pour les TES :la mondialisation une machine à appauvrir? (sh 01 07°

Paru dans le sciences humaines de janvier 07

La mondialisation est-elle une machine à appauvrir ?

Xavier de la Vega

La mondialisation est-elle une machine à appauvrir ? Dans les pays riches, la mondialisation est perçue comme une machine à produire du moins-disant social. L’idée d’un inéluctable nivellement par le bas est cependant discutable.

La mondialisation engendre-t-elle un nivellement par le bas des niveaux de vie ? Cette question hante le débat public des pays avancés. Détracteurs et défenseurs de la mondialisation admettent souvent une même équation : dans un monde de libre circulation des biens et des capitaux, les niveaux de rémunération et de protection sociale des pays avancés ne sont plus tenables face aux conditions en vigueur chez leurs concurrents. Le débat ne porte finalement que sur le choix de la variable dépendante du modèle : pour les uns, le niveau de vie du Nord devant être préservé à tout prix, il faut réintroduire des entraves au libre-échange ; pour les autres, la mondialisation étant irréversible, les salariés du Nord doivent se faire une raison, et accepter de travailler plus pour moins.

De multiples réponses possibles

Aussi polarisés qu’ils puissent paraître, ces raisonnements reposent sur une même perception des forces à l’œuvre dans la mondialisation : la loi d’airain de la concurrence mondiale pousserait inéluctablement à la convergence des économies. Les niveaux de rémunération et de droits sociaux seraient amenés à s’harmoniser, nécessairement à la baisse, les firmes à adopter les mêmes modes de gestion et d’organisation et les sociétés à réformer en profondeur leurs institutions pour « s’adapter à la mondialisation ». Or, l’idée d’une convergence inévitable des économies et des sociétés ne va pas de soi (1), suscitant même d’intenses débats.
Avec son équipe du MIT, Suzanne Berger a visité, pendant cinq ans, 500 entreprises appartenant à des secteurs aussi exposés à la concurrence internationale que l’informatique, le textile et l’automobile (2). Ils ont pu observer à quel point les conditions de production ont été bouleversées par la « modularisation », qui permet de découper les processus de fabrication en séquences indépendantes pouvant être réparties aux quatre coins de la planète. Pourtant, il existe de multiples manières de répondre à cette nouvelle donne. Alors que l’entreprise informatique Dell sous-traite l’intégralité de sa fabrication, souvent auprès de firmes taïwanaises, Sony et Sharp conservent une grosse part de la production dans leurs usines japonaises, misant sur leur capacité d’innovation pour compenser des coûts salariaux plus élevés. De même, alors que les emplois du textile semblent inexorablement migrer vers la Chine, les entreprises du nord de l’Italie continuent de produire essentiellement au pays : leur réussite repose tout autant sur la main-d’œuvre qualifiée qu’elles y emploient, que sur leur proximité avec Milan, capitale de la mode, qui leur permet de s’aligner plus rapidement sur les nouvelles tendances.
La diversité des modèles d’organisation traduit l’héritage singulier de chaque firme, cette longue accumulation de décisions managériales, de savoir-faire et d’expériences de travail, qui contraint les choix de l’entreprise tout autant qu’elle lui permet d’imaginer des solutions originales (3). Cette pluralité est cependant mise à l’épreuve périodiquement par la concurrence à l’œuvre dans chaque secteur. Elle est également menacée par les mécanismes du capitalisme financier. Les analyses en termes de capitalisme patrimonial soulignent à quel point la gestion des firmes peut être soumise à des normes comptables fort éloignées des nécessités industrielles, voire aux engouements qui saisissent périodiquement les marchés financiers (4). Un faisceau de travaux commence à mettre en évidence les logiques d’imitation qui se répandent dans les groupes industriels dès lors qu’ils doivent satisfaire des opérateurs financiers eux-mêmes sujets à des comportements moutonniers (5). « Une firme efficace est une firme qui délocalise » : lorsqu’une telle opinion se diffuse au sein de la communauté des investisseurs, elle peut s’imposer aux firmes qu’ils détiennent, quelle que soit la singularité de leur modèle.
Evidemment, le débat ne s’arrête pas là. Comme le souligne Olivier Bouba-Olga, il existe aussi une grande diversité de modes de financement des entreprises : le capitalisme patrimonial n’est que l’une des modalités de « gouvernance » des firmes (6). Toute la question est de savoir si elle est appelée à devenir dominante…

NOTES(1) Voir. B. Amable, Les Cinq Capitalismes. Diversité des systèmes économiques et sociaux dans la mondialisation, Seuil, 2005.
(2) S. Berger, Made in monde. Les nouvelles frontières de l’économie mondiale, Seuil, 2006.
(3) Voir S. Berger, op. cit., et D. Martuccelli, « Agir : le spectre des possibles », Sciences Humaines, n° 165, novembre 2005.
(4) Voir M. Aglietta et A. Rebérioux, Dérives du capitalisme financier, Albin Michel, 2004, et X. de la Vega (coord.), dossier « Les nouvelles formes du capitalisme », Sciences Humaines, n° 176, novembre 2006.
(5) Voir W.J. Henisz et A. Delios, « Uncertainty, imitation and plant location : Japanese multinational corporations, 1990-1996 », Administrative Science Quarterly, vol. XLVI, septembre 2001.
(6) O. Bouba-Olga, Les Nouvelles Géographies du capitalisme. Comprendre et maîtriser les délocalisations, Seuil, 2006.

Xavier de la Vega

Les leçons du professeur Stiglitz

« Bref, si la mondialisation a aidé certains pays – leur PIB, la somme des biens et services produits, a pu augmenter –, même en leur sein elle n’a pas aidé la plupart des gens. Peut-être la mondialisation est-elle en train de créer des pays riches au peuple pauvre. » Ce constat n’est pas le fait de José Bové, Lorri Wallach ou Vandana Shiva, altermondialistes français, américaine et indienne, mais du prix Nobel d’économie 2001, Joseph Stiglitz (1). Cela ne saurait surprendre : l’économiste formule depuis plusieurs années une critique sans concession des orientations des institutions internationales, du FMI à l’OMC, sans oublier l’organisme dont il a été pendant plusieurs années l’économiste en chef : la Banque mondiale. J. Stiglitz l’écrit tout de go : ces orientations favorisent les intérêts des grands pays industrialisés et de leurs firmes transnationales bien plus qu’elles ne servent les pays du Sud. Les seuls à avoir tiré leur épingle du jeu de la mondialisation sont ceux qui, comme la Chine ou l’Inde, n’ont jamais accepté le « consensus de Washington », ce cocktail de libéralisation, de privatisations et d’austérité monétaire dont l’acceptation conditionne encore l’aide aux pays en développement.J. Stiglitz se rangerait-il pour autant dans le camp des altermondialistes ? Au sens strict, oui : l’économiste plaide pour une autre mondialisation, rééquilibrant les rôles respectifs de l’action publique et du marché. Nombre de ceux qui se rangent derrière la bannière altermondialiste risquent cependant de pâlir en lisant son dernier livre, dont le titre original n’est pas Un autre monde, comme dans l’édition française, mais Make Globalization Work (faire fonctionner la mondialisation). Pour lui, les accords de libre-échange ne portent rien de néfaste intrinsèquement : s’ils ont aggravé la pauvreté des pays en développement, c’est qu’ils étaient injustes, protégeant les agriculteurs et les industries sensibles des pays avancés, tout en interdisant aux pays du Sud d’en faire autant. Le libre commerce, oui, à condition qu’il soit équitable.

Cette position est tout bonnement inacceptable pour tous ceux qui, de V. Shiva à Serge Latouche en passant par Walden Bello, appellent de leurs vœux une « déglobalisation », soit la promotion d’économies locales, assurant avant tout l’autosuffisance alimentaire des populations, en préservant l’environnement et la biodiversité. Elle apparaîtra en revanche insuffisante pour ceux qui, comme Tony Negri, aspirent à une mondialisation postcapitaliste, portée par des « multitudes » retournant les forces de l’« Empire » contre lui-même. Des idées bien étranges pour un prix Nobel d’économie – tout altermondialiste qu’il soit…

NOTE(1) J. Stiglitz, Un autre monde. Contre le fanatisme du marché, Fayard, 2006.

Xavier de la Vega

About GhjattaNera

prufessore di scienze economiche e suciale a u liceu san Paulu in Aiacciu

Category(s): COURS TES, REI et MONDIALISATION

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