les damnés de la dette par Paul Krugman

 

 

Krugman s’inquiète de l’apparition de signes déflationnistes dans l’indice mesurant le coût du travail, alors même que les USA n’en sont selon le Congressional Budget Office qu’au début d’une baisse de la production qui sera la plus longue et la plus forte depuis les années 1930. La tentation de sauver les meubles – se traduisant pour les entreprises par une réduction des prix et pour les travailleurs par l’acceptation de salaires révisés à la baisse, si elle peut sembler justifiable comme un pis aller à l’échelle individuelle, provoque sur l’ensemble de l’économie un dangereux processus de contraction de l’activité, encore amplifié par le fait que la baisse généralisée du niveau des prix et des revenus a pour conséquence d’alourdir le poids du remboursement des dettes. C’est là, dit-il, l’illustration de ces cas de figures bien connus des économistes où un comportement qui semble rationnel à l’échelle individuelle est désastreux pour la collectivité lorsqu’il est adopté par l’ensemble de ses acteurs. Fort bien, nous voilà avertis. Une question, tout de même : la concurrence mondialisée au moins-disant salarial, revendiquée comme indispensable à la performance économique durant la période précédant cette crise, ne présentait-elle pas cette même caractéristique ?

Paul Krugman, 30 janvier 2009

Dans un article célèbre publié en 1958 mon vieux professeur Jagdish Bhagwati avait décrit les conditions pouvant provoquer une « croissance de misère » [1]- une situation dans laquelle l’expansion de la production économique d’un pays, en baissant le prix de ses exportations, réduit du même coup son revenu réel. C’est là un exemple classique démontrant que des actes qui sont rationnels au niveau individuel peuvent pourtant parfois faire empirer la situation de tous (tout au moins à l’intérieur une économie nationale). Je préfère pour ma part la terminologie employée par Edgeworth, qui avait pointé cette éventualité plus d’un siècle auparavant, et parlait de nations qui sont « damnées » par leur expansion.

J’aborde ce point car je crains que l’élément clé de notre situation économique actuelle ne soit que nous soyons damnés sur de multiples fronts.

Le paradoxe de l’épargne en fournit l’un des exemples les plus connu : lorsque tout le monde essaie d’épargner plus dans une économie où les taux d’intérêt sont proches de zéro, les revenus chutent pour tout le monde et la situation empire. Le paradoxe du « deleveraging », du désendettement, est désormais bien connu lui aussi : lorsque toutes les banques vendent des actifs pour tenter de réduire leur exposition et la taille de leur bilan, cela a pour résultat une chute du prix de ces actifs et aggrave leurs problèmes de capitalisation.

Mais il existe au moins une autre forme de damnation qui m’inquiète vraiment : le paradoxe de la déflation. Une entreprise peut tenter de préserver son activité, ou un travailleur son emploi, en acceptant de baisser ses prix ou son salaire, mais quand tout le monde agit de même, cela produit une déflation de la dette – c’est à dire une augmentation de la charge réelle du remboursement de cette dette, qui pèse sur l’économie – et commence à induire des anticipations déflationnistes dans les décisions d’investissement et de crédit, ce qui déprime d’autant l’économie. Et une fois que l’on est pris dans le piège de la déflation, il devient très difficile d’en sortir.

A mon avis, le chiffre réellement effrayant publié aujourd’hui n’est pas celui du PIB, quoi que parfaitement mauvais, mais celui de l’indice du coût du travail, qui montre que les gains salariaux chutent rapidement. Les salaires ne sont pas déjà orientés à la baisse (bien que les réductions de salaires dans certaines entreprises sont plus fréquentes qu’à aucun moment depuis les années 1930), et nous n’observons pas pour l’instant de déflation réelle des prix à la consommation, mais nous nous en rapprochons. Et nous ne sommes pourtant que dans les premiers stades de la crise, selon le directeur du Congressional Budget Office, qui écrit :

en l’absence d’un changement dans la politique budgétaire, le CBO prévoit que l’écart entre la production et le potentiel de production de la nation sera le plus important, en durée et en valeur depuis la Dépression des années 1930.

Cela devrait vraiment être le point clé dans le débat sur la relance. Oui, les effets de la politique budgétaire sont incertains, oui, l’accroissement massif de l’endettement est risqué, mais ne rien faire serait encore plus risqué, car il y a une forte probabilité que si nous n’agissons pas fortement la déflation va s’installer dans l’économie. Nous pourrions être damnés si nous la faisons, mais nous serions à coup sur damnés si nous ne la faisons pas.

[1] immiserizing growth

About GhjattaNera

prufessore di scienze economiche e suciale a u liceu san Paulu in Aiacciu

Category(s): ARTICLE DE PRESSE

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