Urbanisme tactique : une mise au point s’impose

Au moment du déconfinement en France, un plan de mobilité permet de développer les axes cyclables de manière temporaire pour favoriser l’utilisation du vélo en ville. Le Cerema (anciennement CERTU) proposait une visioconférence pour dresser un premier bilan des mesures d’aménagement mises en place en France.

 

 

Plusieurs interventions étaient titrées « urbanisme tactique » ce qui nous a fait sursauter, car ce terme se situe historiquement loin des instances gouvernementales.

L’urbanisme tactique se définit comme la mise en place par des groupes activistes, en opposition aux politiques publiques, d’une tactique destinée à améliorer les conditions de vie des habitants d’un secteur ou d’un quartier. Elle prend naissance à San Francisco au début des années 2000. Il peut s’agir de collectifs d’artistes et/ou d’architectes et/ou sociologues en lien avec les populations locales qui unissent leurs compétences à des fins de détournement des stratégies urbaines classiques mises en place par les collectivités. Ce sont des petits détournements des codes et des usages que l’on peut voir au détour d’un coin de rue, d’une place de parking ou d’une place publique. Les actions sont souvent de petites ampleurs, réalisées à partir de matériaux de récupération, ou d’objets précaires, et ne sont pas destinées à durer, même si l’idée derrière rejoint les questions écologiques et durables. Si au départ, il y a « une volonté de remise en question des politiques urbaines de la municipalité », les villes ont compris l’intérêt de faire alliance avec les collectifs pour mieux contrôler les possibles débordements (Barthes, 2016).

 

 

Agnès Barthes, lors de son séjour à Québec, a bien montré l’émergence de ce mouvement social et de son application dans les villes de Montréal et Québec. Petit à petit, une récupération des collectifs a eu lieu, ce qui permettait de désamorcer les foyers de luttes, qui est un principe de la récupération, tout en y associant une démarche participative.

Dans le cas qui nous occupe, si le caractère éphémère reste présent (surtout présent dans le peu coûteux), c’est qu’il a déjà été pensé, non pas comme la fin d’un processus de dénonciation mais comme la fin du dispositif, lorsque le déconfinement sera terminé. Les opérations ne doivent pas coûter chère car elles ne sont pas destinées à être pérennisées (hormis une ville comme Montreuil qui a décidé d’investir dans l’aménagement de réelles voies cyclables). Les actions sont vécues comme des tests, et comme des alternatives à la voiture, mais aussi aux transports en commun. Dans le même temps, les métropoles favorisent l’achat et la remise en état des vélos de sorte qu’elles misent sur un changement des comportements rapide et efficace. L’Etat propose 50 euros hors taxe pour la remise en état d’un vélo, et certaines villes comme Lyon doublent la mise.

 

 

Pourtant l’urbanisme tactique s’inscrit au départ dans une démarche contestataire. Or, cette particularité a été effacée de cette communication. Qu’en est-il lorsque les métropoles s’approprient ce terme ? La récupération du terme destiné à l’origine aux mouvements activistes se voit détournée de son sens premier. En quelques sortes, cela contribue à diminuer son intensité, à évacuer le côté contestataire, à renverser la fonction du terme par une appropriation injustifiée. Un économiste toulousain, Matthieu Poumarède, énonce les grands principes qui font que « l’urbanisme tactique, par le tracé de pistes cyclables temporaires et sécurisées, offre une réponse adaptée aux déplacements à vélo des travailleurs, mais aussi des enfants qui devront se rendre à l’école. » (Le Monde du 24 avril 2020).

Dans la plupart des articles, l’urbanisme tactique se résume à la mise en place de voies cyclables provisoires. Mais de quelle tactique s’agit-il ? Celle de la réappropriation d’une notion transgressive à des fins de marketing urbain ? Ici, il s’agit d’une stratégie et non d’une tactique, c’est-à-dire d’une forme d’imposition de plan d’urbanisme, comme le soulignait Agnès Barthes dans son mémoire, en se référant à Michel De Certeau :

« Michel De Certeau, dans L’invention du quotidien, oppose la tactique à la stratégie : « Les stratégies sont capables de produire, quadriller, imposer alors que les tactiques peuvent seulement les utiliser, manipuler et détourner.» Ce qui différencie la tactique de la stratégie, c’est le fait que la tactique utilise un terrain et des règles imposées pour créer des occasions et des surprises. « Il lui faut utiliser, vigilante, les failles que les conjonctures particulières ouvrent dans la surveillance du pouvoir propriétaire. […] Il lui est possible d’être là où on ne l’attend pas. Elle est rusée. » La tactique est là pour détourner les règles de la stratégie établie. »

En effet, l’urbanisme tactique ne peut être le fait du propriétaire, puisque c’est un acte en réaction à un ordre établi ou un dispositif imposé. En se réappropriant cette notion, les villes et les métropoles passent par-dessus les collectifs citoyens, démocratiques et participatifs. Ici, l’urbanisme tactique définit un urbanisme temporaire ou transitoire qui nous éloigne des premières intentions liées à cette notion.

 

=> Agnès Barthes, L’urbanisme tactique au Québec, de l’éphémère au long terme : l’urbanisme tactique à Québec et Montréal depuis 1990, ENSA de Toulouse, 2016

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