L’âge d’or, Ovide, Les Métamorphoses

Traduction du texte: livre I vers 89 à 112 (Manuel p.136)

D’abord fut semé l’âge d’or, qui, sans personne pour punir, spontanément, sans loi, cultivait la loyauté et la droiture. Les châtiments et la crainte étaient absents, aucune parole menaçante n’était lue sur les tables de bronze affichées, nulle foule suppliante ne craignait le visage de son juge, mais sans personne pour le défendre, chacun était en sécurité.

Le pin, qui n’avait pas encore été abattu de ses montagnes, pour visiter un monde étranger, n’avait pas descendu les flots liquides. Aucun mortel n’avait connu d’autres rivages que les siens.Des fossés aux pentes abruptes n’entouraient pas encore les places fortes. La trompette de bronze droit, le cor de bronze recourbé, les casques, l’épée n’existaient pas: sans recours à l’armée, les peuples tranquilles vivaient dans une douce oisiveté.

Cornouilles


La terre, elle-même, également dispensée de toute charge, non touchée encore par le rateau, non blessée encore par le soc de la charrue, donnait tout d’elle-même. Rassasiés de nourritures produites sans que personne n’use de contraintes, les hommes cueillaient les fruits de l’arbousier, les fraises des montagnes, les cornouilles,  les mûres attachées aux ronces épineuses, et les glands qui tombent du grand arbre de Jupiter.

Arbouses

Le printemps était éternel, et les doux zéphyrs caressaient de leurs souffles tièdes les fleurs nées sans avoir été semées. Bientôt même la terre, sans avoir été cultivée, portait des récoltes et le champ, sans avoir été remis en état, blanchissait de lourds épis. Des fleuves couraient, tantôt de lait, tantôt de nectar, et le miel blond tombait goutte à goutte de la verte yeuse.

Yeuse (Quercus ilex)

A propos des instruments de musiques: E. Rossier, La musique dans l’empire romain, publication en ligne, Chronozones, (la revue de l’Institut d’Archéologie et des sciences de l’Antiquité  de l’université de Lausanne)

MUSIQUE MILITAIRE

La vie quotidienne des soldats romains, tout comme chaque fête militaire ou bataille, était accompagnée du son des instruments à vent. La musique avait deux rôles principaux: elle servait premièrement à donner différents signaux lors du service et deuxièmement à accompagner des cérémonies pour donner le rythme lors de marches ou stimuler les soldats et le peuple. On a longtemps pensé que la musique militaire n’était qu’utilitaire. […]Les sources mentionnent souvent le classicum, un hymne joyeux joué par tous les musiciens d’une légion ou d’une armée. Il a dû exister un type de «marche musicale», comme on peut en entendre aujourd’hui, dans nos fanfares villageoises. Nous n’avons aucun moyen de savoir à quoi ressemblait cette musique. Nous possédons quelques vagues descriptions des auteurs antiques, mais aucune mélodie ne nous est parvenue.

Lituus

Les différentes trompettes et cors produisaient un son bien distinct qui facilitait la reconnaissance des signaux aux soldats. Le lituus, un long tuyau légèrement recourbé, produisait un son haut et strident, le cornu, ancêtre du cor, hérité des Etrusques avait un son grave et sombre et la tuba, instrument national, dont la trompette est la descendante probable, produisait un son décrit comme terrifiant. Les instruments reconstruits lors d’expérimentations archéologiques, notamment la tuba et le cornu, ont une très belle sonorité. Seul le lituus n’est pas très agréable à entendre.

Colonne Trajane: joueurs de trompette

La tuba occupait la place la plus importante parmi les instruments militaires romains. Elle servait à donner le signal du réveil, de rassemblement, d’alarme, d’attaque, de retrait. Elle commandait le comportement de base des soldats. Une tuba en bronze a été retrouvée en Pannonie, à Zsámbék. Il ne lui manque que l’embouchure, sa longueur est de 1,28 m. C’est une découverte exceptionnelle, car on n’en retrouve généralement que quelques fragments en os ou en bois.

Cornu

Le cornu est l’instrument le mieux documenté à l’heure actuelle. Il est très présent dans l’iconographie: sur la colonne trajane, sur des pierres tombales et sur bien d’autres monuments, mosaïques  ou peintures murales. Il dirigeait les mouvements sur le champ de bataille comme les formations de marche ou de combat. Les actions d’attaque étaient accompagnées par le cornu et la tuba ensemble. Il semble que le cor ait été moins utilisé pour les divers mouvements dans le camp lui-même.

La bucina  qui se rapproche de la tuba, aurait servi à signaler les changements de tours de garde. Il apparaît qu’elle était l’instrument de la cavalerie avant tout. Ces instruments avaient un rôle principalement militaire. Dans la vie civile, on ne les retrouvait que lors de manifestations publiques.

Commentaire

Introduction :

Décrit par le poète grec Hésiode, au VII siècle avant JC, l’âge d’or occupe une place importante dans la poésie latine : nombreux sont en effet les poètes latins qui ont évoqué cette période idéale de l’humanité, qu’il s’agisse de Virgile (aussi bien dans les Géorgiques que dans les Bucoliques, qui interprète parfois le triomphe d’Auguste comme un retour de l’âge d’or), de Tibulle, ou d’Ovide, qui dès le livre I des Métamorphoses consacre une longue évocation à ces quatre âges successifs, qui auraient vu de défaire progressivement le bonheur et la vertu humaine. De quelle manière Ovide traite-il le thème ? Quelle originalité manifeste-t-il dans le traitement de ce qui est presque en train de devenir un cliché passéiste ?

I Un monde en creux : l’âge d’or et l’âge de fer

Caractère fréquent des évocations de l’âge d’or, la multiplication des formules négatives fait de ce monde un monde en creux, dont l ‘âge actuel, période de décadence et de dégénérescence constitue le positif. De fait l’âge d’or semble bien en peine d’exister sans l’âge de fer, qui en constitue le repoussoir.

Emploi des négations : « non » x 4 (vers 13 et 14), « nec » (et ne…pas) x 3 (vers 6, 7, 25), « nondum » (pas encore : le terme ajoute une notation temporelle) x 2, noter que le terme est à chaque fois utilisé au début du vers.

Emploi de l’adjectif indéfini nullus, a, um :

(ou de sa variante avec négation préalable : « nec…ullus) : vers 1 : « vindice nullo » ; vers 11 « nullaque…litora » ; vers 16 : « nec ullis …vomeribus » ; vers 18 : « nullo cogente ».

Emploi de la préposition sine (+ablatif : sans) :

Vers 5 : « sine lege » ; vers 8 : « sine vindice » ; vers 14 « sine militis usu » ; vers 23 : « sine semine ».

Emploi d’adjectifs avec préfixe négatif in :

Vers 16 : « immunis » ; vers16 : « intacta » ; vers 24 : « inarata ».

Emploi du verbe absum (être absent) : vers 6 : « aberant ».

L’utilisation de ces négations suggère que l’âge d’or était un monde d’absence, d’ignorance de ce qui est considéré comme mal (subi ou commis). L’âge de fer marque l’aboutissement  d’un processus qui associe la déchéance morale et la connaissance (Noter l’utilisation du verbe « nosco » au vers 11 et de la proposition finale « peregrinum ut viseret orbem »).

II La déchéance morale

Lorsqu’il aborde cette évocation de l’âge d’or, Ovide met en évidence avant tout la vertu morale, qu’il décline en deux termes : « fidem » la loyauté, le respect de la parole donnée, qualité très prisée des Romains, et « rectum », la droiture. Il faut bien sûr se souvenir qu’à l’époque d’Ovide, le souvenir des guerres civiles demeure très présent, et que ces deux qualités ne caractérisaient pas cette période). En effet, par le jeu des négations  Ovide dresse le tableau d’une époque contemporaine très sombre où seule la peur et la violence retiennent les hommes de faire n’importe quoi.

  • « metus » au vers 3 ; « verba minantia » au même vers, « timebat » vers 7  voire même « judicis ora sui » (« le visage de son juge » : image inquiétante).
  • « poena » : les châtiments : le terme est placé en tête de vers.

Il semble que dans ce passage Ovide oppose les hommes (« supplex turba », l’expression pourrait être un peu méprisante) à un « chef », seul capable actuellement de faire régner l’ordre. Car si Ovide mentionne la loi (« lege » vers 2 ;  « verba…fixo aere », les paroles fixées par le bronze, i.e les lois écrites), c’est la mention d’un individu qui encadre toute cette évocation : « vindice nullo » au vers 1, « sine vindice » au vers 8 .

De cette déchéance morale sont nées deux fléaux : la navigation et la guerre.

La navigation est évoquée par la métonymie « pinus », le pin, et l’on sait à quel point les Romains n’aimaient guère s’aventurer en mer. Ainsi cette navigation apparaît ici comme totalement contraire à l’ordre naturel des choses, dans la mesure où elle conduit à associer des éléments contraires qui n’auraient jamais dû se rencontrer : la montagne, les pins, la mer. Le vers 10 qui place côte à côte ces éléments semble mimer le chaos de leur rencontre :

« Montibus in liquidas pinus descenderat undas »

(le verbe descendo est un terme qui évoque un mouvement vers le bas et donc une forme de déchéance).

Pour parler de la guerre, Ovide a recours à l’énumération : « oppida », « fossae », « tuba », cornua », « galeae », « ensis ». La répétition de « non » accélère aussi le rythme. Ainsi la description se resserre pour aboutir à la singularité d’une arme violente « ensis »,  et en quelques mots le poète suggère deux camps ennemis et le combat prêt à commencer (Noter la mention assez judicieuse des instruments de musique, la trompette droite ou le cor recourbé pour donner cette impression d’une bataille imminente).

Mais si l’ignorance de tous ces fléaux caractérisait l’âge d’or, quelle était la vie des hommes d’alors ? En fait, on s’aperçoit qu’Ovide mentionne peu l’humanité ici, car ce qui semble caractériser cette période heureuse, c’est avant tout une terre généreuse, qui offre aux mortels la satisfaction de tous les sens.

III l’âge d’or de la Nature

La terre est ici mentionnée par deux fois, avec le terme de « tellus » (vers 17 et 24). L’emploi de « ipsa », renforcé par l’expression « per se »  et associé au vers « dabat » , amorce la personnification de la Terre, personnification qui est renforcée par la gradation des adjectifs « immunis », « intacta », « nec…saucia » (les termes évoquent de plus en plus l’idée d’une blessure faite à la terre. Voire d’un viol ? Il s’agit d’annoncer ici ce que sera l’agriculture). Se dessine donc l’image d’une terre-mère, nourricière des hommes qui finiront par s’attaquer à elle et la détruire.

Tout semble pourtant fait pour la satisfaction de tous les sens ! Ovide insiste sur le climat : il évoque un printemps « éternel » (vers 22), et multiplie le vocabulaire de la douceur : « placidi zephyri » (le zéphyr est un vent du sud agréable), « tepentibus auris », « mulcebant » (vers 22 et 23).

La vue, quant à elle, se satisfait des fruits et des fleurs (« flores » au vers 23) ainsi que des couleurs que suggère la mention des arbouses, des fraises, ou des mûres, ou que disent explicitement des termes comme « canebat » (blanchir), « flava » (blond) ou « viridi » (vert).

Mais bien sûr, c’est l’abondance de la nourriture qui demeure essentielle dans cette présentation de l’âge d’or : nourriture exclusivement végétarienne, d’abord des fruits : les arbouses (« arbuteos fetus »), les fraises des montagnes (« montana fraga », fraises sauvages »), les cornouilles (« corna »), les mûres (« mora »), les glands (« glandes »). Il faut remarquer ici que ce n’est pas la production qui apparaît comme miraculeuse, mais son abondance (la description sur 3 vers donne cette impression de nombre).

Plus surprenant malgré tout, la production des moissons sans aucun travail préalable :

« M?x ?t?/?m fr?/g?s //t?l/l?s ?n? /r?t? f?/ r?b?t » (vers 24)

L’adverbe de temps (« mox ») met l’accent sur la rapidité de cette croissance, et la coupe du vers isole le terme de « fruges » (les moissons). Le vers suivant appuie cette abondance avec l’emploi de l’adjectif « gravidis » (dans l’expression « gravidis aristis »).

Quant à la fin de cet extrait, elle aboutit à une sorte de merveilleux, en mentionnant les fleuves de lait, de nectar ou le miel coulant goutte à goutte. La répétition du terme de « flumina » (hyperbole) , l’emploi du verbe eo (« ibant »), ou  de l’expression « jam …jam » (tantôt…tantôt) accentuent l’impression d’abondance, et les allitérations en f, l, r  suggèrent également la fluidité.

Flumina jam lactis, jam flumina nectaris ibant

Flavaque de viridi stillabant ilice mella.

Ainsi, on le voit dans cette description d’une terre généreuse, Ovide se détache progressivement du vraisemblable pour dessiner une image totalement paradisiaque et il ne faut pas s’étonner du succès de cette page auprès de nombreux peintres et illustrateurs.

Conclusion

Ainsi, si l’on retrouve chez Ovide, les caractéristiques de l’âge d’or telles que ses prédécesseurs les ont développées, l’originalité du poète semble bien résider dans la place qu’il accorde à l’évocation d’une nature proprement miraculeuse. Il faut sans doute rappeler l’importance qu’a prise la nature pour les poètes élégiaques romains (Horace, Tibulle ou Properce n’ont cessé de la célébrer dans leurs œuvres), nature d’autant plus idéalisée que le contexte des guerres civiles avaient chassé nombre de ruraux vers les villes.

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