La marge, la foule et le libre arbitre en question

« Le capitaine et gardien de l’équipe de France Hugo Lloris brandit la Coupe du monde, à l’arrivée à Roissy le 16 juillet 2018 » photo Thomas Samson, AFP, La Dépêche, DR

Quelle marge a-t-on pour exprimer son libre arbitre lorsqu’il y a mouvement de foule ? Telle est la question que je me suis posée en voyant le résultat de la dernière coupe du monde de football. A Toulouse, La Dépêche annonce 200.000 personnes dans les rues de la ville pour fêter l’événement sportif.

Pour tenter d’y répondre, je m’appuie sur le travail du sociologue Jean Stoetzel, qui travailla en son temps sur la psycho-sociologie des foules. Le comportement des individus lorsqu’ils composent une foule est-il de l’ordre de l’individu ou bien d’autre chose ? Au-delà des phénomènes psychologiques qui caractérisent chaque individu, d’autres phénomènes d’ordre sociologiques ne sont-ils pas en jeu ? Voilà le genre de questions qu’il se posait.

Comme tout phénomène collectif, la foule exprime une somme d’individualités qui dépassent la psychologie individuelle. « Quand la conduite devient franchement collective, c’est après réception d’un message rationnel que tout le monde a reçu et compris en même temps : il y a simultanéité, non interaction » nous dit Jean Stoetzel en faisant la critique de ses prédécesseurs. En cela, il propose une autre vision des choses, car pour lui la psychologie individuelle n’est pas la même que celle des « hommes en foule ». « Le seul fait de faire partie d’une foule modifie l’individu » écrit-il. Dans le cas qui nous intéresse, l’équipe de France de football vient de gagner la coupe du monde. Le message est clair et rationnel, et la foule va s’organiser pour montrer sont contentement.

Les supporters en liesse (détail), photo La Dépêche, DR

« Placé dans une foule, même une assemblée d’élite, les individus les plus intelligents acquièrent une mentalité de barbares et de primitifs » nous dit-il encore. La foule agit comme un seul homme, pourrions-nous dire, et l’étude de quelques débordements nous permettra d’en mesurer l’importance. L’individu n’est plus maître de lui, et son libre arbitre a volé en éclat. Reprenant les analyses de Le Bon, Stoetzel démonte les mécanismes des mouvements de foule qu’il regroupe en trois thèmes que je reprends ici.

En premier lieu, l’unanimité, qu’il appelle loi mentale des foules. Il écrit que « dans une foule, les émotions, les convictions, les interprétations, les intentions, les actions des individus sont unanimes. Et cette unanimité s’accompagne de la conscience d’elle-même, entraînant comme conséquences le dogmatisme et l’intolérance, un sentiment de puissance irrésistible, et aussi une idée d’irresponsabilité. » « On a gagné ! » scandent les supporters de l’équipe de France. Quand on est dans une foule, on finit par perdre toute notion de responsabilité individuelle, une sorte d’ivresse nous envahie et notre libre arbitre disparaît. Mais c’est aussi l’agression de deux individus portant un drapeau « autre que le Français » qui sont pris à partie et agressés, comme le rapporte le témoignage d’un lecteur impliqué (voir l’article du 16 juillet). Dans ce cas, la foule fait obstacle à tout ce qui se positionne contre ses valeurs.

En second lieu, Stoetzel nous dit que « les individus en foule sont toujours sous le coup d’émotions, et ces émotions sont soudaines, simples, extrêmes, intenses et très changeantes ». Cela peut expliquer qu’une centaine d’individus se soient jetés du haut des ponts dans la Garonne, ou que certains individus se soient donnés en spectacle.

En troisième lieu, « les foules pensent et raisonnent, mais leurs pensées sont simplistes et leurs raisonnements rudimentaires ». Chaque supporter reprend à peu près les mêmes idées se résumant en « Ça fait tellement plaisir, c’est une belle France qu’on a. Tout le monde est joyeux, tout le monde est cool » ou encore « On est super fiers de cette équipe, ils sont vraiment devenus nos joueurs ». Les expressions marquent le ton et le prénom, l’âge et parfois la profession donnent ce sentiment que le collectif déborde des catégories sociales. Mais c’est aussi cet homme qui agresse une femme souhaitant entrer dans la fan zone, espace sans doute réservé aux hommes, tout du moins dans sa représentation. Posons-nous aussi la question de la représentativité de la population française dans cette démonstration patriotique.

Sans une enquête sociologique précise, il est difficile de faire ressortir certains aspects représentatifs d’une idéologie nationaliste. S’agit-il de phénomènes marginaux ou bien cet esprit est-il partagé plus largement ? Les français sont-ils les seuls à fêter cet événement mondial ?

Image de La dépêche publiée le 16 juillet 2018, republiée ici à titre scientifique et culturelle

Quelques débordements rapportés par la presse locale témoignent de ces comportements collectifs. L’étude des marges est ici signifiant. L’exemple des plongeons dans la Garonne du haut des ponts d’une centaine de « supporteurs » montre ce besoin d’imiter le meneur, forcément un homme. Notons au passage l’emploi du terme francisé qui n’est jamais utilisé au féminin (supportrice ou supporteuse). Le meneur est indispensable pour canaliser la foule et pour la guider. « La foule est un troupeau qui ne saurait se passer de maître » ajoute-t-il. Mais sans une enquête in situ nous ne reprendrons cette analyse qu’à titre spéculatif. Malgré tout, les nombreux matériaux diffusés par la voie de l’Internet permettraient une approche plus objective de ce phénomène. A chacun de s’en saisir…

 

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