Baccalauréat blanc terminales L: Lorenzaccio

Question 1 (12 points):

« Du fond de sa solitude Musset nous adresse à tous, encore aujourd’hui, une série d’avertissements, et nous tend des miroirs. A nous de nous y regarder, si nous voulons, nous qui vivons au même titre que lui, en une époque où le passé est en ruines et l’avenir en gestation bien incertaine ».

Jean-Pierre Vincent

(Programme Festival d’Avignon 2000.).

Quelle lecture de la pièce révèle cette note d’intention écrite par Jean-Pierre Vincent en 2000 pour sa mise en scène de Lorenzaccio, dans la cour du palais des papes, lors du festival d’Avignon? Vous semble-t-elle rendre compte de tous les aspects de la pièce?

Question 2 (8 points)

Le personnage du duc n’est-il qu’une incarnation du mal et du vice ou peut-il paraître sympathique?

Corrigé de la question 1

Avant même les représentations, il est d’usage que le metteur en scène d’un spectacle dans la cour du palais des Papes en Avignon  présente son projet au public: interviews ou  rencontres sont alors organisées et la plupart des brochures sur le festival publie alors la « note d’intention » qui expose les orientations souhaitées de la mise en scène. C’est ainsi qu’en 2000, lorsque Jean-Pierre Vincent chosit de représenter Lorenzaccio, il écrit: « Du fond de sa solitude Musset nous adresse à tous, encore aujourd’hui, une série d’avertissements, et nous tend des miroirs. A nous de nous y regarder, si nous voulons, nous qui vivons au même titre que lui, en une époque où le passé est en ruines et l’avenir en gestation bien incertaine« .

Quelle lecture de la pièce révèlent ces propos? Rendent-ils compte de tous ses aspects? Pour répondre à cette question, nous verrons que ces affirmations suggèrent une lecture politique et sociale du texte, avant de nous demander si elles ne minimisent pas le caractère profondément pessimiste de celui-ci sur une éventuelle possibilité de progrès, ainsi que l’aspect intimiste et psychologique de l’intrigue qui se joue entre Lorenzo et le duc.

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Jean Pierre Vincent établit un parallèle entre l’époque de la création, 1834 et l’époque contemporaine, 2000. Il relit la pièce en mettant en évidence les correspondances qui existent entre la situation politique et sociale vécue par Musset et celle de notre temps. Il évoque le même « passé en ruines » et la même incertitude concernant l’avenir. L’emploi de la première personne du pluriel « nous adresse, « nous tend« , « nous qui vivons » invite à une réfexion qui porte sur la collectivité. Ainsi Jean-Pierre Vincent reprend à son compte la définition du théâtre tromantique: parler du présent par le biais de l’histoire.

Musset, lui-même, a choisi de parler de son époque en ayant recours à un épisode de l’histoire florentine au XVI ème siècle. S’il reprend l’essentiel de la trame historique, l’ajout de certains personnages lui permet de mieux évoquer la réalité du XIX ème siècle. Ainsi l’intrigue Cibo et la création du personnage du cardinal, grand vainqueur puisque c’est bien lui qui permet l’accession au pouvoir de Côme I, apparaît comme une vive critique de l’Eglise et du rôle politique qu’elle joue depuis la Restauration. Les multiples anachronismes de la pièce, l’évocation du « bonnet de la liberté« , c’est-à-dire du bonnet phrygien, des banquets patriotiques, de la barbe coupée comme signe de ralliement républicain, du titre de Côme (« gouverneur de la République florentine« ; rappelons que Louis-Philippe en 1830 est d’abord nommé « lieutenant général du royaume« ) témoignent de cette volonté critique, quant à la situation politique et sociale d’un état où règnent censure et répression, alors que les espoirs déçus de la révolution de 1830 sont de plus en plus nombreux

L’incertitude de l’avenir et la ruine du passé caractérisent également la génération des romantiques, comme Musset en témoigne lui-même dans La Confession d’un enfant du siècle. Ce trouble se voit également dans Lorenzaccio: le souvenir idéalisé des premiers temps de la République florentine, rappelé par le père Mondella à l’acte I (Florence, comme « une bonne maison bien bâtie« , portée par des piliers solides) se confond avec la vision mythique des premiers temps de la République romaine, où Brutus réussissait à chasser le tyran, Tarquin le Superbe.  Mais cette époque est révolue: Florence est maintenant le jouet des puissances extérieures, soumise aux influences rivales de Charles Quint et de la papauté, Clément VII ou Paul III.

 Cependant, en parlant « d’avertissements » et de » miroirs« , Jean-Pierre Vincent suggère que Lorenzaccio pourrait être lue comme une mise en garde destinée à réveiller les consciences des spectateurs ou des lecteurs. Ce qui pose la question d’une possible évolution. Or il faut bien dire que la pièce reste très pessimiste: la mort du duc ne sert à rien, il est aussitôt remplacé par un autre pouvoir tyrannique, celui de Côme I, installé à Florence par le cardinal Cibo qui manoeuvre dans l’ombre pour arriver à ses fins. Certaines mises en scène, comme celle de Georges Lavaudant choisissent de faire jouer Alexandre et Côme par le même acteur, ce qui accentue cette impression de stagnation.

De fait la pièce met en cause toutes les catégories sociales: les républicains n’agissent pas et se contentent de parler, les commerçants recherchent leurs intérêts, le peuple essaie de survivre en acceptant toutes les compromissions. Seuls les étudiants sont prêts à mourir, comme le montre la scène 6 de l’acte  V, mais là encore leur mort est inutile.

Les propos de Lorenzo lui-même sur la nature humaine nient ainsi toute possibilité d’amélioration ( ce que Philippe Strozzi conteste, mais son inexpérience de la vie discrédite ses propos[i]): la lâcheté et la cupidité caractérisent les hommes, et le héros a découvert ainsi « la monstrueuse nudité de l’humanité« . Il met particulièrement en cause « le bavardage humain« , qui produit des discours mais peu d’action. Lors de sa première rencontre avec Philippe à l’acte V, Lorenzo résume son opinion sur les hommes:  » Je les connais. je suis très persuadé qu’il y en a très peu de très méchants, beaucoup de lâches, et un grand nombre d’indifférents« . On pourrait penser que le pessimisme de Lorenzo n’est pas celui de Musset, mais la scène qui met aux prises les enfants Strozzi et les enfants Salviati appuie encore cette idée de répétition éternelle, sans évolution possible: personne ne change, tout continue comme auparavant. A cet égard, il semble que Jean-Pierre Vincent évacue un peu vite le désespoir absolu de la pièce qui ne permet  d’espéreraucun changement politique ou social.

La lecture proposée ici semble également évacuer le caractère intimiste de la pièce. Car le personnage de Lorenzo et la complexité de ses relations avec le duc peuvent être envisagés comme le moteur essentiel de l’action. Lorenzaccio serait ainsi une aventure intime et personnelle, qui devrait plus à la psychologie qu’à l’état d’une société historiquement déterminée.

La fascination réciproque qu’exercent l’un sur l’autre Lorenzo et le duc  joue sur l’antagonisme de leurs personnalités. Médicis légitime, lettré et savant, présenté comme délicat,  Lorenzo est en tout point le contraire de son cousin Alexandre, fils illégitime, surnommé « Le maure » à cause de son teint métissé,  considéré comme une force de la nature et une brute affirmée. La dissimulation de l’un s’oppose à la franchise de l’autre, comme n’hésite pas à l’affirmer Lorenzo: « Si vous saviez comme cela est aisé de mentir impudemment au nez d’un butor! Cela prouve bien que vous n’avez jamais essayé » (acte II, scène 4).

De cette fascination, on passe facilement à la rivalité: si le duc humilie Lorenzo, en le forçant à la lâcheté à a vue d’une épée, celui-ci se venge « avec son petit couteau »: « Est-ce toi, Renzo? Seigneur, n’en doutez pas ». Certaines mises en scène ont choisi de privilégier cet aspect de la pièce. Ainsi dans la mise en scène de G. Lavaudant, Les relations entre les deux cousins sont présentées comme ouvertement homosexuelles, et le meurtre perd son sens politique pour devenir règlement de comptes et fait divers. La mise en scène de Michel Bellante, qui transpose la cour de Florence dans un univers maffieux relève du même processus: elle met en oeuvre le foctionnement d’une société clanique où s’affrontent les fortes personnalités de ceux qui aspirent au pouvoir. La portée politique est évacuée au profit de l’étude du comportement psychologique des individus dans un cercle fermé qui tire sa force de l’exercice de la violence.

Ainsi en metteur en scène chargé de représenter la pièce, Jean-Pierre Vincent opère des choix: il ne rend pas compte de tous les aspects de la pièce, mais il met en avant ce qui lui semble essentiel: les échos qu’il voit entre 1834 et 2000, le chaos d’un présent qui comprend que le passé est révolu, mais qui n’a aucune idée de l’avenir, la nécessité d’un théâtre politique, qui sans donner de réponse aux spectateurs l’incite à s’interroger.

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Cour du plais des Papes 2013

Note d’intention

(Programme du Festival d’Avignon)

Aborder Lorenzaccio est un redoutable privilège, un pari devant lequel on demeure longtemps songeur, avant de s’y lancer. Quand on s’y lance, c’est une aventure sur tous les plans. Alfred de Musset a rêvé en 1833 une pièce excédant toutes les normes et tous les codes de son temps, y compris ceux de la génération romantique en pleine ébullition. Il a plongé dans une histoire de l’Histoire, celle de l’assassinat en 1536 du tyrannique Alexandre de Médicis par son cousin Lorenzo. Il a suivi pas à pas les détails fourmillants des chroniques historiques. Cependant il a produit l’œuvre la plus personnelle et la plus véritablement déchirée de notre romantisme. Le Léviathan politique que nous présente Lorenzaccio est un monde luxuriant et noir. Ici, pas d’heureux dénouement qui, malgré la mort du héros, nous réconcilierait. Du fond de sa solitude, Musset nous adresse à tous – encore aujourd’hui – une série d’avertissements, et nous tend des miroirs. A nous de nous y regarder, si nous voulons, nous qui vivons au même titre que lui, en une époque où le passé est en ruines et l’avenir en gestation bien incertaine. La Florence imaginaire de Musset ressemble en bien des points à la France des années 1830, telle qu’il l’a vécue : cette invasion ecclésiastique, cet étalement de la corruption, cette humiliation après les gloires napoléoniennes, ce sentiment d’étouffement de la jeunesse. Mais c’est aussi par là qu’elle se projette vers l’avenir et nous rejoint. Lorenzo, ange et pourriture, concentre en lui la tension centrale qui traverse toute la pièce et les autres personnages : d’un côté la corruption omniprésente, de l’autre l’angélisme étouffé qui anime tous ceux qui voudraient “faire quelque chose”. La réponse finale de Musset n’est pas optimiste, mais avons-nous besoin d’optimisme, ou bien de franchise ? Et avons-nous besoin de théâtre bien ficelé, ou de ce genre de monstre qui file dans plusieurs directions à la fois, qui se fiche pas mal des unités de temps, d’action, de lieu, qui fonce tête baissée dans les sécurités de l’écriture classique. Peu importe à Musset ce qui en résultera : son théâtre est irrecevable en son temps. C’est à l’avenir qu’il prétend s’adresser. Son imprudence/impudence s’est donné quelque chance de vibrer encore longtemps.
Jean-Pierre Vincent

Question 2

Le personnage du duc est-il une incarnation du mal et du vice ou peut-il paraître sympathique ?

Pontormo_alexandre de medicis

Pontormo, Alexandre de Médicis (1535-1536)

Collection Johnson, Philadelphie

Fils illégitime dans la famille des Médicis (soit celui du pape Clément VII, Jules de Médicis, soit celui de Laurent II de Médicis), Alexandre de Médicis, également surnommé le « Maure » à cause de ses caractéristiques physiques a régné sur Florence de 1530 à 1537, soutenu à la fois par la papauté et par Charles Quint dont il avait épousé l’une des filles. Qualifié de « brutal, inculte et débauché » dans l’article de l’E.U qui lui est consacré, il apparaît comme « un despote ». Musset en écrivant Lorenzaccio a-t-il composé un personnage à l’image de cette réputation ? N’est-il qu’une incarnation du mal et du vice ou peut-il apparaître sympathique ? Pour répondre à cette question, nous verrons que certains éléments nuancent la noirceur du modèle original, mais que le duc relève bien de l’image traditionnelle associée à la tyrannie.

Tel qu’il apparaît dans Lorenzaccio, Alexandre manifeste certains traits de caractère qui peuvent le rendre sympathique aux yeux du public. A l’inverse des autres personnages, il n’est ni hypocrite, ni lâche, même s’il tient son pouvoir de l’empereur Charles Quint et du pape Clément VII. Il se présente comme un « soldat », ce qui justifie son port de la cotte de mailles. Doté de prestance et de force physique, il est présenté comme « un sanglier » (III,2) ou « un gladiateur » (IV, 5) par Lorenzo. Son goût de la chasse s’inscrit dans cette même perspective.

Sa « bâtardise » qui est souvent évoquée comme un défaut joue pratiquement un rôle inverse vis-à-vis du public actuel : le fait qu’il occupe le pouvoir apparaît comme une revanche méritée face à l’aristocratie orgueilleuse, médiocre et dégénérée de Florence. Il ne semble pas du tout s’intéresser à la politique, se contentant de la place qu’il occupe pour satisfaire ses envies. L’important pour lui reste que les impôts rentrent, ainsi qu’il l’affirme à la marquise Cibo, et que son pouvoir ne soit pas contesté par les républicains. Il n’a rien de machiavélique ni de calculateur. Il est même prêt à défendre Lorenzo contre le nouveau pape, Paul III : « J’aime Lorenzo, moi, et par la mort de Dieu, il restera ici » (I, 4). Son cousin le reconnaît d’ailleurs : « Il a fait du mal aux autres, mais il m’a fait du bien, du moins à sa manière ». Il en est de même quand il s’agit de ses « amis » ou compagnons : il est prêt à venger Salviati dès qu’il apprend l’attentat dont il a été victime.

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Alexandre de Médicis

Il n’est pas présenté comme particulièrement cruel dans la pièce elle-même : quand Giomo lui demande s’il faut tuer Maffio pour le faire taire, il refuse et se contente de lui donner de l’argent : « Allons donc ! Frapper ce pauvre homme ! Va te recoucher, mon ami ; nous t’enverrons demain quelques ducats » (I, 1). De même, avec la marquise Cibo, il ne se montre ni méprisant, ni insultant, alors même que la jeune femme met en avant les incohérences de son comportement en tant que duc de Florence. Il s’excuse presque de partir : « Ne te fâche pas, si je te quitte à présent, il faut que j’aille à la chasse ».

Plusieurs mises en scène en font d’ailleurs un personnage plutôt sympathique en le présentant avant tout comme un homme sensuel, fougueux, plein d’une vitalité qui n’est pas celle de son cousin. Bien sûr, il apparaît alors un peu frustre, sans aucune méfiance (il n’a aucun soupçon envers Lorenzo, alors que les indices sont nombreux), ou du moins ne voulant pas s’attarder à réfléchir sur le sujet.  Il est vraiment celui qui aime « le jeu, le vin et les filles », et les interprètes du duc sont souvent des comédiens grands dont le costume et la gestuelle accentuent le caractère athlétique et emporté. On peut citer en particulier Richard Fontana, dans la mise en scène de Georges Lavaudant, ou même Jean-Luc Boutté dans celle de Zeffirelli, pour lequel la référence au portrait de François I par Clouet s’imposait.

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Richard Fontana, mise en scène de Georges Lavaudant

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Jean-Luc Boutté dans la mise en scène de Zeffirelli.

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Jean Clouet (1535) : François I

Cependant il est la figure du tyran et à cet égard, il en a les caractéristiques. Depuis l’Antiquité, le tyran est celui qui n’obéit à aucune loi, sinon à ses désirs personnels. Aussi il se définit par la débauche et la violence.

La débauche est évidente dans le cas d’Alexandre et Lorenzo est explicite : « pour devenir son ami et acquérir sa confiance, il fallait baiser sur ses lèvres épaisses tous les restes de ses orgies ». Dans la pièce même, le duc enlève Gabrielle (âgée de 15 ans), séduit la marquise Cibo, espère coucher avec Catherine. Et si Salviati s’intéresse à Louise Strozzi, c’est probablement comme entremetteur d’Alexandre : « Salviati n’en voulait pas à cette pauvre fille pour son propre compte ; c’est pour le duc qu’il travaillait » (III,7). Lorenzo travaille aussi pour le duc, il s’est occupé de débaucher Gabrielle et visiblement il est toujours à la recherche de jeunes filles destinées aux plaisirs du duc (voir acte III, scène 3). Cette immoralité du personnage se retrouve dans son comportement vis-à-vis de la religion, entre indifférence et  mépris. Il jure « par la mort de Dieu » et lors du carnaval, il se déguise en religieuse. « Cet habit coquet de nonne » lui va  « à ravir », selon la formule du cardinal Cibo.

Quant à la violence, elle est largement évoquée. Les exilés sont nombreux, comme l’affirme Philippe Strozzi: « Dix citoyens bannis dans ce quartier-ci seulement » et la garnison allemande installée dans la forteresse permet au duc d’affirmer sa puissance. Lui-même est décrit comme brutal. Giomo affirme avoir vu le duc « tuer un homme d’un coup plus d’une fois » (II, 6) et Lorenzo affirme devant Tebaldeo qu’il « lui est arrivé de commettre, par partie de plaisir des meurtres facétieux » (II, 2). De fait, le jeune homme craint d’affronter le duc seul, sachant la force du personnage et demande l’aide de Scoronconcolo. Les qualificatifs qui sont donnés au duc « un garçon boucher », « ce gladiateur aux poils roux », « un sanglier » suggèrent aussi cette même violence. La précision « aux poils roux » accentue la brutalité du personnage, la rousseur étant (dans un imaginaire relevant de seuls préjugés) connotée très péjorativement comme preuve d’un tempérament violent et porté sur le sexe. Sa grossièreté est également manifeste comme le marque sa manière de jurer très fréquemment: « entrailles du pape » (I, 1), « sacrebleu » (I 1), « Pardieu » (I, 4) « corps de Bacchus » (I, 4)

Au final, il est bien présenté comme le tyran qui a plongé les familles florentines dans le deuil et les larmes. Il est assimilé à Tarquin le Superbe, modèle même de la tyrannie, puisqu’il la porte dans son nom même (Le Superbe est à prendre au sens d’orgueilleux, et méprisant vis-à-vis du peuple). Reste, bien sûr, que cette violence n’est pas montrée dans la pièce, et dès lors c’est la mise en scène qui va opérer ses choix : le personnage du duc ne prend son sens que dans la relation qui l’unit à Lorenzo. Et tour à tour, on peut voir dans celui-ci un tyran sanguinaire qu’il faut abattre, un petit chef maffieux victime d’un règlement clanique, ou la victime « d’une attraction fatale » qui le porte vers Lorenzo et qui lui vaudra d’en mourir.

Documents complémentaires :

« Attraction fatale

Le spectacle tient sur les épaules du duo Alexandre-Lorenzo. Richard Fontana est un condottiere plus redoutable que ridicule, une force de la nature, un boulimique, un reitre odieux autant que séduisant, un bâtard qui n’en est pas revenu d’être là où il est, vaguement culpabilisé et dont les forfanteries, le cynisme criminel cachent à peine les inquiétudes. Surtout, il est fasciné par le bel adolescent né avec une cuiller d’argent dans la bouche, réellement raffiné, cultivé, naturellement pervers, et qui, lui, est fasciné par la brutalité épicurienne de l’homme fait pour agir et pour commander. Oiseau noir aux yeux exagérément cernés, poupée aux lèvres trop dessinées, masque mortel, Redjep Mitrovitsa est le seul à ne pas devoir pousser son personnage aux limites de la caricature. Il porte en lui la beauté funèbre de Lorenzo, la force de ses belles mains maigres, sa fragilité de jeune homme sans enfance, sa violence. Cette violence sans faille qu’il donne à Lorenzo. Entre Alexandre et lui existe une attraction qui les dépasse, dont ils ne peuvent se défaire, dont ils pressentent le caractère fatal et dont le Cardinal Cibo, qui guette et surveille, saura tirer profit. Jean-Luc Boutté, magnifique, perdu dans la pourpre, visage maigre, oeil rapace, donne le juste ton d’insolence, la juste distance d’ironie envers cette intrigue échevelée, déchirante, et par moments vertigineuse.

Colette Godard, Le Monde, 28 Octobre 1989

http://www.lettresvolees.fr/musset/documents/Le_Monde_28_10_1989.pdf

« Reléguant au second plan l’histoire florentine et l’aspect politique de l’œuvre, Georges Lavaudant « recentre l’action sur Lorenzo », en envisageant le meurtre du duc sous l’angle du fait-divers : « Il y a chez le duc un désir de mort, un désir de se faire tuer par Lorenzo ». Une relation perverse et tragique qui conduit au meurtre dans « un climat de déliquescence : la vie est minable, les fêtes sont minables… personne n’en sort indemne ». Peu de « couleur locale », donc, selon l’aveu même de Georges Lavaudant, et pas de grand spectacle historique, mais un drame intime et existentiel: telle est la vision de  Lorenzaccio que la mise en scène va s’efforcer de rendre sensible et vivante au public.

Pour rendre sensible le « climat de déliquescence » dans lequel il veut situer la pièce, Georges Lavaudant et son scénographe-costumier Jean-Pierre Vergier ont opté pour un décor unique et abstrait qui n’a pas la fonction de représenter (comme chez Émile Fabre ou Franco Zeffirelli) les lieux indiqués par Musset, mais celle de créer une atmosphère symbolique. L’espace est fermé au lointain par un mur sombre piqueté d’étoiles, et troué de six portes dérobées légèrement inclinées vers cour. Le sol est carrelé de marbre sombre aux veinures très marquées. À cour, une immense statue (4,50 m de haut et 3,50 m d’envergure) d’après une peinture de Michel-Ange à la Chapelle Sixtine, est accrochée aux cintres. Elle peut descendre et remonter de deux mètres. Un bras de pierre est posé au sol en avant-scène cour, sous la statue, pouvant servir de banc dans certaines scènes. Enfin, un lourd rideau de velours rouge, volontairement usé, peut isoler l’avant-scène. L’état du décor allait en se dégradant de jardin à cour. Au lointain, derrière le mur, un tulle permettait de suggérer un ailleurs et d’ouvrir l’espace grâce aux éclairages ».

http://www.comedie-francaise.fr/images/telechargements/dossier_lorenzaccio.pdf


[i] « La corruption est-elle donc une loi de nature ? Ce qu’on appelle la vertu, est-ce donc l’habit du dimanche qu’on met pour aller à la messe ? le reste de la semaine, on est à la croisée, et, tout en tricotant, on regarde les jeunes gens passer. Pauvre humanité ! quel nom portes-tu donc ? » (Acte II, scène 1).

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