De : soleiman.hatem@gmail.com
CC : housnia.hatem@gmail.com
Objet : De bonnes nouvelles
Date : 22 septembre 2006
Bonjour Maman,
J’espère de tout mon cœur que tu te portes bien. J’ai tellement de choses à te raconter. Ce que j’ai vécu, ce que je vis, et ce qui m’attend. Vous me manquez tellement avec Jamal.
J’ai appris pour sa maladie. Cette sensation est si étrange. Je lui en ai voulu si fort au début, Pourquoi ne m’en avait-il pas parlé plus tôt? Sûrement car il savait que je n’allais pas partir sans lui.
Mais maintenant je ne peux que lui en être éternellement reconnaissant. J’espère que lui aussi ne se porte pas trop mal. Le connaissant, il n’a pas dû te raconter comment ça s’est passé. sa bravoure et son sang-froid me fascineront toujours. Il m’a accompagné de l’autre côté de la frontière, a payé un passeur pour en fin de compte rebrousser chemin, me laissant seul face à cette liberté, face à moi même. J’aimerais lui dire que je l’aime, qu’il me manque, je veux le serrer dans mes bras comme jamais je ne l’ai fait. Jamais je ne pourrais assez le remercier.
Je donnerais tout pour te revoir. Je reviendrai, comme promis. Je n’ai pas passé une seule journée sans penser à toi, à ton sourire, ta gentillesse, ta tendresse, tes petites lunettes, ton chignon que tu soignais toujours sous ton voile, mais surtout à ton odeur douce et fruitée que je pourrais reconnaître entre mille. Lorsque j’avais le ventre vide depuis deux jours, la simple imagination de ton batata mubattana inimitable me rassasiait pour quelques heures de plus. Lorsque le brouhaha des gens entremêlé au grondement du moteur sur les routes algériennes me transperçaient les tympans, je n’avais qu’à m’imaginer la douceur de ta voix quand tu nous chantais des comptines ou nos musiques préférées avec Jamal étant petits pour soulager cette douleur. Lorsque les larmes coulaient le long de mes joues, je rêvais que ta main chaude vienne les essuyer pour me rassurer.
Cela fait maintenant environ trois mois que je suis parti, et je suis enfin arrivé en Espagne. J’y suis enfin parvenu. Je suis en Europe. Mon dieu quel soulagement. Cependant, mon voyage ne fait que commencer, mais je pense quand même avoir fait le plus dur. Tu ne peux imaginer tout ce qu’il m’est arrivé. J’ai subi des choses horribles, j’ai agi lâchement, j’ai tellement honte. Laisse moi te raconter mon périple.
Après le départ de Jamal, une voiture devait m’emmener vers un bateau pour l’Europe. Mais lorsque la voiture s’arrêta, il n’y avait pas de bateau. C’était un piège. Nous nous sommes tous faits dépouiller par plusieurs hommes. Sous l’énervement, j’ai frappé un homme au visage, mais ils étaient plusieurs. Je me suis réveillé au sol plein de sang. Un homme assis en face de moi regardait la mer. Cet homme, c’est Boubakar, cela fait sept ans qu’il erre pour atteindre l’Europe. Grâce à lui, nous sommes allés en Algérie.
Nous étions dans un camion rempli d’hommes comme nous, souvent seuls, avec le ventre vide, et le même but commun. Lorsque le camion s’est arrêté pour faire le plein, un homme différent de nous qui parlait beaucoup lors du trajet est descendu faire ses besoins. Je ne sais pas ce qui m’a pris. J’ai tellement honte de te l’avouer, tu es la premier personne qui l’apprend. Je l’ai suivi, je l’ai frappé, à plusieurs reprises, puis j’ai volé tout son argent. Je m’en veux tellement. Nous n’avions plus rien. J’ai donné la moitié à Boubakar.
Avec cet argent, nous avons pu trouver un autre camion à Ghardaïa pour Oujda au Maroc. Durant cette escale à Ghardaïa, je n’avais plus espoir, je ne voulais plus repartir, je ne voulais plus continuer.
Je suis parti me perdre, errant, dans les marchés de Ghardaïa. Puis, au loin, j’aperçus un homme, blanc, barbu, aux cheveux longs et emmêlés. Il n’y avait pas de doutes, c’était Massambalo. Je suis allé le voir pour m’en assurer. C’était bien lui. je lui ai offert le collier de perle que Jamal m’avait donné en guise d’offrande. Je n’en revenais pas. C’était un signe.
Depuis ce jour, je ne peux me permettre d’abandonner mon chemin. Ma détermination était de retour plus que jamais.
Arrivés à Oujda, nous nous sommes “installés” avec Boubakar dans un camp de réfugiés, en attendant de trouver un moyen de passer la frontière espagnole. Les policiers marocains sont infectes. Ils sont venus en grosses Jeep dans la ville et ont maltraité et dégagé tous les mendiants qu’ils croisaient. Quand les policiers viennent en ville, cela veut dire qu’ils arrivent détruire les camps de réfugiés. Le camp décide donc de tenter de passer la barrière de la frontière la nuit même, tous ensembles. Nous étions 500.
L’assaut fut rude. J’ai eu si peur. Pour moi ça c’est sûr, mais aussi pour Boubakar qui a des problèmes à la jambe. Nous nous sommes pris des coups de poings, de pieds, de matraque, des balles en caoutchouc, les barbelés nous ont lacéré le ventre et le dos. très peu s’en sont sortis du bon côté de la barrière. Certains sont décédés, d’autres grièvement blessés. Nous sommes passés avec Boubakar. C’est grâce à lui si j’y suis parvenu. S’il ne m’avait pas attendu ce premier jour à la frontière libyenne, je ne serais pas ici, en territoire espagnol, dans une cellule à vous écrire. C’est ces policiers espagnols qui nous avaient empêché de passer la frontière qui nous ont soignés, qui nous donnent à manger, à boire et de quoi se couvrir. C’est grâce à eux que je peux t’écrire ce message.
Boubakar a une connaissance en Italie, un certain Angelo, qui pourrait apparemment nous trouver du travail. Tout sera plus simple maintenant, comparé à ce que nous avons vécu.
Merci d’être là. Certes tu n’es pas physiquement à mes côtés, mais tu es constamment dans mon coeur et dans ma tête. Merci de m’avoir laissé partir. Je t’enverrai des nouvelles et de l’argent dès que je le pourrai. Tu me manques. Je t’aime Maman.
Bien à toi.
Ton fils bien aimé, Soleiman.
Image d’intelligence artificielle sur le site Craiyon.
