« Suis-je vue comme un animal après avoir fait ce que je devais faire ? »
Ernest Pignon-Ernest, plasticien français, s’est engagé à reproduire les problèmes de la société dans la rue. Cet artiste qui utilise la sérigraphie est reconnu pour ses différentes œuvres qui mettent les émotions en valeur. Ces œuvres sont exposées dans l’un des musées français, celui de Landerneau « Fonds de Hélène et Edouard Leclerc ». L’une de ces œuvres nommée « Avortement », réalisée en 1974, aimerait vous chuchoter à l’oreille quelques mots...
« Assassin, meurtrière, quelle cruauté, comment a-t-elle pu faire ça ?
Voilà, vous êtes témoins des mots que peuvent dire les passants sur mon état. Si c’est pour me faire la misère, alors poursuivez votre chemin. Ce que je veux, moi, c’est une main humaine qui m’offre son aide, rien de plus. Pourquoi vous là, qui me regardez, vous ne m’offrez pas quelque chose pour me couvrir ? Au lieu de ça, vous avez ce besoin de me photographier. Mais ne me prenez pas en photo si ce n’est pas pour agir derrière.
J’ai vu le jour en 1974 dans les rues de Paris. Je ne voulais pas m’effondrer à cet endroit, de plus je n’en avais pas le droit, mais Ernest, mon créateur, m’a imposé l’emplacement et puis j’étais à bout de force de tenir ce fardeau encore quelques mètres. Je ne suis pas placée dans les endroits les plus joyeux, mais je ne peux plus me déplacer. Dans les rues, je vois de nombreuses affiches. J’observe sur ces affiches la même phrase qui est rédigée “L’avortement tue”. En effet, j’ai mis fin à ma grossesse à cause d’un problème financier. Mais, mais, et moi dans tout ça ? Avez-vous pensé à ma santé physique et mentale ? Le fait de voir les passants me dévisager me donne les larmes aux yeux. Les larmes coulent sur mon visage. Les larmes de dégoût et de colère. Je suis peut-être en noir et blanc mais ça ne m’empêche pas de ressentir des émotions. J’essaye de me cacher dans le peu d’ombre qui me reste.
Vous me voyez comme un monstre mais je suis humaine. Je suis représentée sous sérigraphie, chaque détail est réfléchi. Le haut de mon corps est représenté sur le mur et le reste sur le sol. Certaines fois j’ai le droit à des passants qui me piétinent les jambes. Certains iront même jusqu’à m’uriner dessus. J’ai, j’ai froid. Mais je reste là… Pourquoi dois-je mériter ceci ? Ne voyez-vous pas que je suis nue ? Suis-je vue comme un animal après avoir fait ce que je devais faire ?
Ernest Ernest, venez me chercher. Je ne désire plus me montrer. Je veux rentrer… Mais j’ai le corps fixé à la rue. Simone, toi grande figure féminine qui a défendu les femmes toute ta vie. Qui a autorisé les femmes à faire ce qu’encore hier était vu comme un meurtre. Aide-moi, Simone. J’appelle à l’aide mais personne ne me répond. VENEZ ME CHERCHER !! »
