateaux des migrants. Ces hommes, ces femmes et ces enfants que l’on retrouvait au milieu de l’eau sans aucune ressource depuis des jours. 

Ma rencontre avec vous a été comme un déclic pour moi, j’ai remis en question toute mon existence. 

J’ai décidé de quitter mon pays, pour comprendre ce que vivent ces pauvres gens, les raisons qui les poussent à quitter leur pays. Bien que je travaille dans ce milieu depuis de nombreuses années, je n’arrivais pas à imaginer pleinement ce qu’ils pouvaient vivre. 

J’ai donc vendu tous mes biens, j’ai brûlé ma carte d’identité, je n’ai plus de nom, je n’étais plus personne. J’ai ensuite quitté ma terre pour rejoindre le continent africain et essayer de comprendre le calvaire des migrants mais aussi me retrouver face à moi même. Je ne me reconnaissais plus, je n’étais plus rien, j’étais vide. J’ai traversé différents pays, j’ai rencontré de nombreuses personnes. Je crois que j’ai enfin pu imaginer  la douleur de ces personnes qui quittent leur pays. Je vous laisse imaginer quelqu’un qui quitte son pays, là où il est né, là où il a grandi. La douleur que ressent cet individu est inimaginable, mais certaines situations les obligent à le faire. 

Ces hommes, femmes et enfants, traversent de nombreux pays dans des conditions atroces, ils ne boivent pas, ne se nourrissent pas pendant des jours entiers. Ils vivent des situations inimaginables. Lorsqu’ils arrivent à récolter assez d’argent pour  pouvoir partir, ils se retrouvent nez à nez avec des passeurs, qui n’ont aucune pitié. Ce ne sont que des escrocs. Chaque jour est une étape, ils frôlent la mort à plusieurs reprises. Ils se retrouvent confrontés à la violence, à la dureté des autorités lorsqu’ils arrivent à atteindre les frontières. Mais le plus dur est l’acharnement des autres migrants. Ils sont prêts à tout pour atteindre l’Europe, prêt à voler, à tuer d’autres hommes dans la même situation qu’eux. Lorsqu’ils arrivent en Europe, le périple n’est pas réellement terminé, il faut trouver un travail, un logement, tout ça en faisant face aux habitants qui ne sont pas tous ouverts à l’accueil de ces migrants. Ils n’auront jamais une vie semblable à la notre, alors qu’ils auront tout fait pour. Cette situation me met hors de moi. 

Mon voyage m’a fait comprendre que je n’avais pas assez d’une vie pour combattre mes démons intérieurs. Je n’avais pas assez d’une vie pour vivre ce que ces hommes, femmes et enfants vivent. Je n’ai pas réussi à donner un sens à ma vie, bien que ma vie soit enviée par de nombreuses personnes. Je vivais convenablement à Catane. J’avais une vie exemplaire, un travail, de l’argent, de quoi me nourrir, tout ce qui pourrait rendre heureux n’importe qui. Je suis conscient que mon acte est égoïste, je me laisse partir, je me laisse mourir,  car je n’arrive plus, je n’ai pas trouver cet Eldorado dont tout le monde parle. Je n’ai pas réussi ma mission car je n’arriverai pas à vivre avec de telles douleurs sur le cœur.

Je vous remercie. En quelque sorte, vous m’avez fait prendre conscience que ma vie n’a pas de sens pour moi et qu’elle n’en n’aura jamais. Je ne peux plus, je n’arrive plus à vivre dans un monde avec tant de souffrance. Je ne suis plus moi, je ne suis plus personne.

Respectueusement,  

Salvatore Piracci

 

Image réalisée avec outil IA

3 commentaires sur “MAIL DE SALVATORE PIRACCI AU CAPITAINE LIBYEN”

  1. ton mail est fait avec une certainement émotion très mystérieuse, comme le personnage. Nous comprenons ce que ressent Salvator. Tu as réussi à parler de l’Eldorado et à faire echos à des moments du roman. Félicitation

  2. Je trouve cet e-mail émouvant. Plusieurs émotions m’ont traversé au fur et à mesure de ma lecture et je trouve que c’est une chose essentielle et très positive. On n’y retrouve des éléments réels. La vérité que tu as décrites ici est des plus atroces et je trouve que tu as accentué ces faits de la meilleure des façons.
    J’ai eu une facilité à te lire. Tout est compréhensible. J’ai beaucoup aimé ma lecture, j’ai passé un bon moment.

  3. Les émotions sont très bien représentées dans ce mail. On ressent la rancœur qu’à Salvatore envers le Commandant Libyen. Tu as fait preuve d’une lecture attentive qui nous replonge dans certains moments du livre.

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